Après une qualification laborieuse en finale du Mondial, les Bleus essuient une pluie de critiques. Mais les médias néo-zélandais, bien que persuadés que les All Blacks vont remporter la finale dimanche, se méfient malgré tout des miraculés français.
"Les gars ont joué pour la gagne. Mais quand on voit le niveau de jeu de l’Australie ou des All Blacks, on ne peut pas rêver remporter ne serait-ce qu’un match contre eux en jouant ainsi." Au sortir d’une demi-finale chaotique, remportée 9-8 face à des Gallois réduits à dix, Gonzalo Quesada, adjoint de Marc Lièvremont à la tête du XV de France, est lucide.
La presse néo-zélandaise l’est aussi. Si l’ancien ouvreur argentin pondère logiquement son analyse en qualité de membre de l’encadrement des Bleus, les médias locaux, eux, tirent à boulet rouge sur les hommes de Lièvremont.
Dimanche, le "Sunday Herald", édition dominicale du premier quotidien du pays, tançait vertement les Français : "France gives final insult" ("La France donne l’insulte finale"). Le journal estime même que la "French enigma" ("l’énigme française") a infligé aux Gallois l’une des dix plus grandes injustices de l’histoire du rugby.
À quelques heures de la seconde demi-finale entre l’Australie et les Blacks, il ironisait aussi sur le niveau de jeu de ces Bleus miraculés, faisant de la confrontation entre les deux géants du sud une finale avant l’heure : "80 minutes and we’re laughing" ("80 minutes et on va se marrer").
"French farce"
L’idylle entre les Bleus et les médias néo-zélandais n’est pas neuve. Déjà le 21 septembre les journaux fustigeaient la composition de Lièvremont pour le choc face aux Blacks en phase de poule. Le technicien français était accusé de présenter délibérément une équipe B : un manque de respect suprême pour les Néo-Zélandais et de surcroît sur leurs terres.
Un accrochage qui avait achevé, déjà, de liguer les ennemis des Bleus. Depuis, les voix qui se sont élevés pour prédire l’enfer aux coéquipiers de Morgan Parra sont nombreuses. Côté gallois notamment, où l’amertume de la défaite est tenace. Shaun Edwards, l’entraîneur chargé de la défense, qualifie même la défaite de samedi face aux Bleus de "farce".
Le futur demi de mêlée de l’Aviron Bayonnais, Mike Phillips, ne mâche pas non plus ses mots : "Le jeu de la France était pauvre et elle va se faire écraser en finale."
Mais ce sont paradoxalement les observateurs extérieurs qui livrent les critiques les plus assassines à l’encontre des Français. Chris Ashton, le virevoltant ailier du XV anglais, qualifie ainsi la victoire de la France de "ruine pour le rugby" sur son compte Twitter.
Les vieilles gloires sudistes ne sont pas tendres non plus. François Piennar, le capitaine historique des champions du monde sud-africains de 1995, estime tout simplement que la France est la "pire équipe du Mondial".
"La meilleure équipe du monde sur un match"
Pourtant, malgré la défiance généralisée à l’égard des Bleus, les Néo-Zélandais refusent de plonger dans l’optimisme béat. Dans les colonnes du "New Zealand Herald", l’entraîneur des All Blacks, Graham Henry, est prudent : "Nous n'allons pas les sous-estimer. […] Les Français n'ont pas bien joué en demi mais peuvent toujours être la meilleure équipe du monde sur un match." Même chose dans le "Dominion Post" - un autre titre majeur de la presse néo-zélandaise - où son adjoint Steve Hansen a encore les deux désillusions de 1999 et 2007 en tête : "Nous avons une grande histoire commune avec les Français en Coupe du monde et nous les respectons."
Et la presse tente timidement de suivre la voie. Lundi, l’édition en ligne du "New Zealand Herald" assure que si les Blacks sont prêts au combat face aux Bleus, le XV du coq reste "imprévisible" .
La solidité défensive entrevue face aux Anglais puis aux Gallois apparaît comme le seul point susceptible de porter les Bleus vers le sacre. Dans le "New Zealand Herald", le chroniqueur David Leggat estime que les Bleus n’ont "aucune chance" de gagner une finale s’ils ne parviennent pas "à montrer un meilleur visage". Mais il reconnaît tout de même aux Français une "défense solide et disciplinée".
Parole à la défense
Son collègue Wynne Gray relève également l’imperméabilité retrouvée des hommes de Lièvremont : "Quand le centre gallois Jamie Roberts a échappé le ballon [en toute fin de match, ndlr], les Français avaient défendu sur presque une trentaine de phases et étaient parvenus à repousser les Gallois au-delà du milieu de terrain." L’émergence d’un Parra de classe mondiale au poste de numéro 10 est également un point soulevé par le spécialiste: "Cela fonctionne. Il est calme et plein de ressources." Et de conclure : "La France gagne au bon moment. Et dix-huit autres équipes ne peuvent pas en dire autant."
Un bref hommage qui sonne presque faux après les nombreuses critiques - légitimes - qui pleuvent sur le XV de France depuis près d’un mois. Mais pour tout le pays, l’épilogue de la "French farce", dimanche, semble inéluctable : les Bleus balayés et remis à leur juste place par la marée All Blacks.
Désormais, il reste à Lièvremont et ses joueurs de déjouer les pronostics. Et pour cela, il faudra qu’ils s’inspirent des campagnes passées et retrouvent leur "French flair". Mais pour l’heure, "imprévisible" n’est toujours pas Français.