Au Royaume-Uni, la gérante d'un pub a réussi à faire plier le diffuseur de la Premier League : la justice européenne lui a donné raison en estimant que l’exclusivité des droits de retransmission du football à la télévision est contraire à la loi.
Et si le principe de l’exclusivité des droits de retransmission du football à la télévision sur un territoire était devenu obsolète ? C’est en tout cas ce que laisse penser une décision rendue par la Cour européenne de justice. Le 4 octobre, la CEJ a jugé que les "accords d'exclusivité territoriale" étaient contraires au droit de l'Union européenne sur la libre circulation des biens et des services.
A l’origine de cette décision, une bataille judiciaire commencée en 2004 au Royaume-Uni entre la Premier League (EPL) et Karen Murphy, la gérante du pub "The Red, White & Blue" à Portsmouth.
En Angleterre, 50 000 pubs comme celui de Karen Murphy diffusent chaque week-end des matchs de la Premier League et étaient jusqu'à présent obligés d’utiliser le bouquet satellitaire BSkyB de Rupert Murdoch, propriétaire exclusif des droits TV du football anglais sur le territoire britannique. Pour pouvoir retransmettre les rencontres, les propriétaires de pub devaient payer entre 600 et 2 300 euros par mois. Il y a sept ans, Karen Murphy n’a donc pas hésité à s’abonner à un autre bouquet - grec -, beaucoup moins onéreux. "Avec Nova, je paie 800 livres [930 euros] par an pour un abonnement, contre 700 livres [800 euros] par mois pour Sky", raconte-t-elle à l'AFP.
"Karen contre Goliath"
Immédiatement, l’affaire commence à faire grand bruit. L'EPL, à qui BSkyB a racheté les droits exclusifs de retransmission, n’apprécie guère cette manœuvre. En effet, l’organisation négocie habituellement pays par pays, selon la demande, les droits de retransmission télé. Un système qui lui a permis d’engranger, sur les trois dernières années, quelque 4 milliards d’euros à travers le monde, et 1,5 milliard d’euros au seul Royaume Uni.
Si, dans un premier temps, un tribunal anglais condamne Karen Murphy à la suite du dépôt d’une plainte par l’EPL, celle-ci ne se dégonfle pas et porte le dossier devant la Cour européenne de justice à Luxembourg. Les arguments de l’organisation - les droits de retransmission sont régis par des "accords d'exclusivité territoriale" - sont alors jugés contraires au droit de l'Union européenne. "C'était Karen contre Goliath", plaisante Karen Murphy, "soulagée" et "aux anges" après l'annonce de la décision rendue par la CEJ. "Je crois que cet après-midi, nous allons bien boire !", déclarait-t-elle hier à l’AFP.
Parades et contournements
"Si ça se confirme, ce sera un bouleversement dans le paysage audiovisuel du football", prédit Jean-Pierre Louvel, président du club français du Havre et membre du comité de pilotage sur l'appel d'offres pour les droits télévisés de la Ligue 1 française.
Pour l’heure, l’EPL préfère minimiser l’affaire. Dans un communiqué, elle indique qu'elle va "prendre son temps pour digérer et comprendre toutes les implications" d’une telle décision.
Réagissant mardi soir à la décision de la CEJ, BSkyB, qui gagne 415 millions d’euros chaque année grâce à la diffusion du foot dans les pubs anglais, a déjà indiqué pour sa part que "cela aura des implications sur la façon dont les droits sont vendus en Europe à l'avenir, [implications] que nous sommes en train d'examiner".
En rendant sa décision, la justice européenne a décidé que la diffusion du logo ou de la musique officielle du championnat à la télévision pendant les matchs requérait l'autorisation de l’EPL. Pour défendre ses intérêts, l’EPL pourrait donc multiplier les logos de la Premier League - différents dans chaque pays de diffusion - dans les stades en les protégeant par un copyright, obligeant ainsi les autres diffuseurs ne disposant pas de l’exclusivité territoriale à couper de nombreuses séquences des matchs pour ne pas se mettre hors-la-loi. Autre argument de poids, la qualité de diffusion. Les commentaires et l’image en haute définition proposés par BSkyB sont d’une qualité autrement supérieure à celle des autres bouquets satellitaires, souvent critiqués pour leur mauvaise retransmission. La balle est désormais dans le camp des pubs.