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Alors que débute le ramadan et que s'intensifie la répression du soulèvement en Syrie, le monde arabe se terre dans le mutisme. S'il apparaît délicat pour plusieurs pays de prendre position, la Ligue arabe est clairement montrée du doigt.

De Washington à Ankara, en passant par Paris, Berlin et même Moscou, les condamnations se sont multipliées ces derniers jours à l’encontre du régime syrien, après l’intensification de la répression du soulèvement populaire. Cette indignation occidentale tranche avec le mutisme du monde arabe, qui fait effectivement preuve de la plus grande discrétion depuis le début du soulèvement, le 15 mars.

Un silence d’autant plus assourdissant que les musulmans du monde entier ont entamé ce lundi le mois sacré du ramadan, dont les piliers sont notamment le jeûne et la piété. Lundi, au premier jour du mois de ramadan, vingt-quatre civils ont été tués en Syrie, dont dix après la prière du soir, selon l'Observatoire syrien des droits de l'homme.
"Ce mutisme est une honte qui rejaillit sur le peuple arabe en plein ramadan. Il est choquant, mais il n’a rien de surprenant malgré l’ampleur de la crise en Syrie. Car hormis le cas libyen, les gouvernements arabes n’ont pas réagi positivement aux soulèvements qui ont eu lieu dans la région", rappelle Bahy el-Din Hassan, directeur général de l'Institut du Caire pour l'étude des droits de l'Homme (CIHRS).
Le statu quo plutôt que le chaos ?
Et pour cause, certains pays arabes sont sur le qui-vive et redoutent les suites des bouleversements géopolitiques qui ont eu lieu dans la région depuis le début de l’année. "Les dirigeants arabes ont peur de vivre le même scénario, ils ne peuvent pas condamner le régime syrien car ils sont eux-mêmes condamnables", explique, dans un entretien accordé à France 3, Antoine Basbous, directeur de l’Observatoire des pays arabes, basé à Paris. 
"Certains régimes, comme l’Arabie saoudite, alors qu’ils entretiennent des relations orageuses avec la Syrie, préfèrent le status quo au chaos dans la région, et ce au nom de leur propre stabilité", analyse Ziad Majed, politologue et professeur à l'Université américaine de Paris. D’autres pays, comme la Libye et le Yémen, sont eux-mêmes confrontés à des soulèvements populaires - "ce qui de facto leur ôte toute légitimité à s’exprimer", relève le politologue. Quant à la Tunisie et à l’Egypte, fers de lance des révoltes arabes, elles se concentrent sur leur propre sort et "évitent de s’engager sur la scène internationale, d’autant qu’elles sont dirigées par des autorités en charge de la transition politique", poursuit Ziad Majed.
Au Maghreb, le Maroc et, dans une moindre mesure, l’Algérie ont été le théâtre de protestations populaires. Ils refusent par conséquent de s’ingérer dans les affaires d’un autre pays arabe. "La position du peuple algérien est solidaire du peuple syrien, qui milite pour la dignité et la démocratie. C'est une position qui est en contradiction avec celle du régime algérien", a récemment déclaré Me Mustapha Bouchachi, président de la Ligue algérienne de défense des droits de l'homme (LADDH) et membre de l'opposition, cité par l’AFP.
Le cas libanais
Enfin, se pose le cas particulier du Liban, membre non permanent du Conseil de sécurité, et gouverné depuis quelques semaines par un cabinet composé d’alliés de Damas. Ce nouveau pouvoir refuse d’évoquer l’existence même du soulèvement et se borne à manifester son soutien au président Bachar al-Assad. Pourtant c’est depuis Beyrouth que sont élevées les premières voix de hauts responsables politiques contre la violence de la répression. Lundi, l’ex-Premier ministre Saâd Hariri, désormais dans le camp de l’opposition, a stigmatisé "le massacre qui vise la ville de Hama" et dénoncé "le mutisme qui se manifeste aux plans arabe et international à l’égard des développements en Syrie".
Il a emboîté le pas à d’autres nations ayant exprimé leur mécontentement en juillet. Mercredi, le roi Abdallah II de Jordanie a partagé sa "consternation" avec le président Nicolas Sarkozy "devant le nombre de victimes et la poursuite de la répression" en Syrie, selon l’Elysée. Avec la suspension, mi-juillet, des travaux de l’ambassade du Qatar à Damas, qui n’a d’ailleurs pas été officiellement motivée par Doha, il s’agit de la seule réaction arabe. Encore faut-il préciser que ces positions sont antérieures à l’assaut militaire contre la ville de Hama - en cours depuis dimanche.
Silence radio du côté de la Ligue arabe
Reste à comprendre le silence observé par la Ligue arabe, de plus en plus critiquée dans les médias arabes. "Bien que tout le monde sache qu’elle n’est qu’une coquille vide à la solde de l’Arabie saoudite et des monarchies du Golfe, la Ligue arabe n’a également pas jugé utile de réagir, ne serait-ce que par un communiqué, au drame qui s’est produit dimanche à Hama", écrit ce matin le quotidien algérien El Watan.
Contactés par téléphone au Caire, les services de la Ligue arabe étaient injoignables ce mardi. "Trop c’est trop, Bachar al-Assad est allé trop loin dans la tyrannie", a cependant confié à France 24 une source interne à l’institution. Cette dernière, qui a requis l'anonymat, estime "qu’il n’est plus possible de se taire" et espère vivement une réaction rapide des dirigeants de la Ligue.
De son côté, Bahy el-Din Hassan, directeur général du CIHRS, se montre à son tour très critique à l’égard de la Ligue. "Cette institution est à l’image des gouvernements arabes, elle est tout autant déconnectée de la réalité et très éloignée de la volonté de la rue arabe". Il estime que le cas de la Syrie ne constitue pas une exception, la Ligue n’ayant pas non plus apporté de réponse sérieuse, ni adopté de position juste concernant les crises au Bahrein et au Yémen. "En restant muet sur les crimes de Bachar al-Assad, le nouveau secrétaire général de la Ligue arabe, Nabil al-Arabi, a largement déçu les espoirs romantiques de ceux qui croyaient en lui", conclut-il.