Dénonçant les restrictions des budgets alloués à l’hébergement des sans-abri, les professionnels de l’accueil d'urgence et les associations d’aide au logement ont manifesté dans une trentaine de départements français. Reportage à Paris.
"Je suis dans la rue depuis trois semaines... On dort à droite, à gauche, on mange comme on peut. On se maintient propre". Fatoumata, jeune mère de trois enfants, parle d’une voix si basse qu’elle en est presque imperceptible. Le regard rivé au sol, elle raconte comment, un jour de juillet au petit matin, elle a été expulsée d’une usine désaffectée qui abritait près de 300 immigrés, travailleurs sans papier pour la plupart. Une histoire tristement banale, répétée maintes fois à la demande des nombreux journalistes présents ce mardi dans le très chic 7e arrondissement de Paris, où s’étaient rassemblés des associations d’aide au logement et d’accueil d’urgence.
À l’appel de la Coordination des Professionnels de l'Urgence Sociale, dénonçant l’insuffisance des moyens attribués pour l’hébergement, des sans-abri, travailleurs sociaux et mal-logés se sont retrouvés dans un square où plusieurs familles – parfois avec de très jeunes enfants – dorment sous des tentes depuis des semaines, après leur expulsion d’un immeuble déclaré insalubre. Le mouvement des professionnels de l’urgence sociale a été suivi dans une trentaine de départements.
La démission d’Emmanuelli met le feu aux poudres
En mai dernier, l’État, qui assume 92 % du financement de l’accueil d’urgence, annonçait une réduction drastique des moyens octroyés à l’hébergement des personnes sans abri. En 2010, 110 millions d’euros étaient consacrés au Samu social. En 2011, ce financement s'élève à 90 millions d’euros. Le budget accordé à l’hébergement d’urgence en hôtel a été amputé de 25 % - soit l’équivalent de 5 000 nuitées. Première victime de ces coupes budgétaires : le centre Yves-Garrel, dans le 11e arrondissement. Seul centre d’hébergement accueillant les femmes, il a dû fermer ses portes le 30 juin dernier faute de moyens pour le maintenir aux normes.
La démission de Xavier Emmanuelli, président du Samu social de Paris, association d’aide d’urgence aux personnes sans-abri, a mis le feu aux poudres. Évoquant une situation budgétaire "qui n’est plus gérable", il a quitté la tête de cet organisme qu’il avait créé en 1993. "L’urgence sociale […], c’est comme dans les dessins-animés de Tex Avery : tout le monde se refile le bâton de dynamite avant qu’il pète", expliquait-il dans les colonnes de Charlie Hebdo le 20 juillet dernier.
Politique du "Logement d’abord"
Le gouvernement s’est engagé dans une politique privilégiant l’offre de logements à long terme aux personnes sans domicile fixe, en évitant qu’elles passent par l’hébergement d’urgence en hôtel, très coûteuse. "Benoist Apparu [secrétaire d’État au logement] supprime 4 500 places d’hébergement d’urgence pour les remplacer par 4 500 places dans des logements pérennes, explique Jean-Baptiste Eyraud porte-parole de l’association Droit au logement (DAL). Le problème, c’est qu’il n’a pas encore ces logements. En attendant, les gens qui n’ont pas de toit, ils font quoi ?"
Le 115, numéro d’appel d’urgence pour les sans-abri, est saturé. Les centres d’hébergement d’urgence sont pleins à craquer. "C’est simple, ce week-end, la dernière place en centre d’hébergement à Paris a été attribuée à 22h30 alors que nos tournées se terminent à 5 heures du matin, témoigne Émilie, éducatrice spécialisée au Samu social de Paris. Que fait-on avec les autres sans-abri ? On leur dit qu’on n’a plus de places". Alors ils se tournent vers les urgences des hôpitaux ou les commissariats de police.
Selon une étude réalisée en juillet par la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (Fnars), les deux tiers des demandes d’hébergement adressées au 115 n’ont pas pu être satisfaites faute de place. Pis, 80 % des couples avec enfants ne trouvent pas de places en accueil d’urgence. "On a un gros problème dans les urgences sociales : les demandes augmentent continuellement, les moyens baissent continuellement", résume Maéva Espinas, salariée du Samu social de Paris.
Dans le cortège, l’article 345-2-2 du code de l’action sociale est cité comme un couplet auquel les professionnels de l’urgence sociale semblent, en vain, se raccrocher. "Toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique et sociale a accès, à tout moment, à un dispositif d’hébergement d’urgence", dit le texte. On se rappelle aussi de l'engagement de Nicolas Sarkozy qui, en décembre 2006, avait suscité l’espoir : "je veux que d’ici à deux ans, plus personne ne soit obligé de dormir sur le trottoir".
"Une situation catastrophique"
Mais ce mardi, le dépit est sur toutes les lèvres. "Dans la rue, on rencontre de plus en plus de jeunes, de plus en plus de femmes, assure Céline, infirmière au Samu social. Ce sont souvent des gens qui ne sont pas encore atteints par la rue. Mais sans hébergement à leur proposer, on ne peut pas les aider. Ils se sentent trahis pas les services sociaux, on représente parfois leur dernier espoir."
Jean-Philippe, bénévole au sein de plusieurs associations d’aide aux sans-abri à Lyon confirme. "En huit ans de bénévolat, je n’ai jamais vu une situation aussi catastrophique", affirme-t-il, expliquant l’augmentation des besoins de lits par la crise économique et le contexte géopolitique dans le monde arabe. "Les travailleurs sociaux sont là pour aider les gens, c’est leur travail. Mais ils ne peuvent plus le faire correctement. On leur demande désormais d’être complices de violation de la loi : ils ne peuvent pas, contrairement à ce que stipule le code de l’action social, proposer un hébergement à ceux qui en ont besoin" poursuit-il, récitant le sacro-saint article 345-2-2.
Le Samu social de Paris et les autres associations d’accueil et de réinsertion sociale avaient prévu, mardi, d’aller hurler leur colère sous les fenêtres du secrétariat d’État au logement, rue du Bac à Paris. Un cordon de CRS les en a empêché. Une heure durant, les manifestants leur ont fait face, criant le slogan : "Apparu, c’est l’urgence, c’est fini les vacances !".