Le Sénégal a renoncé dimanche à extrader Hissène Habré au Tchad où il a été condamné à mort par contumace en 2008. Des victimes de l’ex-dirigeant tchadien ayant saisi la justice en 2001, un tribunal belge pourrait accueillir son procès.
Devant la réaction des Nations Unies, le président sénégalais Abdoulaye Wade a finalement renoncé dimanche à renvoyer par avion spécial l’ancien président tchadien Hissène Habré, accusé de crimes contre l'humanité, dans son pays. Pour l’ONU, les conditions pour qu'il bénéficie d'un procès équitable ne sont pas réunies.
Hissène Habré, au pouvoir entre 1982 et 1990, est accusé de crimes de guerre et crimes contre l’humanité. L’Union africaine souhaitait jusque-là que l’ancien chef d’État soit jugé au Sénégal, où il vit depuis une vingtaine d'années. Le président sénégalais Abdoulaye Wade, qui avait dans un premier temps accepté qu’Hissène Habré soit jugé au Sénégal, avait fait marche arrière au cours d’un entretien à FRANCE 24 en décembre 2010 : "L’Union africaine m’avait confié ce dossier, je regrette de l’avoir accepté. Maintenant je vais m’en débarrasser." Cette position s’est confirmée fin mai 2011, au cours du sommet de l’Union africaine, lorsque le Sénégal a quitté la table des négociations, écartant la perspective d’un procès sur son sol.
Dans un communiqué commun diffusé dimanche par Human Rights Watch (HRW) depuis Bruxelles, plusieurs associations de victimes et de défense de droits de l'Homme militent pour un jugement en Belgique.
Pourquoi la Belgique ?
Hissène Habré a été inculpé en 2000 au Sénégal pour complicité de crimes contre l’humanité et complicité d'actes de torture et de barbarie. Mais la justice sénégalaise s’étant déclarée incompétente, les victimes tchadiennes se sont alors tournées vers la Belgique, où plusieurs d’entre elles possédaient une résidence ou la nationalité belge. Une plainte a finalement été déposée à Bruxelles en mars 2001.
Le juge d’instruction belge Daniel Fransen, qui a mené une instruction au Tchad, s’est rendu dans les prisons, a vu des fosses communes, interrogé des anciens collaborateurs d’Hissène Habré et déterré ses archives politiques qui attestent d’une politique de répression des opposants. Au total, 12 008 décès ont été recensés sur les quelque 40 000 attribués aux hommes de mains d’Hissène Habré.
Après quatre années d’enquête, en septembre 2005 un mandat d’arrêt international a été délivré à l’encontre d’Hissène Habré. Deux mois plus tard, il est arrêté par les autorités sénégalaises. Il vit depuis en résidence surveillée à Dakar, avec l’interdiction de quitter le territoire.
En Belgique, la procédure est toujours en cours, malgré la suppression de l’ancienne loi de compétence universelle qui avait permis de saisir la justice.
Quelles sont les chances pour qu’Hissène Habré soit extradé en Belgique ?
"Un procès en Belgique serait une procédure par défaut", explique Pierre Bénazet, correspondant de RFI pour FRANCE 24 à Bruxelles. Tout d’abord, les autorités sénégalaises se sont déclarées incompétentes pour juger Hissène Habré. Ensuite, un éventuel retour au Tchad n’a pas été préparé et ne présente pas toutes les garanties pour un procès équitable, selon les organisations de défense des droits de l’Homme. En effet, le 15 août 2008, Hissène Habré a été condamné à mort par contumace pour crimes contre l’humanité par un tribunal de Ndjaména. Enfin, les tentatives de créer un tribunal international sur le sol sénégalais sont actuellement dans l’impasse et prendraient beaucoup de temps.
L'extradition de Habré en Belgique apparaît donc comme l'option la plus efficace."C’est la seule hypothèse sur laquelle nous travaillons depuis la fin mai", explique à FRANCE 24 Reed Brody, avocat américain de Human Rights Watch, qui suit l’affaire Hissène Habré depuis le début. Selon lui, "le cas n’est pas trop difficile : les accusations sont graves et les preuves solides."
En 2009, Bruxelles a saisi la Cour internationale de justice (CIJ), lui demandant d'ordonner au Sénégal de juger ou d’extrader Habré en Belgique. L'affaire est actuellement pendante et la décision de la Cour ne devrait pas être rendue avant 2012.
Contacté par FRANCE 24, le porte-parole adjoint du ministère belge des Affaires étrangères, Patrick Deboeck, confirme que "la Belgique continue à demander l’extradition d'Hissène Habré en tenant compte des victimes Belges". Il déclare que l’ambassadeur du Sénégal va être convoqué dans les jours à venir pour lui rappeler la demande de la Belgique.
Que pense-t-on au Tchad d’une extradition d’Habré vers la Belgique ?
"Au regard des obstacles en série posés par le gouvernement sénégalais depuis l’inculpation d'Habré (...) il y a onze longues années, la Belgique est aujourd'hui la solution la plus tangible, la plus réaliste et la plus opportune pour s'assurer qu'Hissène Habré réponde des accusations portées contre lui dans le cadre d'un procès juste et équitable dans des délais raisonnables", précise le communiqué de presse publié conjointement dimanche 10 juillet par Human Rights Watch et plusieurs associations de victimes et de défense de droits de l'Homme. Une position que confirme Reed Brody : "Les victimes se sont toujours opposées à un retour d'Hissène Habré au Tchad. Ce qui leur fait peur maintenant, c’est le statu quo, l’immobilisme qui dure depuis 20 ans. Il faudrait que ce procès se tienne avant que toutes les victimes ne décèdent."
Quant au gouvernement tchadien, il n’a jamais demandé l’extradition de l’ancien chef d’État et "s’est décrédibilisé", selon Reed Brody, en ne préparant pas le retour de l’ancien chef d’État. En effet, les autorités tchadiennes n’ont jamais offert des garanties en vue de l’annulation de la condamnation à mort par contumace de l’ancien dirigeant.
"La solution la plus tangible, c’est celle de l’extradition d’Hissène Habré vers la Belgique", a déclaré Jacqueline Moudeina, présidente de l'Association tchadienne pour la promotion et la défense des droits de l'Homme (ATPDH). "L’Afrique a montré son incapacité à juger ses criminels. Les Africains n’ont pas réussi à le faire juger, nous n’allons pas continuer à attendre et faire les frais des caprices de l’Union africaine au Sénégal", a-t-elle expliqué sur RFI.