Les chefs d'État européens, réunis jeudi soir pour un sommet à Bruxelles, devraient discuter une nouvelle fois de la crise grecque. Selon l'économiste Agnès Bénassy-Quéré, les États de la zone euro doivent partager plus que leur monnaie.
La crise de la dette en Grèce va-t-elle entraîner l'éclatement de la zone euro ? Certains économistes semblent y croire. Nouriel Roubini, célèbre pour avoir prévu la crise financière de 2008, a affirmé le 13 juin au "Financial Times" que les pays situés à la périphérie de l'Europe - la Grèce, l'Espagne, le Portugal... - pourraient quitter la zone euro d'ici 5 ans. En mai 2010, le prix Nobel d'économie, Joseph Stiglitz, estimait, pour sa part, que l'Europe n'avait pas la capacité institutionnelle pour surmonter la crise grecque, et envisageait la fin de l'euro. D'autres, plus optimistes, pensent au contraire que l'eurozone a les moyens de rebondir, voire de sortir renforcée de cette crise.
Avec une note de "CCC" attribuée le 14 juin par l'agence de notation Standard & Poor's, la Grèce, qui risque le défaut de paiement, est le pays le plus mal noté au monde. Lundi, les ministres des Finances de la zone euro - qui regroupe 17 des 27 pays de l'Union européenne - ont donné deux semaines à Athènes pour adopter un nouveau plan d'austérité extrêmement impopulaire. La Grèce devrait de nouveau faire l'objet de discussions en marge du Conseil européen qui réunit, à partir de ce jeudi soir, chefs d'État et de gouvernement à Bruxelles.
Directrice du Centre d'études prospectives et d'informations internationales (Cepii), Agnès Benassy-Quéré estime que les États-membres de la zone euro doivent aujourd'hui faire le choix de l'intégration.
France24.com : Peut-on et doit-on sauver la zone euro ?
Agnès Benassy-Quéré : Oui et oui. Les Européens ont voulu mettre en place la zone euro tout en ne mettant en commun que leur monnaie. Chacun a continué à faire sa vie, de son côté. Ils sont désormais au milieu du gué. Deux voies s'offrent à l'Europe : celle de l'intégration ou celle de la désintégration. Il semble que nos responsables aient choisi la première. Ils prennent conscience qu'il faut mettre davantage en commun. Nous ne nous en rendons pas forcément compte, mais de vrais progrès ont déjà été faits en ce sens. La mise en place du Fonds européen de stabilité financière [créé en 2010 et d'un montant total de 750 milliards d'euros, il doit permettre de venir en aide aux pays qui en ont besoin, ndlr] constitue, par exemple, un premier pas vers davantage de fédéralisme.
La possibilité d'un éclatement de la zone euro ne peut toutefois pas encore être complètement écartée. On joue avec le feu. Si le plan d’austérité n'est pas adopté par la Grèce au cours des prochaines semaines, le Fonds monétaire international va refuser de débloquer des fonds, l'Europe aussi, la note de la Grèce va continuer à se dégrader... Et le vrai problème, celui de l'insolvabilité de la Grèce, n'est pas résolu.
France24.com : Quelles sont les failles de la zone euro révélées par la crise grecque?
A. B.-Q. : Il y a deux failles principales. La première, c'est le traité de Maastricht lui-même, qui ne prévoyait pas qu'un pays puisse se retrouver dans la situation de la Grèce. Les reponsables européens ont donc été obligés d'improviser, alors qu'ils se pensaient à l'abri. La seconde, c'est que les mécanismes de surveillance qui existaient n'ont pas été correctement suivis. Il y avait des manques dans le traité, qui en plus n'a pas été bien appliqué.
France24.com : Quelles conséquences aurait l'explosion de la zone euro ?
A. B.-Q. : Cela ferait beaucoup de mal au projet européen. La monnaie unique, entrée en vigueur en 1999, est quelque chose dont on parle depuis très longtemps, et l'euro nous a apporté beaucoup. En France par exemple, il nous a garanti de faibles taux d'intérêt et une faible inflation. La Banque centrale européenne a également effectué un travail remarquable pendant la crise. Nous l'aurions traversée, au plan mondial, de façon beaucoup plus difficile si elle n'existait pas. Il n'y a pas eu de réactions désordonnées, de dévaluations dans tous les sens...
Si les effets de l'euro sur les échanges ont été limités, ils ont tout de même accru la concurrence entre exportateurs et fait baisser les prix. Si cette baisse ne s'est pas répercutée dans les rayons, c'est parce qu'il n'y a pas eu de réforme du secteur de la distribution, qui est très reglémenté et qui continue à capter une rente. Nous ne pouvons nous en prendre qu'à nous-mêmes.
France24.com : Cette crise peut-elle, d'une certaine façon, avoir des effets bénéfiques ?
A. B.-Q. : L'Europe se construit sur des crises successives. La crise de 1992-1993 par exemple a accéléré les discussions concernant l'unification monétaire. Mario Monti, ancien commissaire européen et président de l'université Bocconi, a expliqué au "Financial Times" que les problèmes de l'Europe étaient liés au fait que les États étaient "trop déférents" et "trop polis". Effectivement, jusqu'ici les États-membres intervenaient très peu les uns chez les autres. Il y a désormais davantage d'argent en jeu et les États sont plus impliqués, par exemple par le biais du Fonds de stabilisation. Début juin, la Commission européenne a fait des recommandations très précises à la France sur sa politique économique. Tout cela marque un changement de fonctionnement, de ton.
Cette crise pose avant tout la question du degré de centralisation, de fédéralisme que l'on souhaite. Reste à savoir dans quelle mesure les États adhèrent à ces évolutions. Si l'on va trop loin aujourd'hui dans le sens de la centralisation, ils risquent de tout rejeter en bloc. Le climat actuel, avec la montée du populisme et des nationalismes, n'est pas favorable au renforcement de l'intégration européenne.