Accroché au pouvoir, Mouammar Kadhafi mène une contre-offensive dans l'est de la Libye. Mieux armé que l'opposition, il ne peut toutefois compter que sur un équipement vétuste et sur un nombre d'hommes restreint et peu entraînés.
76 000 militaires et plus de 40 000 paramilitaires ; 260 avions de combats, essentiellement des MIG-25 et des MIG-23 ; 650 chars T-55, T-62 et T-72 ; 2 300 pièces d'artillerie ; plus de 100 hélicoptères... Sur le papier, l'armée libyenne restée fidèle à Mouammar Kadhafi dispose d'une force de frappe considérable, comme l'indiquent ces chiffres publiés en 2009 par le site israélien de référence Middle East Military Balance et confirmés par d'autres estimations.
itSur le terrain en revanche, cette puissance militaire théorique est loin d'être flagrante. Plusieurs villes de l'Est sont en effet tombées sans difficultés aux mains des opposants au régime, des bombes ratent leurs cibles, des hommes font défection, si bien que de nombreux experts doutent des capacités réelles des forces armées libyennes.
"Il est impossible d'avoir aujourd'hui une image précise des forces en présence, mais si ces estimations reflétaient la réalité de la situation, il ne devrait plus y avoir d'insurgés en Libye", affirme ainsi Jean-François Daguzan, maître de recherche à la Fondation de recherche stratégique.
Des soldats peu formés, des armes en mauvais état
Les doutes qui pèsent sur la force de frappe des pro-Kadhafi est d'autant plus grande que, frappée par un embargo internationnal sur les armes pendant plus d'une décennie, la Libye dispose, pour l'essentiel, d'équipements acquis auprès de l'ex-Union soviétique dans les années 1970. Un matériel qui serait aujourd'hui en grande partie hors d'usage...
En outre, "les armes les plus perfectionnées, telles que les armes lourdes ou anti-aériennes, et l'aviation ont toujours été aux mains de soldats étrangers, de toutes origines, précise encore Jean-François Daguzan. Il y a eu des Syriens, des Coréens, des Européens de l'Est... car les Libyens eux-mêmes ont toujours fait preuve d'incompétence en ce domaine". Depuis sa prise de pouvoir, Mouammar Kadhafi a volontairement cherché à réduire l'influence de l'armée régulière libyenne pour ne pas prendre le risque de voir émerger un rival potentiel. Il lui a toujours préféré ses propres services de sécurité parallèles. Gardiens de la révolution, milices du peuple, Légion africaine... : ces forces paramilitaires, tout comme la tribu et le clan Kadhafi, ont été les mieux dotés, en moyens comme en matériel.
C'est d'ailleurs sur ses proches que Mouammar Kadhafi compte aujourd'hui pour défendre ce qu'il lui reste de pouvoir. "L'évolution de la situation va dépendre de leur capacité à résister et à tenir, estime Jean-François Daguzan, avant de poursuivre : Il ne reste plus que les fidèles parmi les fidèles, qui n'ont plus rien à perdre. Pour le reste, on a le sentiment que les mercenaires ont en partie décampé, que l'armée libyenne de conscription a rejoint les insurgés, et que beaucoup de hauts responsables ont fait défection..."
Omar el-Hariri par exemple, qui avait organisé le coup d'État militaire de 1969 aux côtés de Mouammar Kadhafi, est désormais en charge des affaires militaires du Conseil national libyen - l'instance dirigeante de l'opposition -, selon la société de renseignement Stratfor. Le général Abdel Fattah Younis, ancien ministre de l'Intérieur est, quant à lui, également passé du côté de l'opposition.
"Une guerre civile qui peut durer"
Enfin, l'inconnue qui pèse sur la puissance des forces libyennes est alimentée par les faits d'armes de l'opposition qui, bien que dépourvue de moyens aériens, d'organisation et de savoir-faire, parvient à leur tenir tête. Avec les mitraillettes, les lance-roquettes et les grenades sur lesquels elle a mis la main en pillant les dépôts d'armes des villes passés sous son contrôle, elle s'est emparée de nombreux points stratégiques du pays.
"L'opposition n'a pas encore les moyens de mener un assaut contre Tripoli", estiment toutefois les analystes de Stratfor. Selon des images satellites analysées par l'Institut international de recherche stratégique (IISS), les forces loyalistes seraient notamment déployées sur près de 50 km au sud de la capitale libyenne.
À l'heure actuelle, les affrontements se concentrent donc autour des terminaux pétroliers, dont la prise de contrôle par l'un ou l'autre camp pourrait s'avérer décisif. "La Libye est dans une situation de guerre civile, conclut Jean-François Daguzan. La césure entre la Cyrénaïque [région de l'Est, traditionnellement hostile au pouvoir, ndlr] et la Tripolitaine [à l'ouest] a ressurgi. Ce face-à-face peut durer un certain temps, à condition que la poche de résistance autour de Mouammar Kadhafi tienne. Celui-ci n'a plus beaucoup d'options ; il sait qu'a priori il ne pourra pas s'exiler au Venezuela en gardant ses avoirs... Il y a des chances qu'il résiste jusqu'à sa dernière cartouche."