Les insurgés libyens, qui ont pris samedi le port pétrolier de Ras Lanouf, continuent leur progression dans l'est du pays tandis que les forces loyales à Mouammar Kadhafi, concentrées à l'ouest, ont perpétré un massacre à Zaouïa, près de Tripoli.
AFP - L'opposition libyenne, maîtresse de l'est du pays, a essuyé samedi une contre-offensive massive à Zawiyah, près de Tripoli, mais continuait sa progression vers l'ouest, et s'organisait sur le plan politique en se déclarant notamment "seule représentante" du pays.
Au 19e jour de la révolte contre Mouammar Kadhafi, au pouvoir depuis près de 42 ans, le bilan des victimes continuait de s'alourdir. Au moins sept personnes ont été tuées et des dizaines blessées dans l'offensive des forces gouvernementales à Zawiyah, où le nombre de morts pourrait être plus élevé, selon une source médicale.
Les forces à la solde du colonel Kadhafi ont perpétré un "véritable massacre" à Zawiyah, a indiqué par téléphone à l'AFP un médecin d'un hôpital de cette ville située à une soixantaine de kilomètres à l'ouest de Tripoli et contrôlée depuis le 27 février par l'opposition.
"La situation est catastrophique. Ils ont tué beaucoup de monde. Ils ont tué ma fille", a-t-il déclaré, la voix émue, avant d'éclater en sanglots. "Je ne peux rien dire de plus".
"C'est horrible ce qui s'est passé ce matin dans la ville. Les mercenaires tiraient sur tous ceux qui osaient sortir de chez eux, y compris les enfants", avait-il déclaré plus tôt, faisant alors état d'au moins sept morts et de dizaines de blessées.
"Nous avons subi deux offensives depuis l'est et l'ouest de la ville (...) Maintenant, nous sommes en état de siège des deux côtés", a ajouté ce médecin.
"Les chars sont partout dans la ville et tirent sur les habitations. J'en ai vu passer sept devant chez moi. Les tirs d'obus n'arrêtent pas", a indiqué un autre habitant de la ville.
A quelques kilomètres de la ville, un journaliste de l'AFP a entendu des tirs par intermittence et des rafales, alors que des pick-up remplis de soldats et de miliciens pro-Kadhafi se dirigeaient vers Zawiyah.
Les insurgés atteignent Ben Jawad
Sur le front est, les insurgés, qui continuaient leur progression vers l'ouest, sont arrivés samedi à Ben Jawad, à une centaine de kilomètres de Syrte, ville natale de Mouammar Kadhafi, selon des journalistes de l'AFP.
"Nous avons repoussé (l'armée) au-delà de Ben Jawad et aujourd'hui, nous allons les pilonner jusqu'à ce qu'ils repartent à Syrte", a déclaré un officier ayant rejoint l'opposition.
Un journaliste de l'AFP a pu voir des groupes de rebelles à Ben Jawad, une petite bourgade composée de quelques maisons, deux restaurants et des cabanes.
Des avions libyens patrouillaient au-dessus de Ben Jawad et de Ras Lanouf, où au moins dix personnes ont été tuées la veille dans des combats.
"Ces trois derniers jours, 7.000 hommes sont partis de Benghazi en direction du front à l'ouest", a assuré un soldat qui a rejoint l'opposition.
Certains insurgés ont évoqué des négociations en cours pour une entrée pacifique à Syrte, une éventualité peu probable compte tenu de la portée symbolique de la ville.
Interrogé sur une poursuite de leur progression vers Syrte, un soldat à la retraite ayant rejoint les rangs de la rébellion a déclaré que cela dépendrait des éventuels renforts et des conditions météorologiques. Une tempête de sable a en effet nettement réduit la visibilité samedi à Ras Lanouf.
Tripoli dément que l'opposition détienne Ras Lanouf
Tripoli a démenti que l'opposition détienne Ras Lanouf, mais un journaliste de l'AFP a vu vendredi soir des rebelles positionnés à l'extérieur du complexe pétrolier, des casernes et du commissariat de ce port stratégique à quelque 150 kilomètres à l'est de Syrte.
Les rebelles ont par ailleurs affirmé samedi avoir abattu un avion des forces pro-Kadhafi près de Ras Lanouf, et tué les deux pilotes, selon une vidéo qu'a pu visionner un journaliste de l'AFP.
Plus à l'est, près de Benghazi, fief de l'opposition, deux explosions vendredi soir sur un site de dépôt de munitions à Rajma ont fait au moins 27 morts et des dizaines de blessés. Selon le responsable du centre du génie militaire à côté de Benghazi, la thèse "la plus plausible" serait une action de sabotage par les forces pro-Kadhafi.
Le Conseil national se déclare "seul représentant de la Libye"
Sur le plan politique, le Conseil national créé par les représentants de l'insurrection a tenu sa première réunion à Benghazi, et s'est déclaré "le seul représentant de la Libye", a annoncé son président, l'ex-ministre de la Justice Moustapha Abdeljalil.
Le Conseil, dont la création avait été annoncée le 27 février, a chargé Omar al-Hariri, membre du Conseil, des "affaires militaires", et confié à Ali Abdelaziz al-Issaoui, ambassadeur démissionnaire de Libye en Inde et ancien ministre de l'Economie, les affaires étrangères, selon le texte.
Il a également désigné Mahmoud Jibril Ibrahim al-Wourfalli à la tête d'une "équipe exécutive pour gérer la crise", également chargée des relations étrangères et de représenter la Libye.
Ces deux derniers responsables auront notamment pour tâche de "prendre des contacts avec l'étranger afin d'obtenir une reconnaissance internationale du Conseil".
M. Abdeljalil a également précisé que le Conseil considérait toutes les délégations diplomatiques à l'étranger ralliées à la révolte comme ses "représentants légitimes". Plusieurs ambassadeurs libyens, dont celui auprès de l'ONU, ont démissionné pour protester contre la répression de l'insurrection.
Le vice-ministre libyen des Affaires étrangères, Khaled Kaaim, a affirmé de son côté que la Libye avait demandé à la Ligue arabe de revenir sur sa décision de suspendre Tripoli.
Sur le plan humanitaire, l'exode massif se poursuivait. Plus de 191.000 personnes ont fui à ce jour les violences en Libye et une dizaine de milliers de réfugiés à l'intérieur du pays se dirige actuellement vers la frontière égyptienne, a annoncé l'ONU.