Les avocats français Jacques Vergès et Roland Dumas sont à Abidjan pour conseiller et défendre le président ivoirien sortant. De quelles initiatives juridiques dispose Laurent Gbagbo pour rester à la tête de la Côte d'Ivoire ?
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Laurent Gbagbo va-t-il choisir le droit plutôt que le droit du plus fort ? Alors que deux ténors du barreau français sont à Abidjan pour rencontrer le président ivoirien sortant, les rumeurs bruissent sur la contre-offensive juridique mise en branle ces derniers jours par le camp Gbagbo. D’après des informations recueillies par FRANCE 24, plusieurs grands avocats internationaux ont récemment été contactés pour venir le rencontrer dans la capitale économique ivoirienne.
Deux d’entre eux semblent avoir répondu positivement. L’ancien ministre socialiste des Affaires étrangères et ex-président du Conseil Constitutionnel, Roland Dumas, aurait été engagé par Laurent Gbagbo pour "défendre ses positions". Il devrait rester plusieurs jours à Abidjan, ainsi que Jacques Vergès, rendu célèbre par de très médiatiques dossiers internationaux.
Dès leur arrivée ce jeudi à Abidjan, les deux avocats ont dénoncé l’ingérence française et internationale en Côte d’Ivoire. "Qu'est-ce qui autorise le gouvernement français à intervenir dans une querelle électorale en Côte d'Ivoire ? Le temps de la colonisation et des juges de paix à compétence étendue est terminé", a estimé Jacques Vergès, alors que Roland Dumas disait avoir "quelques indications pour pouvoir dire que tout le monde n'est pas d'accord dans la communauté internationale" pour demander le départ de Laurent Gbagbo.
Dumas et Vergès, un choix réfléchi
À y regarder de près, le choix des deux avocats français est loin d’être surprenant. Ancien ministre des Affaires étrangères de François Mitterrand, Roland Dumas est à la fois un fin connaisseur des affaires internationales et un spécialiste en droit constitutionnel - il a présidé le Conseil constitutionnel français entre 1995 et 2000. L’avocat est aussi un ancien cacique du Parti socialiste (PS), dont certains membres sont restés proches du camp Gbagbo. Mais d’après la "Lettre du continent", le lien entre Gbagbo et Dumas ne serait pas le fait du PS mais plutôt de Marcel Ceccaldi, ex-conseiller juridique de Jean-Marie Le Pen et soutien de Laurent Gbagbo, qu’il a défendu bec et ongle à l’antenne de la Radiodiffusion télévision ivoirienne (RTI).
itJacques Vergès, lui, pourrait être choisi comme conseil de Laurent Gbagbo pour sa notoriété en tant que pénaliste international - Khieu Samphan, l’un des anciens dirigeants khmers rouges, ou Tarek Aziz, autrefois ministre de Saddam Hussein, font partie de ses clients récents - et sa connaissance des affaires africaines. L'avocat a notamment défendu les présidents Omar Bongo (Gabon), Moussa Traoré (Mali) ou Abdoulaye Wade (Sénégal). Surtout, Jacques Vergès est un fervent anticolonialiste. Et les propos qu’il a tenus dans une interview au journal burkinabè "Le Pays" le 15 décembre devraient plaire à Laurent Gbagbo : "L’Occident appuie un candidat. Je pense que c’est une erreur. Ce candidat apparaît comme un candidat de l’étranger […] Je pense que les pays africains ont raison de ne pas appliquer le mandat international. L’Afrique n’est plus sous tutelle […] Ce n’est pas à un ramassis de gens venus de toute sorte de pays [la Cour pénale internationale, NDLR] de juger les Africains, surtout que tout est orienté vers le noir."
Gbagbo et la justice internationale
itPlacée sous de tels auspices, la contre-offensive Laurent Gbagbo pourrait prendre trois directions.
1re possibilité : le président sortant chercherait à faire mettre en cause par un avocat le scrutin du 28 novembre, et à faire certifier qu’il a été entaché de fraudes massives dans plusieurs régions du Nord. Les avocats de Laurent Gbagbo pourraient aussi être amenés à vérifier les procès-verbaux compilés par le Conseil constitutionnel, qui a proclamé sa victoire contre l’avis de la Commission électorale indépendante (CEI), et à certifier leur valeur juridique.
2e possibilité : Laurent Gbagbo chercherait à plaider sa cause auprès de tribunaux internationaux. Une rumeur veut ainsi qu’il ait déposé une requête auprès de la cour de justice de la Cédéao. Mais, joint jeudi par téléphone, le ministère de la Justice de Laurent Gbagbo affirmait ne pas être au courant, alors qu’il était impossible de joindre des responsables de la Cédéao.
Selon certaines sources, Laurent Gbagbo pourrait également introduire une requête auprès de la Cour internationale de justice (CIJ). Cet organe judiciaire, dépendant des Nations unies et siégeant à La Haye (Pays-Bas), permet en effet à un État membre de l’ONU de porter plainte contre un autre État membre. "En tant que chef d’État, Laurent Gbagbo peut essayer de saisir la CIJ contre par exemple des États qui lui imposeraient des sanctions, comme la France" indique un juriste international joint par FRANCE 24. Et à ceux qui objectent que le gouvernement Gbagbo n’est pas reconnu par les Nations unies, ce juriste rappelle le cas du Honduras : bien que non reconnu par l’ONU, le gouvernement putschiste de Roberto Micheletti avait pu introduire une plainte auprès de la CIJ en octobre 2009.
3e possibilité : le président sortant ivoirien s’entourerait d’avocats pour préparer sa défense en cas de mise en cause auprès de la Cour pénale internationale (CPI), juridiction chargée de juger les personnes accusées de génocide, crimes de guerre et crimes contre l'humanité. "Le plus probable serait pour crimes de guerre, dans le cadre d’un conflit armé non-international", précise ce même juriste international. La Côte d'Ivoire n'étant pas un Etat partie de la CPI, il faudrait alors que le Conseil de sécurité de l'ONU saisisse le procureur de cette juridiction pénale internationale.
Plus simplement, Laurent Gbagbo pourrait bien faire appel à des avocats de renom au carnet d’adresses bien remplis pour négocier dans les meilleurs termes une sortie honorable...