logo

Vidéo des Français enlevés au Niger : ce que révèlent les détails

La vidéo montrant les sept otages enlevés le 16 septembre au Niger, soulève de nombreuses questions. Mise en scène, véhicules, habillements, armes, identification du chef Abou Zeïd : le spécialiste Mathieu Guidère décrypte en détail la vidéo.

Diffusée jeudi par la chaîne Al-Jazira, la vidéo des sept employés d’Areva enlevés dans la nuit du 15 au 16 septembre par un commando d'Aqmi (Al-Qaïda au Maghreb islamique) représente la première image et le premier enregistrement sonore des otages depuis le rapt survenu à Arlit, au Niger. Cette vidéo donne un "signe encourageant" de la survie des otages, comme l'indique le Quai d’Orsay. Mais les images soulèvent également de nombreuses questions.

Mise en scène, véhicules, habillements, armes, identification du chef Abou Zeïd : Mathieu Guidère, professeur de veille stratégique et spécialiste d’Al Qaïda au Maghreb, décrypte en détail la vidéo.

Le type de désert

"C’est un paysage qu’on ne trouve pas au Niger, ni dans le sud de l’Algérie, ni en Mauritanie. Ce serait plutôt le désert du Mali, dans le nord.

La vidéo a forcément été tournée près d’une oasis. Car les feuillages que l’on voit sont ceux de grands arbres, pas des arbustes du désert nigérien. D’ici quelques jours, on pourra savoir à peu près de quelle région il s’agit : ces arbres-là sont très spécifiques.

D’après l’ombre sur les otages, la vidéo a été prise en fin de matinée, vers 11 heures."

Les pick-up et les armes

"Les véhicules sont des pick-up récents, de marque Toyota, qu’ils ont volé à l’armée mauritanienne, deux jours après la prise d’otages. Idem pour les armes, y compris les lance-roquettes. Le message est donc double : non seulement le groupe assume sa prise d’otages, mais il exhibe également sa prise de guerre."

Le 4 x 4 à droite

"Selon la vidéo diffusée sur France 3, il y a deux semaines, il s’agit du véhicule d’Abdelhamid Abou Zeïd (l'un des principaux chefs de l’Aqmi qui a notamment dirigé l'enlèvement du Français Michel Germaneau, exécuté en juillet dernier, NDLR). Ce 4 x 4 est plus confortable qu’un véhicule de guerre. Je pense que chaque otage repart séparément dans un véhicule, avec son garde du corps, pour éviter les phénomènes de groupe tels que la panique, les tentatives d'évasion concertée, les éventuelles disputes, etc."

L’homme assis à gauche, à visage découvert

"Il s’agit bien d’Abdelhamid Abou Zeïd, qui a revendiqué l’enlèvement des cinq Français. L’ancien otage Pierre Camatte l’a reconnu. Et sur une précédente photo, il était assis dans la même position. D’ailleurs, qui d’autre prendrait la responsabilité de se mettre à visage découvert ?"

L’homme debout, à visage découvert

"Il s’agit probablement d’un combattant qui se prend pour un héros – ou alors un coup de vent a malencontreusement soulevé son chèche. En tout cas, ce garde du corps a certainement perdu toute crédibilité avec cette vidéo."

Posture et tenue des combattants

"Ce sont des combattants qui font office de garde du corps le temps de cette prise d’otages. Remarquez que leurs armes ne sont pas pointées vers les otages, mais vers le sol. Cela signifie qu’ils gardent les otages, et ne les menacent pas. Il faut comparer avec d’autres vidéos de ce type, où l’arme est pointée sur la tempe de l’otage. Rien de tel ici. Les combattants se trouvent même à distance des otages, d’au moins trois mètres. Sans oublier la dizaine de combattants qui sont restés au fond, que l’on distingue à peine en arrière-plan, et à qui le chef a sûrement dit : 'restez derrière, je ne veux pas vous voir sur la vidéo'.

D’après leurs habits, il s’agit de combattants issus de différentes régions : on reconnaît des habits touaregs, d’autres sont mauritaniens."

Les tenues des otages

"Les sept otages ont des habits propres : cela signifie qu’on s’occupe d’eux. Les preneurs d’otages ont une obligation légale, d’un point de vue islamique, de bien traiter leurs prisonniers. Sinon, ils seront désavoués par les leurs. Les otages mangent correctement, et ne sont pas maltraités ni battus. Ils vivent dans le désert, comme les combattants." Leurs pieds nus ? "C’est parce qu’il fait très chaud, tout simplement."

La bande-son

"Les otages ont été réunis pour cet événement, mais l’enregistrement des questions s’est fait séparément, notamment pour éviter la contagion de la peur. Les questions sont de toute évidence posées et reposées à plusieurs reprises, cela a pris du temps. Il a fallu du montage derrière. C’est pourquoi le fond sonore est discontinu. Les otages disent qu’ils ont été enlevés par Aqmi, mais ils ont dû le découvrir au moment de l’enregistrement, quand les combattants leur ont dicté cette réponse."

La voix masculine qui pose les questions en français

"Cela signifie qu’ils ont fait l’effort d’avoir un interprète francophone, et qu’ils sont prêts à négocier, même en français. Cela veut dire aussi qu’il y a des terroristes francophones parmi eux. Je dirais même qu’il s’agit d’un terroriste francophile : sa voix n’est pas particulièrement menaçante. Il faut comparer avec d’autres interrogatoires de ce type pour entendre cela."

Le mode de diffusion de la vidéo

La vidéo a été montée - et le visage de la femme flouté - par la société officielle de diffusion d’Aqmi, Al-Andalus media [dont le nom fait référence à la domination musulmane en Espagne au Moyen Age, NDLR]. Cette société dispose de professionnels de la prise vidéo, du montage et de la diffusion. Les images et le son ont ensuite été mis en ligne à partir d’un cybercafé, envoyés par un mail anonyme, notamment à la chaîne de télévision Al-Jazira. Le buzz a fait le reste.