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Fraude et violence, les deux spectres des élections législatives

Alors que 10,5 millions d'Afghans élisent leurs députés, samedi 18 septembre, beaucoup espèrent ne pas revivre le chaos de la présidentielle de 2009. Un mince espoir... Les Taliban revendiquent déjà 19 enlèvements liés aux élections.

Deux jours avant le coup d’envoi des législatives, les villages de la province de Wardak (est de Kaboul) se réveillent couverts de tracts et d'affiches, placardés sur les façades des mosquées, des écoles et des bazars.

Ces "affiches nocturnes" (ou shabnamah), que France24 a pu consulter, sont signées des

Taliban. Elles sont, sans surprise, hostiles au scrutin. Les Pachtounes qui vivent dans cette région en ont l’habitude. En haut des affiches, une manchette portant le symbole taliban – un coran ceint de deux cimeterres – et en-dessous un texte écrit en pachto qui met en garde celles et ceux qui voudraient aller voter.

Car ces élections, préviennent les affichettes, sont une "invention américaine" que "notre nation musulmane" devrait "boycotter, comme toutes les influences étrangères, afin de conduire dehors les envahisseurs" et de "vivre selon le jihad".

"Des élections à l’afghane..."

On doit la petite phrase au représentant spécial des Nations unies en Afghanistan,

Les élections en chiffres
  • Deuxièmes législatives depuis 2001
  • Plus 10,5 millions d'électeurs appelés aux urnes
  • 2 500 candidats
  • 249 députés
  • 68 sièges réservés aux femmes
  • 9 menaces sur 10 concernent des femmes
  • 6835  bureaux de vote
  • 1000 pourraient être fermés pour raison de sécurité

Staffan di Mistura. Au cours d’un discours sur le scrutin afghan, il y a quelques mois, il prévenait son auditoire : "ces élections ne peuvent être et ne seront pas des élections à la suisse… ce seront des élections à l’afghane".

En août 2009, la communauté internationale s’était trouvée prise au dépourvu par la violence et les allégations de fraudes, qui avaient accompagné la réélection de Hamid Karzaï. Énorme désillusion. Alors cette fois, au vu des violences et des intimidations déjà nombreuses, maigres sont les illusions des analystes sur le bon déroulement des législatives afghanes.

Dans un rapport intitulé "Qui contrôle le vote ?" et rendu public début septembre, le Réseau d’analystes sur l’Afghanistan (AAN) relevait que l’humeur des observateurs internationaux du scrutin "oscille entre l’espoir que les élections soient plus propres et la résignation, teintée de cynisme, que des élections afghanes se feront par nature dans la confusion".

Plus que dans la confusion, elles semblent devoir se dérouler dans la violence. Dans la dernière ligne droite avant le vote de samedi, au moins 19 décès ont été liés au scrutin, dont ceux de quatre candidats assassinés entre le 15 juillet et le 25 août, dénombre la Fondation pour des élections justes et libres en Afghanistan (FEFA), une organisation non-gouvernementale installée à Kaboul. Les candidates sont particulièrement exposées, indique également un rapport d’Amnesty International.
Et la veille du scrutin, 19 personnes, parmi lesquelles un candidat et 8 fonctionnaires de la Commission électorale, ont été enlevées dans deux provinces afghanes. "Toutes les routes menant aux bureaux de vote vont être attaquées" a menacé Zabihullah Mujahid, un porte-parole du commandement taliban.

Un contre-pouvoir à Karzaï

Même si les conditions de sécurité et d’impartialité sont loin d’être réunies, les enjeux de ces élections législatives, les secondes depuis la chute des Taliban en 2001, restent essentiels.

"C’est l’occasion pour la population afghane de dire ce qu’elle veut vraiment, et ce qu’elle ne veut plus, que ceux qui jouissent de la corruption et de l’impunité devront rendre des comptes" écrit Martine van Bijlert, la rédactrice du rapport "Qui contrôle le vote ?". "D’autant plus, ajoute t-elle, que le parlement est un organe représentatif très important pour les Afghans. Il est primordial qu’ils puissent lui faire confiance".

Un parlement qui a toujours été bien timide face au puissant président Hamid Karzaï, mais qui se met à hausser le ton, rejetant par exemple la plupart des ministres nommés au cabinet Karzaï en début d'année.

Les chefs de guerre, arbitres du vote ?

Mais le système politique afghan n’est pas fait pour une organisation en partis, à l’occidentale. Tout est fait en Afghanistan pour affaiblir les partis politiques, en les empêchant notamment de contester les scrutins.

Résultat : mieux vaut pour un candidat se présenter en tant qu’indépendant plutôt que sous la bannière d’un parti. Et la plupart des 2500 candidats briguant les 249 sièges de la Wolesi Jirga (chambre basse) sont indépendants. Une indépendance en apparence, car ces candidats doivent bénéficier du soutien d'hommes forts du pays, et s'inscrire dans un système de patronage, de négociations et donc… de dépendance.

Car la vie politique afghane demeure dominée par des factions, aux intérêts parfois contraires, héritage de 30 années de guerre civile. Abdul Rachid Rostom, leader de la communauté ouzbèque, ou Mohammed Mohaqiq, homme fort des Azaras, jouent ainsi le rôle décisif de faiseurs de rois.

"Malgré les menaces, les électeurs jouent leur rôle"

"Je crois que cette fois-ci, nous sommes mieux préparés au vote", confesse l’un des observateurs du scrutin, Andy Campbell, responsable du think-tank américain National democratic Institute. Dotée de nouveaux dirigeants suite au cafouillage lors de la réélection d'Hamid karzaï en 2009, la Commission électorale indépendante afghane (IEC) a ainsi renforcé ses procédures de contrôle du vote, un moyen de gagner la confiance des électeurs dans le processus électoral.

"Bien entendu, rien ne sera simple. On ne prépare pas un scrutin de la même manière si le pays est en paix ou, comme l’Afghanistan, en état d’insurrection permanente, poursuit Andy Campbell du National Democratic Institute. Mais ce qui est surprenant à chaque fois dans ce pays, c’est que malgré les menaces, malgré les violences, malgré les intimidations, les électeurs jouent leur rôle et bravent le danger".