logo

"La polygamie, comme la burqa, est un phénomène ultraminoritaire"

Brice Hortefeux souhaite que la nationalité française puisse être retirée aux personnes polygames. Les associations rappellent qu'une loi existe déjà et déplorent le manque de volonté politique d'aider les femmes en difficultés.

C'est Lies Hebbadj (photo) qui a été le détonateur de cette proposition. Dès avril, le dossier de ce commerçant nantais, compagnon d'une femme verbalisée pour avoir conduit avec un niqab, soupçonné de polygamie, a provoqué de vives réactions au sein du gouvernement. Le ministre de l'Immigration, Eric Besson, avait alors évoqué la possibilité d'une "évolution législative" pour pouvoir déchoir de leur nationalité les personnes polygames.

Début août, le ministre de l'Intérieur, Brice Hortefeux, a remis cette proposition sur la table. L'affaire Lies Hebbadj est "un cas de société plus qu'un fait divers", a-t-il estimé. 

Briser un tabou

Sonia Imloul, présidente de l'association "Respect 93" et expert, associée de l'Institut Montaigne, a rédigé en 2009 l'un des rares rapports traitant de la polygamie dans le pays, "La polygamie en France : une fatalité ?". Si elle doute de la faisabilité juridique de la proposition gouvernementale, elle n'y est pas fondamentalement opposée, arguant qu'elle pourra au moins briser le tabou. "La polygamie existe depuis très longtemps et a des conséquences désastreuses, notamment sur les femmes, explique-t-elle. J’ai l’impression que là, le gouvernement s’empare du sujet, même s’il ne sait pas vraiment par quel bout le prendre. Il n’existe aujourd'hui aucun dispositif de lutte contre ce phénomène."

"Quand on ne dit pas les choses et qu'on laisse une situation perdurer, c’est encore pire, poursuit Sonia Imloul. Il faut dire que la polygamie existe, et la combattre. Je suis partisane de l’imposition de sanctions contre ces hommes qui ramènent des femmes et les enferment. Je pense qu’il faut frapper un grand coup pour que ça change."

Au contraire, Sarah Oussekine, fondatrice et secrétaire générale de l’association Voix d’Elles Rebelles en Seine Saint-Denis, se dit "dans une colère noire" après les propositions du gouvernement d'élargir les motifs de déchéance de la nationalité. "La polygamie, comme l’excision, sont des phénomènes ultraminoritaires, tempête-t-elle. C’est la même chose qu'avec la burqa ! Il y a des problèmes beaucoup plus importants à résoudre, comme ceux du travail, du logement, de l’accès aux soins. La situation est déjà tellement dure dans les quartiers ; pourquoi nous pourrit-on la vie avec ces sujets ?"

Un an de prison et 45 000 euros d’amende

Si les études statistiques manquent pour évaluer précisément le phénomène, la Commission nationale consultative des droits de l'Homme (CNCDH) a estimé en 2006 que le nombre de familles polygames était compris entre 16  et 20 000 en France. "Il y aurait, adultes et enfants compris, au maximum 180 000 personnes vivant en situation polygamique, ce qui représente moins de 0,3 % de la population française", précise le rapport, qui note une tendance générale à la diminution de ces pratiques.

Le regroupement familial de type polygamique était autorisé en France jusqu'en 1993. Une situation à laquelle a mis fin la loi du 24 août de cette même année : depuis, un étranger ne peut obtenir un titre de séjour s'il est polygame. L'article 147 du Code civil interdit de contracter un second mariage si les liens du premier n’ont pas été rompus et la bigamie est un délit, sanctionné par une peine d'un an de prison et une amende de 45 000 euros.

"La loi existe, constate Sarah Oussekine. Où le gouvernement est-il allé chercher l'idée de déchoir ces populations de leur nationalité ? D'ailleurs, la plupart des personnes polygames ne sont pas françaises, elles ne disposent que d'une carte de séjour. Priver ces personnes de leur nationalité ou de leurs papiers va détruire encore plus les familles et le lien social. Sur le terrain, je peux vous dire qu’il n'y a aucune volonté politique d'aider les femmes en difficultés."

"Parcours du combattant"

"On va résoudre le problème de la polygamie en faisant de la prévention, de la sensibilisation et de l’accompagnement, pas en sanctionnant", insiste Sarah Oussekine. Les acteurs associatifs appellent notamment à faciliter le processus de décohabitation des épouses et leur accès à l’autonomie. Ces femmes doivent, en même temps, "trouver un logement pour matérialiser la séparation, avoir de nouveaux papiers pour garantir leur autorisation de séjour, avoir des revenus... Sachant que très souvent ces trois conditions sont conditionnées les unes par les autres, ce parcours s’apparente à celui du combattant", note le rapport de la CNCDH.

"La concentration de ces familles [polygames] crée un effet de loupe qui, médiatisé lors du moindre incident, donne l’impression d’un phénomène non seulement massif mais pouvant nuire gravement à l’ordre public. Ainsi, parlant de polygamie, on montre des voitures qui brûlent, mais rarement les conditions de vie réelles des femmes et des enfants", affirme par ailleurs la commission dans son étude.

Lors des émeutes de banlieues de 2005, plusieurs personnalités telles que le ministre du Travail, Gérard Larcher, le président du groupe UMP à l’Assemblée nationale Bernard Accoyer ou la secrétaire de l’Académie française Hélène Carrère d’Encausse avaient affirmé que la polygamie créait des situations de délinquance et était l’une des causes de ces violences urbaines. Une idée "totalement absurde", assène aussi bien Sarah Oussekine que Sonia Imloul…