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"L'illusion vaut mieux qu’un médicament"

, envoyé spécial à Cannes – Avec "You Will Meet a Tall Dark Stranger", Woody Allen a recours à sa recette habituelle : un casting de rêve, une intrigue romantique, des dialogues caustiques. Le réalisateur livre à France 24 sa méthode de travail. Regardez la vidéo.

Woody Allen : "Comment je trouve l'énergie pour réaliser autant de films ? C'est la peur qui me motive ! Le travail est une merveilleuse distraction. Je me réveille le matin et je me demande : est-ce que je vais avoir cet acteur ? Comment faire pour les costumes, la caméra, la lumière, le scénario ? Il y a beaucoup de problèmes futiles à résoudre. Et si je n'y arrive pas, il n'y a rien de dramatique, c'est juste un mauvais film.

Mais si vous n’avez pas ces problèmes, si vous restez chez vous à ne rien faire, vous commencez à réfléchir à des vrais problèmes. Vous vous dites : je vieillis, je pourrais avoir la maladie d’Alzheimer ou un cancer, qu’est-ce que je fais ici ? La vie est courte, cruelle et sans signification.

Tout cela est mis de côté quand vous travaillez. Moi, je travaille tout le temps par désespoir et par peur. Lorsque je termine un projet, je ne veux pas de temps libre, je veux tout de suite passer à la suite. Comme ça, je n’ai pas le temps de réfléchir à la terrible situation dans laquelle se trouve l’humanité.

Je pense que nous essayons tous d'éviter l’inévitable d’une manière ou d’une autre. Malheureusement, comme le montre le film, un grand et obscur étranger frappe un jour à votre porte et vous n'y pouvez rien. Il semble que les seules personnes qui arrivent à trouver une certaine paix sont celles qui se font des illusions. Celles qui se disent des choses comme : mon prêtre, mon rabbin me dit que tout va bien se passer. Si ce n’est pas un prêtre ou un rabbin, c’est une voyante, ou toutes ces personnes qui vous promettent des solutions magiques…

Depuis mon enfance, il me semble que les gens recherchent des solutions magiques. Le film le dit : parfois, l’illusion est mieux qu’un médicament. Si vous allez chez le médecin, il peut vous aider jusqu’à un certain point. Mais parfois, il vous dit qu’il a fait tout ce qu’il a pu. C’est ça, la science.

Si vous allez voir un prêtre, un astrologue ou une voyante, ils peuvent vous aider pour tout ! Je pense que la seule façon d’échapper à la condition humaine, c'est le recours à la magie - même si je n’y crois pas. Sans elle, on ne peut pas échapper à notre condition. J'espère qu'il existe un tour de magie qui pourra tous nous libérer de notre condition, même si jusqu’à présent je ne l’ai pas trouvé.

J’ai eu conscience très tôt de tout cela, mais ça devient de plus en plus évident avec le temps. Quand on est jeune, on se dit que tout est très important, et qu’on doit tout réussir : la carrière, la vie, nos choix. Mais avec le temps, on se rend compte qu’un jour on meurt et que le soleil s’éteindra, que la Terre n’existera plus, et que toutes les étoiles, tous l’univers, disparaîtront, qu'il ne restera rien. Il n’y aura plus de Shakespeare, de Beethoven, de Michel-Ange. Tout cela sera parti. On se dit : voilà beaucoup de bruit et d’hystérie… mais où va-t-on ? Nulle part.

Aujourd’hui, on parle des Américains et de l’Afghanistan, d’Israël et des pays arabes, de notre président, de l’économie… D’autres espèrent le succès de leur film à Cannes. Ma femme, elle, espère que le teinturier lui enverra sa robe à temps. Et puis tous les cent ans, quelqu’un appuie sur un bouton, et c’est comme si on tirait sur une énorme chasse d’eau, et tout le monde sur Terre change.

Mais attention, vous ne pouvez pas vivre votre vie comme ça ! Sinon, pourquoi se lever le matin ? Il me semble que c’est le rôle de l’artiste d’essayer de trouver pourquoi - malgré cette condition terrible - il faut continuer à vivre, sans se faire de fausses illusions sur le paradis et sur l’enfer. Il faut trouver pourquoi la vie vaut la peine. C’est une tâche difficile d'expliquer à quelqu’un pourquoi il faut continuer de vivre. C’est un défi continu pour les artistes."

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La critique du film "You Will Meet a Tall Dark Stranger", par Jon Frosch, envoyé spécial à Cannes:

Dans "You Will Meet a Tall Dark Stranger", Woody Allen a rassemblé son traditionnel casting de stars pour raconter l’enchevêtrement d’intrigues romantiques et de rêves brisés d’une famille londonienne.

Pas assez drôle pour ficeler une comédie, pas assez chargé d’émotion pour faire un drame, le film est l’une des performances les plus ternes du réalisateur - particulièrement décevant après le renversant " Match Point" et la sensualité piquante de "Vicky Cristina Barcelona". La caméra de Woody Allen est pourtant plus sûre que jamais et les acteurs comme Naomi Watts, Josh Brolin et Gemma Jones offrent une prestation aussi brillante que drôlatique.

Les névroses qui font les trames de Woody Allen paraissent imposées par le réalisateur, plutôt que portées intrinsèquement par les personnages.

Même si le film reste tout à fait regardable (Allen est bien trop pro pour véritablement rater un film), les tics de narration du réalisateur semblent particulièrement éculés ; combien de fois est ce que l’on peut regarder un vieil homme laisser tomber sa régulière pour une jeunette affublée de minijupe et talons aiguilles, et continuer de trouver ça drôle ou même convaincant.
Et pour ajouter à l’ennui, le film fait preuve de trop peu de paresse pour explorer ces thèmes. "You Will Meet a Tall Dark Stranger" parle de gens frustrés qui rêvent de ce qu’ils n’ont pas, et le vétéran de la réalisation effleure à peine la surface du propos. Pour le coup, les fans parmi les fans de Woody Allen ressentiront assurément une certaine frustration.