Rassemblés sous le slogan "Plus jamais ça", défenseurs des droits de l'homme, intellectuels et artistes turcs ont défilé dans les rues d'Istanbul en mémoire aux victimes du génocide perpétré par l'Empire ottoman contre les Arméniens en 1915.
AFP - Des défenseurs des droits de l'homme, intellectuels et artistes turcs ont pour la première fois commémoré publiquement samedi à Istanbul les massacres d'Arméniens de 1915-17, brisant un tabou en Turquie, pays qui récuse la thèse d'un génocide défendue par les Arméniens.
La section stambouliote de l'Organisation des droits de l'homme (IHD) a organisé une commémoration pour la rafle de 220 membres de l'intelligentsia arménienne, le 24 avril 1915, point de départ des massacres.
Rassemblés sous le slogan "Plus jamais ça" sur les marches de la gare d'Haydarpasa d'où est parti le premier convoi de déportation, une centaine de manifestants ont rendu hommage aux Arméniens disparus, a constaté l'AFP.
Encadrés par la police et suivis par une myriade de caméras, ils portaient des photos en noir et blanc de quelques-uns des déportés dont la plupart ne sont pas revenus.
La police a tenu à bonne distance un groupe de contre-manifestants dont d'anciens diplomates qui arboraient des drapeaux turcs. Quarante-deux diplomates turcs ont été assassinés par l'organisation extrémiste arménienne Asala dans les années 1970 et 1980.
Une autre manifestation devait avoir lieu à 16H00 GMT sur la place Taksim, au coeur de la partie européenne d'Istanbul. Des intellectuels et artistes ont signé une pétition appelant "tous ceux qui ressentent cette grande douleur" à manifester leur deuil.
Pour ne pas heurter, le texte évoque la "Grande catastrophe", au lieu d'employer le terme "génocide" mais malgré cette précaution, les organisateurs craignaient des incidents. "Toutes les mesures préventives ont été prises mais il y a toujours des excités", a indiqué à l'AFP, Cengiz Aktar, un universitaire d'Istanbul.
"La Turquie essaie de mettre en place une politique de mémoire, malgré le langage officiel" qui rejette catégoriquement le terme de génocide, explique ce chercheur à l'Université de Bahçesehir.
"Le djinn est sorti de la bouteille", affirme M. Aktar qui estime que "les tabous brisés ne concernent pas seulement l'Arménie mais d'autres sujets occultés, comme la question kurde".
En 2005, l'écrivain et prix Nobel Orhan Pamuk s'était attiré les foudres de la justice pour avoir déclaré: "un million d'Arméniens et 30.000 Kurdes ont été tués sur ces terres".
Deux ans plus tard, le journaliste arménien Hrant Dink était assassiné à Istanbul. La participation massive des Turcs à ses obsèques avait ouvert la voie à une remise en question de l'histoire officielle qui parle de "massacres mutuels".
Samedi à Erevan, des dizaines de milliers d'Arméniens défilaient à l'occasion de ce 95e anniversaire du massacre des Arméniens.
Ces manifestations interviennent deux jours après l'annonce d'un coup d'arrêt dans le processus de rapprochement engagé depuis plusieurs mois par la Turquie et l'Arménie.
Le président arménien Serge Sarkissian a en effet déclaré que son pays gelait la ratification d'accords historiques de normalisation avec Ankara, accusé de poser des conditions inacceptables.
Les Arméniens qualifient de génocide les persécutions et déportations, de 1915 à 1917, qui ont fait selon eux 1,5 million de morts. France et Canada font partie des pays ayant reconnu l'existence du génocide.
La Turquie reconnaît qu'entre 300.000 et 500.000 personnes ont péri mais, selon Ankara, elles n'ont pas été victimes d'une campagne d'extermination mais du chaos des dernières années de l'Empire ottoman. La Turquie affirme aussi que des dizaines de milliers de Turcs ont été massacrés par les nationalistes arméniens qui se sont alliés à l'ennemi russe lors de la Première guerre mondiale, avant la décision du gouvernement ottoman de déporter les Arméniens vers la Syrie.