
Capture d'écran d'une vidéo dans laquelle un militaire putschiste, qui se présente comme étant le lieutenant-colonel Patrice Tigri, demande à la population béninoise de se mobiliser pour le coup d'Etat. © CMR
Dimanche soir, vers 21 h 30. Un peu plus d’une heure après l’allocution du président béninois Patrice Talon, qui assurait que la situation était "sous contrôle" après la tentative de coup d’État manquée, plusieurs pages sur Facebook affirmaient encore que la ville de Cotonou était le théâtre d’intenses échanges de tirs entre les putschistes et l'armée béninoise.
A l'appui, une vidéo d'une trentaine de secondes filmée en pleine nuit, dans laquelle il est possible d'entendre de nombreux coups de feu, sans toutefois distinguer le lieu.
Parmi les comptes qui diffusent la vidéo se trouve la page Facebook qui se présente comme la page officielle du Conseil militaire pour la refondation (CMR), du nom de l'organisation à l'origine du coup d'État contre le président béninois Patrice Talon. "Nous appelons la population de Cotonou à regagner leurs domiciles. Les mercenaires de Talon ont attaqué l’une de nos positions, et nous sommes en train de riposter", pouvait-on lire sur cette page, dans une publication vue plus de 100.000 fois.
Mais la vidéo en question est en réalité plus ancienne : une recherche d'image inversée (voir notre guide) permet de retrouver d'autres occurrences de cette vidéo à au moins octobre dernier, démontrant de fait qu'elle ne montrait pas la situation à Cotonou le 7 décembre.
Des intox pour faire croire à la poursuite du coup d'État
Tout comme de nombreux comptes issus des sphères de soutien aux juntes de la région, la page présentée comme celle du Conseil militaire pour la refondation n'a cessé de diffuser toute la journée de fausses informations pour faire croire à la réussite de ce coup d'État manqué contre le président béninois.
Notre rédaction n'a pas pu déterminer si cette page, créée le jour-même de la tentative de coup d'État manquée, est directement gérée par les putschistes ou par des soutiens.
Mais elle fût en tout cas l'un des nombreux relais d'une désinformation débutée dès les premières heures de cette tentative de coup d'État, annoncée en direct par le CRM, organisation jusqu'alors inconnue, à la télévision d'État béninoise, BTV, vers 8 heures du matin heure locale.
Depuis, l'intervention de l'armée béninoise, avec l'aide du Nigeria voisin, a permis de mettre en échec un groupe de militaires mutins. Néanmoins, alors qu'il devenait de plus en plus probable que la tentative visant à démettre Patrice Talon pour installer le lieutenant-colonel Patrice Tigri avait échoué, ses soutiens ont tout de même cherché à faire croire à la poursuite du coup d'État.
Plusieurs pages de soutien, notamment issues du pays voisin, du Burkina Faso, ont par exemple prétendu que l'intervention diffusée par le ministre béninois de l'Intérieur Alassane Seidou vers 13 heures avait été générée par intelligence artificielle et que le ministre était en réalité détenu par le CMR, sans qu'aucun élément factuel ne vienne confirmer cette affirmation. Dans cette déclaration diffusée par les canaux officiels béninois, le ministre affirmait que l'armée béninoise avait "permis de garder le contrôle de la situation et de faire échec à la manœuvre".
Même chose pour l'allocution de Patrice Talon, qui s'est exprimé à 20 heures pour annoncer que la situation était "sous contrôle" : "C'est du fake !" a soutenu la page "Notre Bénin", mentionnant l'usage de l'IA sans toutefois apporter aucun élément de preuve.
Une désinformation diffusée par des comptes pro-AES
La page Facebook "Notre Bénin", qui est parmi les trois seuls comptes suivis par la page dite "officielle" du Conseil militaire pour la refondation, a accumulé les fausses informations tout au long de la journée. Elle a même usurpé l'identité de France 24 dans un montage faisant croire que la chaîne avait confirmé le succès du coup d'État.

Comme le montre l'onglet “Transparence de ce groupe”, l'administrateur de cette page sur le Bénin serait basé au Burkina Faso, pays dirigé par la junte d'Ibrahim Traoré et qui compose l'Alliance des Etats du Sahel (AES) avec le Mali et le Niger.

Depuis le début du coup d'État, de nombreuses fausses informations issues de comptes soutenant les juntes de l'AES ont été diffusées. Plusieurs de ces comptes ont par exemple fait croire à partir d'images décontextualisées à des manifestations d'ampleur pour les putschistes qui n'ont pas eu lieu.
Des publications issues de pages burkinabè ont notamment fait croire à la présence de "millions" de personnes dans la rue à partir d'images d'images anciennes - les images en question dataient de rassemblements anti-Talon de 2017 et 2018.

Faux communiqué, vidéo de Patrice Tigri : la communication trompeuse du MCR
Les putschistes ont également tenté à plusieurs reprises de faire croire au contrôle total de la situation et des institutions béninoises. Dans l'après-midi, un communiqué reprenant les éléments visuels de la diplomatie béninoise mais apposé du nom du CMR a annoncé la mise en place d'un supposé couvre-feu et d'une interdiction de quitter le pays pour "tous les membres de l'ancien gouvernement".
Un communiqué aussitôt dénoncé comme un faux par le compte officiel du ministère des affaires étrangères béninois.
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Accepter Gérer mes choixCette stratégie de communication trompeuse a également pris la forme d'une vidéo diffusée par le lieutenant-colonel Pascal Tigri lui-même. Le militaire béninois appelait dans cette séquence d'une trentaine de secondes la population à se mobiliser pour le CMR. La vidéo a aussitôt été relayée par de nombreux comptes anti-Talon, comme l'activiste béninois panafricaniste Kemi Seba.
Connu pour ses positions anti-françaises, le militant y voyait la preuve de la poursuite du putsch : "CONTRAIREMENT À LA PROPAGANDE DE PATRICE TALON ET DE SES ALLIÉS FRANÇAIS, LE CAMP DE TALON N’A PAS REPRIS LE CONTRÔLE", a-t-il déclaré vers 14 h 30, une position trompeuse également reprise par plusieurs comptes pro-AES sur la plateforme.
Ces tentatives se sont ainsi prolongées toute la journée. A 23 h 16, la page du Conseil militaire pour la refondation affirmait par exemple que Patrice "Talon ne contrôl[ait] plus rien sur le terrain", alors que le correspondant à Cotonou de RFI indiquait que la nuit de dimanche à lundi avait été calme à Cotonou.
Tout au long de la journée, ces comptes ont également dénoncé le supposé rôle joué par la France pour cesser le coup d'État et protéger le pouvoir béninois. La rédaction Info Vérif de RFI s'est penchée sur cette désinformation visant l'armée française, présente dans la région pour aider le pays à lutter contre le terrorisme et accusée d'avoir joué un rôle contre les putschistes.
Les putschistes désormais traqués
Au lendemain du putsch manqué par les militaires. des sources militaires ont indiqué à l'AFP qu'une douzaine de soldats avaient été arrêtés. Et une source sécuritaire précisait que des auteurs de la tentative de coup d'État étaient parmi eux. Selon une source proche du dossier, le lieutenant-colonel Pascal Tigri est toutefois en fuite.
Selon deux sources militaires interrogées par l'AFP, deux hauts gradés béninois qui étaient aux mains des putschistes ont été libérés dans la nuit de dimanche à lundi : le chef d'état-major de l'armée de terre Abou Issa et le chef d'état-major de la garde nationale Faïzou Gomina, pris en otage par les mutins retranchés près de la base de la Garde nationale.
La Cédéao a de son côté annoncé dimanche soir le déploiement immédiat de troupes régionales pour soutenir "le gouvernement et l'armée républicaine" du Bénin et "préserver l'ordre constitutionnel".
