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De la Pride à la censure d’applis de rencontre : comment la Chine ferme ses espaces LGBT+
Apple a cédé aux autorités chinoises et a retiré de son AppStore les applications de rencontre Blued et Finka, très populaires au sein de la communauté LGBT+. Une décision qui s’inscrit dans une succession de mesures rendant la vie des homosexuels plus dure en Chine.
Plusieurs mesures récentes ont visé les communautés LGBT+ en Chine. Getty Images - VlatkoRadovic

Ce ne sont que deux applications mais pour les homosexuels chinois, c’est un monde qui disparaît. Apple a accepté de retirer de son AppStore, mardi 11 novembre, les applications de rencontre Blued et Finka qui étaient parmi les plus populaires en Chine pour la communauté LGBT+.

Cette décision a été prise en réponse à "un ordre de l’administration chinoise du cyberespace", a précisé le célèbre fabricant d’iPhone.

Grindr déjà interdit

Ces applications étaient parmi les plus populaires en Chine pour la communauté gay. Blued a été téléchargé des dizaines de millions de fois, souligne le site de la BBC. Il existe encore quelques applications de rencontre spécialisées, "mais ce sont surtout des services locaux, beaucoup moins influents et utilisés que Blued et Finka", assure Bao Hongwei, spécialiste des cultures queer en Chine à l’université de Nottingham

Ce n’est pas la première fois que les autorités chinoises s’en prennent à ce type d’applications de rencontre. En 2022, l’appli américaine Grindr avait dû se retirer de Chine.

Mais l’interdiction de Blued et Finka "constitue une étape supplémentaire car il s’agissait de services développés en Chine", souligne Bao Hongwei. La censure de Grindr pouvait encore être mise sur le compte d’une dent particulière des autorités contre les applications occidentales, souvent accusées d’être des vecteurs d’influence étrangère.

"Blued, par exemple, avait même reçu une sorte d’approbation officielle puisque l’ex-Premier ministre chinois Li Keqiang avait rencontré le patron de Blued [Ma Baoli] en 2012", souligne Bao Hongwei.

La disparition de Blued et Finka "envoie un signal très déprimant pour la communauté, car c’est une indication que l’homosexualité est rejetée par les autorités, même quand elle s’exprime dans la sphère privée et qu’il ne s’agit pas de s’engager publiquement", note Bao Hongwei.

Moins de "Boy's Love", moins de mariages gay dans les films

Les avis de mauvais temps se multiplient en effet pour la communauté LGBT+ en Chine depuis un peu plus d’un an. Avant de s’en prendre à Blued et Finka, les autorités chinoises ont mené une campagne contre les auteurs de romans de "Boy’s Love", qui mettent en scène l’amour entre hommes de manière plus ou moins explicite.

Plusieurs de ces écrivains - ou plutôt écrivaines car ce sont souvent des femmes - ont été arrêtés ces derniers mois et interrogés par la police, souligne l’agence AP dans une enquête publiée jeudi 13 novembre. Jusqu’à récemment, ces livres étaient parmi les œuvres les plus lues et adaptées en dessins animés ou jeux vidéo, même "si ces récits n’ont jamais été bien vus par les autorités", souligne AP.

Le film d’horreur américano-australien "Together" a, quant à lui, subi les foudres de la censure avant sa sortie en Chine le 12 septembre. Le mariage d’un couple gay à l’écran s’est transformé en union hétérosexuelle, a noté le quotidien The Guardian.

Censure encore : le réseau social Weibo a fait disparaître, début 2024, des images virales de la danseuse chinoise transgenre Jin Xing qui brandissait un drapeau aux couleurs arc-en-ciel, symbole reconnu de fierté LGBT+. Son dernier spectacle a même été annulé en janvier 2025. Pourtant, cette artiste est une célébrité depuis des années en Chine.

La communauté lesbienne n’a plus de bar communautaire depuis juin 2024, lorsque le Roxie, dernier bar officiellement lesbien à Shanghai, a dû fermer "sous pression des autorités".

Des "trois non" à la censure

"Il est clair que les espaces de liberté pour les homosexuels deviennent de plus en plus rares en Chine", souligne Timothy Hildebrandt, spécialiste de politique sociale et des questions de sexualité en Chine à la London School of Economics. Pourtant, il n’en a pas toujours été ainsi.

La Chine a dépénalisé l’homosexualité en 1997 puis reconnu officiellement qu’il ne s’agissait pas d’une maladie mentale en 2001. Depuis lors, les homosexuels naviguent en eaux légales troubles. Ainsi, le mariage gay n’est pas reconnu en Chine, mais en 2016, la plainte d’un homme contre l’administration qui n’avait pas accepté d’enregistrer l’union avec son compagnon avait été jugée recevable par la justice. Victoire ? Quelque mois plus tard, pourtant, un tribunal avait rappelé que le mariage ne pouvait être célébré qu’entre un homme et une femme.

En fait, les autorités ont longtemps adopté "la doctrine des trois non - non à la répression, non au soutien et non à la promotion - qui est censée être toujours en vigueur", souligne Marc Lanteigne, sinologue à l’université Arctique de Norvège.

Ce laisser-faire a permis "aux années 2000 d’être une sorte d’âge d’or pour la communauté LGBT+", explique Timothy Hildebrandt. Mais les autorités ont nettement durci le ton ces cinq dernières années, ont constaté les experts interrogés par France 24. "En 2020, le défilé de la Shanghai Pride a été annulé, en 2021, les comptes sociaux de groupes LGBTQ étudiants ont disparu, puis en 2022, il y a eu l’interdiction de Grindr et en 2023, le centre LGBTQ de Pékin a été fermé", énumère Bao Hongwei.

La communauté LGBT+, victime collatérale

Pourquoi cette intensification de la répression ? En réalité, la question serait plutôt de savoir de quoi elle est le symptôme, d’après les experts interrogés. Car si les homosexuels pâtissent d’un climat de plus en plus délétère, c’est "parce que cette communauté est la victime collatérale du projet de ‘prospérité commune’ de Xi Jinping", assure Timothy Hildebrandt.

C’est un programme historique du parti communiste chinois pour promouvoir l’égalité à la fois économique et sociale que le président Xi Jinping remet de plus en plus en avant pour justifier son action. Mais "l'égalité, dans le sens maoïste, est très proche d’une sorte d’uniformité. Autrement dit, il n’est pas question d’accepter la différence, mais de promouvoir l’idée qu’on devient plus égal aux autres en leur ressemblant", résume Thimothy Hildebrandt.

Dans ce projet de "prospérité commune", il y a la mise en avant "des valeurs traditionnelles familiales et d’une certaine conception de la masculinité", souligne Marc Lanteigne.

L’importance accordée à la famille tient "au fait que la croissance de la population ralentit en Chine et que pour soutenir l’activité économique, il faut toujours plus de travailleurs", précise Bao Hongwei. Autrement, il faut plus de bébés pour plus de PIB.

Le PCC fait, en outre, "de plus en plus vibrer la corde nationaliste en mettant en opposition ce qui est chinois et ce qui est occidental. C’est encore plus flagrant depuis la fin du Covid-19", souligne Bao Hongwei. Les organisations et structures de soutien à la communauté LGBT+ en pâtissent directement car "comme ce sont souvent les associations les moins liées directement au pouvoir, elles sont le plus susceptibles d’être soupçonnées d’être infiltrées par l’Occident", souligne Marc Lanteigne.

La communauté LGBT+ se prend ainsi de plein fouet plusieurs évolutions politiques et sociales qui pourraient, a priori, n’avoir aucun rapport avec elle. Conséquence : "Il y a de plus en plus de personnes qui se sentent obligées de cacher leur homosexualité en Chine", reconnaît Timothy Hildebrandt.