
Le missile Bourevestnik russe est le premier à propulsion nucléaire. Il a sur cette illustration été représenté à l'aide d'une intelligence artificielle génératrice d'images © Studio graphique France Médias Monde
Il a le nom d’un petit oiseau, le pétrel, qui a la réputation d’être annonciateur de tempête. Tout un programme pour le Bourevestnik, premier missile à propulsion nucléaire, qui a été testé avec succès par la Russie, selon les fières déclarations du président Vladimir Poutine dimanche 26 octobre.
Le missile a volé 14 000 km en 15 heures, a précisé Valéri Guérassimov, chef d’état-major des forces armées russes. Le Bourevestnik pourrait ainsi aisément atteindre la ville de New York, située à environ 7 500 km de Moscou. Ce vol d’essai, réalisé le 21 octobre, "n’est pas la limite" du missile, a ajouté le général.
Des années d'efforts
"C’est une arme unique au monde, que personne d’autre ne possède", s’est enorgueilli le président russe.
Sa spécificité ? La propulsion nucléaire, qui lui permet de rester en l’air bien plus longtemps que la plupart des missiles intercontinentaux (ICBM) dotés de carburant chimique. Dans le cas du Bourevestnik, le réacteur nucléaire chauffe de l’hydrogène, qui fait office de carburant. "C’est un peu comme si vous aviez un moteur de voiture qui consommait beaucoup moins de litres aux 100 km", a décrypté pour l’AFP Amaury Dufay, chercheur à l'Institut d'études de stratégie et de défense à Lyon et spécialiste de la propulsion nucléaire.
Pour le Kremlin, c’est l’aboutissement d'années d’efforts pour mener à bien ce projet balistique. L’hypothèse d’un missile à propulsion nucléaire a été dévoilée pour la première fois par Moscou en 2018.
Les Russes sont ensuite restés discrets sur l’avancée des recherches. Au fil des ans, "il y a eu des échos médiatiques faisant état de plusieurs échecs lors de précédents essais, dont un qui aurait abouti à un incident grave", précise Huseyn Aliyev, spécialiste de la guerre en Ukraine à l’université de Glasgow.
En 2019, cinq ingénieurs nucléaires ont eu des funérailles en grandes pompes après leur mort lors d'un incident sur une site d’essais militaires. Incident à la suite duquel d’importantes hausses des radiations ont été enregistrées ce qui a été interprétées à l’époque comme le signe qu’il s’agissait de tests sur le missile secret à propulsion nucléaire.
Autrement dit, la Russie a beaucoup sacrifié, y compris des vies humaines, pour parvenir à mettre au point son missile Bourevestnik et être le seul pays à posséder une telle arme... Et pouvoir affirmer avoir réussi là où les États-Unis ont laissé tomber.
"Les Américains ont travaillé sur un projet similaire durant la guerre froide, mais ont préféré ne pas persévérer", souligne Huseyn Aliyev. Dans les années 1950, Washington a lancé le projet Pluto qui a permis de développer deux prototypes de missiles à propulsion nucléaire censés aider à contrer la menace soviétique.
En 1964, les États-Unis ont finalement jeté l’éponge. Mais pas parce que le projet était irréaliste. "Ils ont jugé que les avantages d’une telle arme était trop faibles par rapport au coût et au risque d’escalade nucléaire", résume Huseyn Aliyev.
Unique mais inutile ?
Le Kremlin, lui, semble avoir eu une autre analyse du rapport coût-avantages pour son missiles. En effet, même s'il s’est montré avare en détails, le projet Bourevestnik est probablement très onéreux. Un autre projet d’ampleur - le missile balistique Boulava pour sous-marins - a coûté plusieurs milliards de dollars, d’après plusieurs estimations.
Et ce n'est pas qu'une question d'argent. "Les ressources technologiques, industrielles et humaines sont toutes limitées. Et tout ce qui est alloué à ce missile ne l’est pas pour d’autres projets", assure Alexandre Vautravers, spécialiste des questions d'armement et rédacteur en chef de la Revue militaire suisse.
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Pourtant, ce missile ne va pas révolutionner le champ de bataille d'après les experts interrogés. "Son mode de propulsion est sa seule particularité. Des missiles de croisière qui peuvent voler à haute altitude de manière hypersonique, ça existe déjà. Des missiles qui peuvent voler à très basse altitude pour échapper à la détection aussi. Il y en a également qui peuvent voler sur plus de 10 000 km", énumère Alexandre Vautravers.
Le principal avantage d’avoir un mini-réacteur nucléaire à bord d’un missile est qu’il peut "voler aussi longtemps que les personnes au sol qui l’opérent le veulent", souligne Huseyn Aliyev.
Une endurance "qui n’a pas vraiment d’intérêt dans le cas d’un conflit conventionnel", assure cet expert. En effet, la raison d’être d’un missile balistique réside dans sa capacité à toucher rapidement la cible afin de prendre les défenses anti-aériennes de vitesse.
En outre, le fait de voler pendant des heures "le rend relativement facile à intercepter", affirme Alexandre Vautravers.
Une arme de propagande
"C’est uniquement intéressant comme missile porteur d’ogives nucléaires dans le cadre de la force de dissuasion", estime pour sa part Huseyn Aliyev. Le Bourevestnik est porteur d'un élément d’incertitude : "Comme il peut voler plusieurs heures, voire pendant des jours, on ne sait jamais à quel moment il va viser sa cible et les opérateurs au sol peuvent changer sa trajectoire à tout moment", explique Huseyn Aliyev.
Sa capacité à voler loin et longtemps permet aussi à la Russie de le lancer de n’importe où "y compris depuis un autre théâtre d’opérations", souligne Alexandre Vautravers. Ainsi, lors d’un éventuel affrontement avec une autre puissance nucléaire si l’adversaire réussit à frapper le sol russe… L'armée russe peut répliquer depuis un autre endroit sur le globe, à condition d'y avoir installé auparavant un ou plusieurs Bourevestnik..
Autant d’avantages qui n’en font pas l’arme ultime vantée par Vladimir Poutine. C’est un missile à l’utilité limité à des scénarios très précis - un conflit nucléaire - et, même dans cette hypothèse, "il ne va certainement pas remplacer les missiles intercontinentaux traditionnels, et constitue seulement un élément additionnel", juge Huseyn Aliyev.
Pourquoi les autorités russes ont-elles tant insisté sur ce lancement réussi ? Probablement parce que c’est une arme redoutable de propagande : Cela permet au Kremlin d’affirmer qu’elle dispose d’une arme unique en son genre, ce qui suggère qu’il reste dans la course aux armements nucléaires", décrypte Huseyn Aliyev.
C’est aussi, d’après lui, un atout à jouer dans le bras de fer diplomatique avec l’Occident et les États-Unis. "Cela rajoute une menace que Washington doit surveiller", constate cet expert. Une menace que Donald Trump a tenu à minimiser. Le président américain a assuré que les États-Unis n’avaient pas besoin de se doter d’un missile pouvant parcourir 14 000 km quand leurs sous-marins nucléaires qui peuvent se trouver "juste aux larges des côtes [russes]".
