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Présidentielle en Côte d'Ivoire : à Yopougon, les habitant veulent "la paix" avant tout
De notre envoyé spécial à Abidjan – Dans la commune de Yopougon, fief historique de l’ancien président Laurent Gbagbo, certains habitants rejettent la politique, qu’ils perçoivent comme un facteur de division. À l’inverse, d'autres s’impliquent, convaincus de la possibilité d'une alternance au quatrième mandat d'Alassane Ouattara.
André, jeune militant de Yopougon, lors d'un rassemblement pour sa candidate, Simone Ehivet, à Yopougon, commune du district d'Abidjan. © Samia Metheni

Sous une bâche en bordure de la route, trois jeunes femmes sont attablées devant une pile d'enveloppes. À l'intérieur, des cartes d'électeurs pour la présidentielle ivoirienne du 25 octobre. 

Les demandeurs se font rares ce mercredi dans le quartier de Yopougon, commune populaire d’Abidjan, la plus grande et la plus peuplée, située dans l’ouest de la ville. Ce devait être le dernier jour pour retirer le sésame permettant de déposer son bulletin dans l’urne. Les autorités ont finalement annoncé, plus tard dans la journée, que les électeurs sans cartes pourraient les retirer directement le jour du vote. 

"Certains ne viennent pas, car ce n’est pas une obligation pour eux. D’autres disent qu’ils ne sont pas informés", explique Anne, l’une des représentantes de la commission électorale. "Et puis, vous savez, le surnom de Yopougon c’est 'Yopougon de Gbagbo'. Donc on suppose que c'est pourquoi les gens ne viennent pas prendre leurs cartes, puisque Yopougon, dans sa grande majorité, est le bastion de l'opposition."

"C'est la paix qui nous intéresse, pas la politique"

Silhouette longiligne en jean et polo bleu, Pierre Mosis N’da présente sa pièce d’identité pour récupérer sa carte électorale. Le septuagénaire sait pour qui il va voter, mais tient à garder le secret. "C’est interne à moi-même", dit-il.

Cet ancien directeur d’auto-école se préoccupe notamment du coût de la vie. "C'est vrai, nous avons assez de routes, mais les déplacements sont coûteux, car le carburant coûte cher."

Présidentielle en Côte d'Ivoire : à Yopougon, les habitant veulent "la paix" avant tout
Pierre Mosis N'da exhibe sa carte d'électeur à un centre de distribution de Yopougon, mercredi 22 octobre, à Abidjan. © David Rich

Pierre Mosis affirme "voter régulièrement", car il lui tient à cœur d’accomplir "son devoir de citoyen". Mais dans le quartier, tous ne partagent pas ce point de vue. À quelques mètres de la tente électorale, la discussion s’engage avec un groupe de jeunes. Aucun d’entre eux n’a sa carte.

"Je n'ai jamais voté. Je ne sais pas comment les choses fonctionnent, ça ne m'intéresse pas la politique", lance Charles. "C'est la paix qui nous intéresse. Parce que celui qui s'intéresse à la politique, c'est qu'il est prêt aussi pour la bagarre", déplore-t-il sous les regards approbateurs de ses amis. 

"Quand on parle des élections, tout le monde à peur", renchérit un autre jeune habitant de Yopougon, évoquant le douloureux souvenir des violences post-électorales de 2011 au cours desquelles les partisans de Laurent Gbagbo et d’Alassane Ouattara s'étaient affrontés, causant la mort de quelque 3000 personnes dans le pays. "C’était atroce, ce n’était pas facile, pas facile… Mais dieu merci nous avons survécu, nous sommes là", poursuit-il ému. 

Pierre Mosis écoute, impassible. "Il y a peu d’engouement pour le vote car les gens se méfient", explique-t-il à son tour, affirmant que des habitants font des provisions et se terrent, et même parfois s’absentent durant cette période sensible par crainte de nouveaux troubles. "Ici il y a des gens qui sont très fâchés contre le quatrième mandat de Ouattara, ils disent qu’il n’a pas le droit", ajoute-t-il.

Simone Gbagbo en embuscade

Fief historique du Front populaire ivoirien, l’ancien parti de Laurent Gbagbo, Yopougon est aujourd’hui contrôlé par le parti au pouvoir. Lors des élections locales, la municipalité a été remporté par une éminente figure du RHDP (Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix) : Adama Bictogo, président de l'Assemblée nationale.

Mais Laurent Gbago y demeure très populaire. En l’absence de l’ancien président, exclu du scrutin présidentiel du fait d’une condamnation judiciaire, plusieurs candidats d’oppositions espèrent rallier ses soutiens, dont son ex-épouse et conseillère de l’ombre, Simone Ehivet. 

Ce jour-là, l’ancienne première dame organise un événement de campagne dans un quartier de Yopougon. Ses partisans célèbrent son arrivée en fanfare, avec cuivres et percussions. "Yopougon c’est la joie" scandent des militants, en référence à la réputation festive de cette commune, par ailleurs confrontée à d’importantes difficultés économiques et sociales.

Présidentielle en Côte d'Ivoire : à Yopougon, les habitant veulent "la paix" avant tout
Rassemblement de soutien à Simone Ehivet, à Yopougon. © David Rich

André, jeune militant de 24 ans, est venu la soutenir. "J'espère que les Ivoiriens vont sortir massivement pour faire de Simone Ehivet la première présidente de Côte d’Ivoire et même d’Afrique de l'Ouest", assène-t-il, enthousiaste.

Le jeune homme se dit très attaché à Laurent Gbagbo, "le père fondateur". "Mais si la loi ivoirienne stipule qu’il ne peut pas être candidat, il faut choisir une autre personne", poursuit-il. En Côte d’Ivoire, "les gens suivent trop les personnes, alors que ce sont les idéologies politiques que l’on doit suivre", déplore le jeune homme.

Comme de nombreux Ivoiriens, André fait de la réconciliation la priorité absolue : "il faut redonner l'amour et la paix à la Côte d'Ivoire". Mais à la différence de ceux qui ne croient pas en la politique, lui pense avoir la solution. "Simone en est capable", conclut-il.