
Robert Brovdi, personnage central dans l'utilisation de drones par l'armée ukrainienne, a été interdit d'entrée en Hongrie. © Dirk Zengel, ddp / Zengel via Reuters
Viktor Orban s'en prend à un héros de guerre ukrainien. Robert Brovdi, un militaire ukrainien aux origines hongroises, a été déclaré, jeudi 28 août, persona non grata en Hongrie.
Celui qui est parfois surnommé le "M. Drone" de l'Ukraine a été accusé d’avoir orchestré "une attaque contre la souveraineté hongroise", a assuré le ministre hongrois des Affaires étrangères Péter Szijjarto dans un message posté jeudi sur X.
Budapest, accro à l’oléoduc Droujba
En l’occurrence, la Hongrie de Viktor Orban dénonce le bombardement, par une unité de drones sous le commandement de Robert Brovdi, de l’oléoduc Droujba. L’Ukraine a en effet endommagé ce pipeline russe – le plus long du monde (4 000 km) – lors de frappes aériennes au-dessus de la région russe de Briansk le 13 août.
Rien à voir, a priori, avec la souveraineté hongroise, sauf que cette attaque a forcé la Russie à arrêter pendant plusieurs jours l’exploitation de cet oléoduc qui fournit du pétrole à la Hongrie et à la Slovaquie. Ces deux pays bénéficient d’une exemption européenne à l’interdiction d’acheter du pétrole russe, et Budapest considère ce pipeline comme une infrastructure critique pour son économie. L'oléoduc Droujba "fournit environ 65 % du pétrole brut importé par la Hongrie", souligne Eszter Simon, spécialiste de la Hongrie et des relations internationales à l’université de Nottingham Trent (Royaume-Uni).
Pour Kiev, la réaction hongroise est "honteuse". "Quel message honteux à un moment où l’État terroriste russe mène une attaque brutale [l’intense bombardement de la capitale ukrainienne jeudi, NLDR]. Péter [Szijjarto], si tu accordes plus d’importance à un oléoduc qu’à la vie d’enfants ukrainiens, la Hongrie est du mauvais côté de l’Histoire", a répondu jeudi sur X Andriy Sybiha, le ministre ukrainien des Affaires étrangères.
Si l’Ukraine a réagi aussi vivement à la sanction prise par Budapest, c’est qu’elle frappe un homme considéré comme un héros de guerre par Kiev. Volodymyr Zelensky a d'ailleurs remis le 8 mai à Robert Brovdi la médaille de "héros de l’Ukraine".
Pionnier de la guerre des drones
"Robert Brovdi est un commandant parmi les plus populaires en Ukraine", assure Ryhor Nizhnikau, spécialiste de l’Ukraine à l'Institut finlandais des affaires internationales. En 2023, le quotidien Kyiv Post en avait fait l’une des trois figures les plus emblématiques de l’armée ukrainienne en raison de son rôle dans l’adoption des drones par l’armée et pour son bagou sur les réseaux sociaux où il est très actif et très suivi.
Avant d’incarner la stratégie ukrainienne des drones, ce presque quinquagénaire – il a 49 ans – a été un entrepreneur à succès dans le domaine agricole. Lorsque la guerre d’invasion russe à grande échelle éclate en février 2022, il s’enrôle comme simple soldat et participe à la défense de Kiev. Très vite, il décide que son expérience d’entrepreneur serait mieux mise à profit autrement et il puise dans ses propres fonds pour acheter à la Chine les premiers drones de l'armée ukrainienne.
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C’est ainsi qu’il devient l’un des pionniers du recours à des drones civils par l’armée à des fins de reconnaissance mais aussi comme bombes volantes "kamikazes". Robert Brovdi forme ainsi l’unité de pilotes de drones "Magyar’s Birds" – en référence à ses origines hongroises –, qui participe à la plupart des grandes batailles en Ukraine et a assuré sa célébrité en postant sur les réseaux sociaux des vidéos de ses exploits contre les forces armées russes.
En juin, Volodymyr Zelensky l’a promu au poste de commandant des forces spécialisées dans la guerre de drones. À ce titre, c’est lui qui supervise des opérations comme le bombardement contre l’oléoduc Droujba.
Vikor Orban, le "père des Magyars" vs Robert Brovdi, le père de "Magyar’s birds"
"Aux yeux de Moscou, Robert Brovdi et ses 'Magyar’s Birds' sont une épine dans le pied russe, un peu comme le bataillon Azov [ce régiment de combattants d’élite à la réputation sulfureuse d’ultranationalistes ukrainiens, NDLR]", affirme Ryhor Nizhnikau.
Depuis le Kremlin, Vladimir Poutine doit observer avec satisfaction ces pays européens – la Slovaquie aussi a critiqué l’attaque contre l’oléoduc – qui s'en prennent à cette figure emblématique de la guerre des drones qui fait rage en Ukraine. Mais les experts interrogés par France 24 ne pensent pas que "Viktor Orban ait agi consciemment pour servir les intérêts de Moscou en sanctionnant Robert Brovdi", estime Eszter Simon.
Pour Ryhor Nizhnikau, "l’aspect essentiel ici, ce sont les origines hongroises de Robert Brovdi". Le fait qu’un Ukrainien qui a des liens avec les minorités hongroises ait frappé un oléoduc très important pour Budapest "peut très bien avoir mis Viktor Orban en colère", confirme Michael Toomey, spécialiste des populismes en Europe centrale à l’université de Glasgow.
C’est en effet un coup dur au "récit nationaliste que le Premier ministre construit autour de sa carrure de 'roi des Magyars'", ajoute Michael Toomey. Pour cet expert, Viktor Orban ne se considère pas seulement comme le dirigeant de la Hongrie mais celui – potentiellement – de tous les Hongrois, ce qui, dans l’esprit des nationalistes de son parti, "englobe les territoires perdus lors du traité de Trianon signé en 1920 après la fin de la Première Guerre mondiale".
Une partie de ces territoires se trouvent dans l’ouest de l’Ukraine. C’est en particulier le cas de la Transcarpatie, la région d’où vient Robert Brovdi. "Viktor Orban s’est toujours posé en défenseur de la minorité hongroise qui y vit, et il a commencé à y faire de plus en plus référence publiquement depuis le début de l’invasion russe en Ukraine", souligne Eszter Simon.
Une image de "patron" de la minorité hongroise qui en prend un coup "si l’un ses membres les plus illustres et connus en Ukraine – Robert Brovdi – n’hésite pas à frapper un oléoduc important pour les intérêts hongrois au nom de la défense de l’Ukraine", note Ryhor Nizhnikau.
Au-delà de cet aspect, c’est aussi l’impact économique de cette attaque qui a dû rester en travers de la gorge des autorités hongroises. "Le gouvernement à Budapest a soudain réalisé que l’Ukraine avait les moyens de rendre la vie plus dure à Viktor Orban", note Eszter Simon.
Pour le Premier ministre, c’est d’autant plus inacceptable que "le pays est dans une situation économique très précaire, et n’a pas besoin de craindre, en plus, pour sa sécurité énergétique", affirme Michael Toomey.
En fin de compte, même si la réaction hongroise n’avait pas pour but premier de faire plaisir à Moscou, la Russie va probablement en profiter. En effet, alors que le président américain Donald Trump avait entrepris de convaincre son "ami" hongrois de ne plus s’opposer à des négociations en vue d’une intégration de l’Ukraine à l’Union européenne, l’affaire Robert Brovdi "risque de pousser le Premier ministre hongrois à se montrer intransigeant", craint Ryhor Nizhnikau.