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Donald Trump veut son ministère de la Guerre, une idée à contre-courant et coûteuse
Le président Donald Trump prévoit de signer vendredi un décret visant à renommer le ministère américain de la Défense en celui de la Guerre. Cette appellation n'est plus utilisée depuis 1947, comme dans la plupart des pays du monde. La France fait toutefois aussi figure d'exception avec son ministère des Armées.
Donald Trump souhaite que le Pentagone porte désormais le nom de "ministère de la Guerre". © Studio graphique France Médias Monde

C'est la dernière initiative en date du président Trump pour projeter une image de fermeté de l'armée américaine. La Maison Blanche a annoncé qu'il allait signer, vendredi 5 septembre, un décret visant à rebaptiser le ministère de la Défense en ministère de la Guerre.

Le président républicain ne peut pas officiellement changer le nom sans une loi soumise au Congrès. En attendant, ce décret va autoriser le Pentagone et le ministre de la Défense, Pete Hegseth, à utiliser les titres de "ministère de la Guerre" et "ministre de la Guerre" dans les correspondances officielles et les communications publiques, est-il indiqué dans un document de la Maison Blanche.

Pete Hegseth devrait prendre les mesures législatives et exécutives nécessaires pour rendre ce changement de nom permanent. Une démarche qui permettrait à Donald Trump d'imposer son empreinte sur la plus grande organisation du gouvernement fédéral américain – une opération qui coûterait vraisemblablement plusieurs centaines de millions de dollars.

"Une force offensive"

Cela fait déjà plusieurs jours que ce changement de nom était annoncé. "Tout le monde apprécie le fait que nous ayons connu un incroyable palmarès de victoires lorsque ce ministère était auparavant le ministère de la Guerre", avait ainsi déclaré le président américain aux journalistes le 25 août. "Puis il a été rebaptisé ministère de la Défense."

Pete Hegseth, que Donald Trump a déjà qualifié à plusieurs reprises de "ministre de la Guerre", a également exprimé des sentiments similaires et a déclaré que l'évolution refléterait un changement culturel plus large au sein du Pentagone. "Nous avons gagné la Première Guerre mondiale et la Seconde Guerre mondiale, non pas grâce au ministère de la Défense, mais grâce au ministère de la Guerre", a-t-il ainsi affirmé lors d'une interview accordée mercredi à Fox News. "Comme l'a dit le président, nous ne sommes pas seulement une force défensive, nous sommes une force offensive."

"Nous avons rétabli au ministère l'esprit guerrier. Nous voulons des guerriers, des gens qui savent comment tuer l'ennemi", a-t-il insisté. "Nous ne voulons pas de contingences interminables ni d'une simple défense. Nous pensons que les mots, les noms et les titres comptent. Nous travaillons donc avec la Maison Blanche et le président sur ce sujet. Soyez prêts."

Le retour d'une ancienne dénomination

Le ministère de la Guerre a été créé en 1789, l'année même de l'entrée en vigueur de la Constitution américaine. Comme le rappelle le New York Times, "ce nom a été conservé pendant plus de 150 ans, période durant laquelle les États-Unis ont mené des guerres contre la Grande-Bretagne, l'Espagne, le Mexique et les Philippines, ainsi que la guerre de Sécession. Ils ont également combattu les Amérindiens." Le pays a aussi participé aux deux guerres mondiales avec cette dénomination.

En 1947, l'administration du président Harry S. Truman a créé une seule organisation appelée "Établissement militaire national" ("National Military Establishment"), pour rassembler les différentes branches de l'armée sous la tutelle du ministre de la Défense. Deux ans plus tard, une loi du Congrès l'a baptisé ministère de la Défense.

Interrogé par le New York Times, Richard H. Kohn, professeur émérite à l'Université de Caroline du Nord à Chapel Hill, a estimé que le changement de nom en 1949 "reflétait les tâches élargies du ministère, qui comprenaient la lutte contre la guerre, la politique étrangère, le renseignement et, surtout, la sécurité nationale". À l’ère de la menace nucléaire naissante, le nouveau nom reflète également l’importance accordée à la prévention de la guerre, souligne également ce spécialiste d'histoire militaire. "Il s'agissait de faire comprendre aux adversaires de l'Amérique et au reste du monde que l'objectif de l'Amérique n'était pas de faire la guerre, mais de défendre les États-Unis."

Donald Trump n'est pas de cet avis. Pour le président américain, qui avait déjà évoqué la possibilité d'un changement de nom en juin, cette appellation avait été initialement prise pour être "politiquement correct".

Une majorité de ministères de la Défense

Dans la plupart des pays du monde, l'organisme gouvernemental chargé d'exécuter la politique militaire porte aujourd'hui le nom de ministère de la Défense ou de ministère de la Défense nationale. Après la fin de la Seconde Guerre mondiale, les États engagés dans ce conflit ont changé de dénomination, passant du ministère de la Guerre à celui de la Défense. Cela a été notamment le cas pour l'Italie en 1947.

Au Royaume-Uni, de 1946 à 1964, cinq départements d'État ont assumé ces fonctions : l'Amirauté, le ministère de la Guerre, le ministère de l'Air, le ministère de l'Aviation et une forme antérieure du ministère de la Défense. Ces départements ont ensuite fusionné pour limiter les rivalités interarmées et portent aujourd'hui le nom de ministère de la Défense.

En France, sur le même modèle que les États-Unis, cet organisme s'est appelé ministère de la Guerre de 1791 à 1946. Il a ensuite connu de nombreux changements de dénomination. En 1948, il est devenu le ministère de la Défense nationale. Dix ans plus tard, au début de la Cinquième République, le ministère des Armées a vu le jour. Il est redevenu ministère de la Défense nationale en juin 1969 sous la férule de Michel Debré, mais a repris l’appellation de ministère des Armées dans le gouvernement suivant. Avant de connaître un nouveau changement en mai 1974 pour devenir le ministère de la Défense.

Mais en 2017, la France s'est démarquée, renouant avec le nom de "ministère des Armées". À l'époque, Libération avait affirmé que ce "changement de dénomination n'est pas anodin". "Au sein de l'état-major, les hauts gradés y voient une reprise en main souveraine. Au président de la République, chef suprême des armées, il incombe de défendre l'intégrité du territoire et la sécurité de la Nation. Un rôle dans lequel le nouveau chef de l'État s'est très vite glissé en multipliant les symboles", avait expliqué le quotidien en faisant référence au début de mandat du président Emmanuel Macron.

Un gouffre financier

Ces changements de nom, qui se veulent avant tout symboliques, ont un coût élevé. La modification voulue par Donald Trump va nécessiter de mettre à jour un éventail de documents, papiers à en-tête, panneaux et autres, utilisés non seulement par le Pentagone situé près de Washington, à Arlington en Virginie, mais aussi par les installations militaires américaines à travers le monde.

Comme le rappelle le Washington Post, sous l'administration Biden, un projet visant à renommer les installations militaires en hommage aux Confédérés de la guerre de Sécession a coûté plus de 60 millions de dollars, selon la commission de renommage. À la réélection de Donald Trump, Pete Hegseth a annulé une grande partie de ce travail.

Parmi les détracteurs qui se sont fait entendre depuis cette annonce, Brad Bowman, directeur principal du Centre sur le pouvoir militaire et politique de la Fondation pour la défense des démocraties, a souligné que la "suprématie militaire américaine s'est déjà érodée" et que le changement de nom "n'y changera rien". "Les sommes considérables consacrées à la fabrication de nouveaux panneaux, pancartes et papiers à en-tête seraient peut-être mieux utilisées si elles pouvaient garantir à nos combattants de disposer de la formation et des armes nécessaires pour accomplir les missions qui leur sont confiées et de rentrer chez eux auprès de leurs familles", a-t-il insisté auprès du Washington Post.