
Montage de deux photos censées montrer un mercenaire français tué et sa moto au Mali. Mais la photo de gauche provient d’une chaîne YouTube colombienne et celle de droite a été prise au Burkina Faso. © Facebook
"Le corps d'un mercenaire français retrouvé hier parmi les djihadistes tué (sic)" : cette phrase presque copiée-collée a été partagée depuis lundi 27 octobre par de nombreux groupes Facebook de soutien à l'Alliance des États du Sahel (AES), alliance politique regroupant le Mali, le Burkina Faso et le Niger.
Tous ces comptes, comme la page "Voix d'Afrique" aux 200 000 abonnés sur Facebook, soutiennent que ce soldat a été tué dans la forêt de la ville de Kolondieba au Mali, alors qu'il roulait à moto.
La preuve serait un montage de deux photos : une première dans laquelle on voit un soldat au sol, face contre terre, et une seconde montrant une moto au sol dans un décor de forêt.
Le montage a également été publié par la page française du réseau russe Pravda. Ce réseau, qui est parmi les premiers à avoir diffusé ces affirmations lundi, a été identifié en 2024 par Viginum, le service interministériel français chargé de la lutte contre les ingérences numériques étrangères, comme un portail d’information numérique dont le but est de diffuser des contenus prorusses pour "influencer les opinions publiques".

À l'origine de la photo du mercenaire, une vidéo prise en Colombie
Mais en réalité, ces deux images ne montrent pas un mercenaire français tué au Mali, pour la simple raison qu'elles n'ont pas été prises au Mali, mais respectivement en Colombie et très certainement au Burkina Faso.
Concernant la photo qui montrerait le mercenaire mort, une recherche d'image inversée (voir notre guide) dirige vers une vidéo publiée en mai dernier sur la page YouTube d'un soldat colombien spécialisé en médecine tactique et opérationnelle.
Ce soldat, le sergent Hector G. Bernal, publie des dizaines de vidéos dans lesquelles il met en scène des situations de sauvetage de soldats sur le front, accompagné de son chien au pelage noir – celui que l'on voit sur la photo du montage.

Cette vidéo ne montre par ailleurs pas un homme mort, mais un soldat simulant une blessure au sol et accompagné du fameux chien noir. Dans la vidéo (accessible ici), on retrouve à la fois le soldat et le chien noir visibles sur le montage partagé par les comptes pro-AES.
Dans la vidéo, on reconnaît également l'écusson de l'organisation Médecine tactique colombienne, qui dispense des formations de sécurité sur le terrain par le biais de la Fondation des infirmiers militaires colombiens.

La photo de la moto très certainement prise au Burkina Faso
La photo de la moto a été, quant à elle, très probablement prise au Burkina Faso, deux jours avant la diffusion du montage, comme l'indiquent plusieurs éléments.
Notre rédaction n'a pas pu géolocaliser cette image. Mais en effectuant une nouvelle recherche d'image inversée, on retrouve de nombreuses publications de comptes sur le Burkina Faso et l'actualité militaire de ce pays montrant ce cliché, parmi d’autres photos. Une date – le 25 octobre 2025 – est visible sur la plupart de ces photos, de même que le type de téléphone qui les a prises : Redmi. L’une des photos montre même la carte d'identité d'un Burkinabè.
Ces publications affirment toutes que les images montreraient une opération de l'armée burkinabè contre des jihadistes dans le village de Yamba le 25 octobre.
Ces posts, publiés dès dimanche 26 octobre, sont pour la majorité antérieures d'un jour à la publication de l'article de la page française du réseau Pravda.
Une autre incohérence provient de l'article du portail Pravda français lui-même : l'article renvoie en effet vers plusieurs liens de chaînes Telegram censées prouver que les images viennent du Mali, comme "Union Liberté Africaine".
Si cette chaîne Telegram a bien partagé le montage des deux photos en dénonçant la présence du mercenaire français, elle avait diffusé la veille une publication avec uniquement la photo de la moto, indiquant alors qu'elle avait été prise au Burkina Faso, sans mentionner qu'elle appartenait à un mercenaire français.
Même chose pour la page burkinabè du réseau Pravda, qui avait partagé la photo de la moto dimanche, soit un jour avant le partage du montage photo par la page française de Pravda, en indiquant également qu'elle avait été prise au Burkina Faso.

Crise sécuritaire au Mali
Ce n'est pas la première fois que des comptes de soutien à l'AES poussés par des structures d'influence russes dénoncent un prétendu soutien français aux jihadistes dans la région sahélienne.
Au Mali, la junte au pouvoir, soutenue par l'organisation paramilitaire russe Africa Corps, subit depuis plusieurs semaines un blocus jihadiste sur le carburant, aggravant la situation sécuritaire. Depuis le mois de septembre, le Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (Jnim), affilié à Al-Qaïda, s'attaque aux camions-citernes de carburant venant notamment du Sénégal et de la Côte d'Ivoire, par où transite la majorité des biens qu'importe le Mali.
Malgré la présence d'Africa Corps, la junte, au pouvoir depuis deux coups d'État en 2020 puis 2021, peine à endiguer les attaques jihadistes sur le terrain.
