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La technologie à l'épreuve du feu : que peut l'IA face aux incendies ?
Face à la multiplication des feux, des pays comme la France se dotent de dispositifs de surveillance dopés à l'intelligence artificielle. L'objectif : intervenir avant que les feux ne deviennent hors de contrôle. Énergivore, cette technologie est-elle une solution crédible face aux incendies ?
Système de surveillance utilisant l'intelligence artificielle au siège de Cal Fire dans le comté de San Diego, à El Cajon, en Californie, le 6 septembre 2023. © Patrick T. Fallon, AFP

La "Bonne Mère" n'est plus seule à veiller sur Marseille. Juchée à 250 mètres au-dessus du niveau de la mer, une caméra filme la ville – et ses environs boisés – nuit et jour, connectée à un dispositif d'intelligence artificielle (IA). Nourri de millions d'images, celui-ci a "appris" à repérer un départ de feu le plus précocement possible.

La technologie à l'épreuve du feu : que peut l'IA face aux incendies ?
Placée à 250 mètres au-dessus du niveau de la mer, cette caméra connectée à l'intelligence artificielle filme la cité phocéenne 24 heures sur 24. À Marseille (Bouches-du-Rhône), en juillet 2025. © France 24

Une technologie qui arrive à point nommé. Les feux de forêt constituent une menace croissante dans le bassin méditerranéen, et le sud de la France, avec des températures extrêmes, y est particulièrement vulnérable.

L'Aude vient d'être frappée par le plus important incendie ayant jamais embrasé le territoire français depuis 1949 : 16 000 hectares sont partis en fumée. Début juillet, Marseille a elle aussi été touchée par les flammes.

À l’échelle nationale, les surfaces brûlées en 2024 ont été six fois plus importantes qu'en 2006 selon Oxfam.

L'IA plus rapide, plus précise, plus endurante que l'humain

Face à la progression d'un incendie, l'IA offre aux soldats du feu de précieuses minutes, leur permettant d’intervenir avant que les flammes ne deviennent incontrôlables. Le dispositif observé dans le reportage de nos journalistes à Marseille s'est montré deux fois plus rapide que les riverains pour donner l'alerte, avec seulement 10 % de fausses alertes.

Ces performances sont amenées à s'améliorer, explique Dejan Glavas, directeur de l'AI for Sustainability Institute : plus un modèle comme celui de Marseille dispose d’images à analyser, plus il pourra, après un nouvel entraînement, améliorer la précision de ses prédictions.

Plus précis et plus rapides, ces dispositifs sont surtout plus endurants : "Le cerveau humain n'a pas été conçu pour rester fixé pendant des heures sur une zone. L'IA, elle, ne se fatigue pas", vulgarise ce professeur associé en finance à l'École supérieure des sciences commerciales d'Angers (ESSCA).

Ces technologies fleurissent dans l'Hexagone. Rien qu'en Dordogne, dans le Sud-Ouest, 17 points de surveillance seront mis en place d'ici la fin de l'année.

Même tendance en Amérique du Nord, pointe Dejan Glavas. Un millier de caméras connectées à l'IA scrutent l'horizon californien depuis l'année dernière. Lui aussi particulièrement éprouvé par les feux, le Canada a développé de son côté une première mission IA nationale de détection des feux.

L'IA peut aussi permettre de prédire un feu avant même qu'il ne démarre, rappelle l'expert. Fondant leur diagnostic sur des millions d'images, des dispositifs peuvent déterminer précisément les zones marquées par une température et un niveau de sécheresse particulièrement élevés, et donc menacées par un risque d'incendie immédiat.

Des systèmes comme l'ECMWF Machine Learning ou le NOAA Next Generation Fire System analysent en temps réel données satellite et géophysiques pour cartographier les zones à risque. Ces technologies réduisent l'occurrence de fausses alertes, permettant d'épargner aux soldats du feu un temps et des ressources précieuses.

IA récréative vs IA environnementale

L'IA apparaît pourtant comme un pompier pyromane. Gourmande en énergie, encore majoritairement carbonée à l'échelle mondiale, elle contribue au réchauffement climatique, facteur majeur de la multiplication des feux. Les data centers permettant le traitement des données consomment, pour se refroidir, une ressource dont la raréfaction contribue à la sécheresse : l'eau.

La technologie à l'épreuve du feu : que peut l'IA face aux incendies ?

Les prouesses de l'IA – comme celles qui permettent de sauver des forêts – peuvent-elles compenser le coût écologique de ces technologies ? Dans les faits, le bilan global reste négatif, prévient Dejan Glavas : l'IA consomme plus d'énergie qu'elle n'en fait économiser.

L'Agence internationale de l'énergie table sur un doublement de la consommation des centres de données d'ici 2030.

Ce boom est dopé par les usages privés. ChatGPT se rapproche ainsi des 700 millions d'utilisateurs actifs par semaine et devrait dépasser le milliard en 2025.

"Mais l'IA récréative est économiquement plus rentable que l'IA environnementale", note l’expert. L'une génère des revenus immédiats, l'autre nécessite des investissements publics. Le maître mot : sensibiliser le public à un usage raisonné de l’IA. Ou simplement poser son smartphone et aller prendre l'air.