
La fumée provenant de l'incendie Dragon Bravo s'installe dans le Grand Canyon, le long de la rive sud, à Mather Point, le 17 juillet 2025. © Scott Olson, Getty Images via AFP
Depuis un mois, un épais nuage surplombe les gorges rouges et ocre du Grand Canyon, en Arizona. En contrebas, un vaste incendie, le Dragon Bravo, déclenché par la foudre le 4 juillet dernier, continue de se propager. Mardi 5 août, toujours incontrôlable, il a ravagé près de 50 000 hectares du célèbre parc de l'Ouest américain.
Sur place, plus d'un millier de pompiers combattent les flammes jour et nuit, sur terre et dans les airs. Malgré leurs efforts, ils n'avaient repris le contrôle que de 13 % de la surface couverte par l'incendie", selon le site gouvernemental InciWeb qui surveille les incendies dans tout le pays, laissant les autorités avec une inquiétude : que le Dragon Bravo continue de prendre de l'ampleur dans les prochains jours.

Chaleur, sécheresse, vents
Le Dragon Bravo, qui doit son nom à une formation rocheuse située dans le Grand Canyon, a été déclenché par la foudre le 4 juillet, jour de la fête nationale américaine. Cinq semaines plus tard, il a ravagé 46 500 hectares de végétation et est désormais classé comme un mégafeu – terme qui s'applique aux incendies ayant brûlé plus de 100 000 acres, soit environ 40 000 hectares.
Selon le Centre national interagence contre les incendies, Dragon Bravo est, pour le moment, le plus grand incendie de forêt de l'année 2025 sur le continent américain. Il dépasse celui en cours dans la région de Yukon-Koyukuk, en Alaska, où 48 000 hectares sont partis en fumée, selon le dernier bilan publié samedi.
Alors, comment expliquer l'intensité du phénomène ? D'abord, par une météo particulièrement propice à la propagation des flammes avec un cocktail explosif : de la chaleur, de la sécheresse et des vents importants.
"Nous sommes en quelque sorte prisonniers d'un temps sec, venteux et anormalement chaud, car la pluie ne s'est pas encore manifestée", détaille dans une interview au New York Times Benjamin Peterson, météorologue au bureau du Service météorologique national à Flagstaff, en Arizona.
Habituellement, à cette période, les vents changent dans cette région et apportent de l'humidité en provenance du golfe du Mexique et de l'océan Pacifique. Les orages éclatent et la pluie fait son apparition. Mais pas cette année. Pour le moment, le temps reste désespérément sec, explique le prévisionniste. La saison est, en effet, la troisième la plus sèche de l'histoire en Arizona selon le National Weather Service, l'agence gouvernementale de météo américaine. Or, sans pluie, l'air est sec et la végétation s'assèche, devenant plus inflammable.
Et la topographie du parc national empire encore les choses. Le Grand Canyon est, en réalité, composé d'une myriade de petits canyons. Cela facilite la circulation du vent, qui peut transporter à son aise des braises brûlantes d’un endroit à un autre.
"Le comportement du feu que nous observons est sans précédent", a commenté Lisa Jennings, porte-parole de l’équipe de contrôle des incidents dans le Sud-Ouest. "Nous avons des vents constants et puissants pendant cette sécheresse. Il y a beaucoup de combustible à brûler."
Devant les flammes, les autorités scrutent donc le ciel. "La pluie peut être juste retardée. Il suffirait d'une ou deux semaines très pluvieuses pour changer la donne", rassure Benjamin Peterson.
"Le Canyon a créé sa propre météo"
À ces conditions météorologiques vient désormais s'ajouter un autre problème. À mesure que le Dragon Bravo prend de l'ampleur, il entraîne la formation, au-dessus du Grand Canyon, de pyrocumulus, des nuages surnommés "cracheurs de feu".
Ces nuages, qui appartiennent à la catégorie des nuages de convection, se forment au-dessus d'une source de chaleur intense, comme un feu de forêt ou une éruption volcanique, rappelait CBS News en mai dernier. Quand la fumée et l'air chaud en provenance de l'incendie sont relâchés et montent dans l'atmosphère, cela provoque la condensation de l'humidité, et donc la formation des nuages. Leur couleur, souvent brune ou grise, est due aux cendres entraînées dans l'amas nuageux.
Et si certains pyrocumulus finissent par disparaître sous forme de pluie, d'autres évoluent et se transforment en pyrocumulonimbus. Ces derniers vont parfois provoquer des éclairs, des vents violents ou d’autres phénomènes météorologiques extrêmes comme des tornades. Ils peuvent ainsi se révéler particulièrement dangereux dans le contexte d'incendies. Les vents violents risquent de transporter les braises sur plusieurs kilomètres et la foudre de provoquer de nouveaux départs de feu… De quoi rendre la tâche des pompiers particulièrement ardue et les évolutions de l'incendie imprévisibles.
"Le Canyon a créé sa propre météo", résume Lisa Jennings, porte-parole de l’équipe de contrôle des incidents dans le Sud-Ouest, auprès de CNN. "Il est difficile de rendre compte de la complexité de la situation ici."

La stratégie de lutte décriée
Face à la propagation des flammes, plusieurs voix s'élèvent désormais pour pointer du doigt la gestion de la lutte contre l'incendie.
Pour cause, lorsque le brasier a démarré, les responsables du Service des parcs nationaux ont d'abord décidé de ne pas éteindre l'incendie et de le traiter comme un "feu contrôlé". Une stratégie commune aux États-Unis.
Pour lutter contre les incendies, la législation américaine permet, en effet, de faire des feux préventifs, également appelés "brûlages dirigés". La technique consiste à mettre le feu, de manière contrôlée, à certaines parcelles en prévention de futurs incendies, pour réduire la quantité de combustible. Lorsque Dragon Bravo s'est déclaré, les autorités ont donc décidé d'opter pour cette même logique et de laisser le feu brûler, en le contrôlant et en le maintenant dans un espace délimité.
Et pour délimiter l'espace, les pompiers utilisent un coupe-feu, c'est-à-dire qu'ils brûlent eux-mêmes une parcelle de terre pour former une barrière naturelle et limiter la propagation de l'incendie. Une méthode qui fonctionne et qui est aujourd'hui utilisée dans d'autres pays, comme le Canada et l'Australie.
Mais dans le cas de Dragon Bravo, ces mesures de contrôle n'ont pas suffi. Dans les jours qui ont suivi, le feu a continué sa propagation… jusqu'à ce que les vents violents rendent la situation incontrôlable. Le 11 juillet, les flammes ont ainsi dépassé des lignes de confinement mises en place par les pompiers. Quelques heures plus tard, l'historique Grand Canyon Lodge, seul hôtel de la rive nord du Grand Canyon, était consumé par les flammes. Des dizaines d'autres structures ont été détruites, notamment le centre d'accueil touristique et plusieurs chalets.
"Certes, l'incendie a été déclenché par la foudre, mais le gouvernement fédéral a choisi de le gérer comme un brûlage contrôlé alors que nous sommes dans la période la plus sèche et la plus chaude de l'été en Arizona", a dénoncé la gouverneure démocrate de l'Arizona Katie Hobbs dans un communiqué mi-juillet, réclamant l'ouverture d'une enquête indépendante.
De leur côté, les sénateurs de l'Arizona Ruben Gallego et Mark Kelly ont adressé une lettre au ministère de l'Intérieur – en charge de la gestion des parcs nationaux – pour exiger "une analyse des paramètres qui ont motivé la décision de traiter cet incendie comme un brûlage contrôlé".
"Nous ne pouvons pas permettre que ces décisions endommagent des milliers d'hectares dans le nord de l'Arizona, mettent en danger la santé et la sécurité des habitants et détruisent des sites emblématiques tels que l'historique Grand Canyon Lodge", ont-ils dénoncé.
Le Service des parcs nationaux se défend rappelant que la technique du "feu contrôlé" est l'un des meilleurs outils pour gérer les incendies et que les décisions ont été prises en prenant en compte les combustibles présents, les conditions météorologiques et en "mettant en balance ces facteurs avec d'autres méthodes possibles de prévention des incendies".
La gestion des incendies est cette année un sujet d'autant plus sensible dans l'Ouest américain que le président Donald Trump a imposé d'importantes coupes budgétaires et des licenciements à l'agence chargée des forêts, à l'agence en charge de l'observation océanique et atmosphérique (NOAA) et à la Fema, l'agence fédérale de gestion des catastrophes.