
Fady Hossam, journaliste et collaborateur de France 24 à Gaza, le 29 juillet 2025. © France 24
À 37 ans, Fady Hossam a quitté l’enclave palestinienne pour la première fois. Collaborateur régulier de France 24 depuis 9 ans, le journaliste a été évacué du territoire palestinien, vendredi 25 juillet, vers la France.
"Ça a été un choc pour moi de me retrouver à Paris. Ça l'a été aussi quand je suis sorti de Gaza par (le poste frontière de) Kerem Shalom, car j'ai vu ce qu'était une' vie normale', ce dont je n'avais plus été témoin depuis 2 ans à Gaza", raconte-il.
Après l'attaque du 7-Octobre et le déclenchement de la guerre à Gaza, il est resté sur place pour couvrir les évènements, envoyant régulièrement des vidéos à France 24 et d'autres médias français.
Mais quatre mois après le début des raids israéliens, ses enfants ont été blessés à la suite d'un bombardement dans son voisinage, dans le sud de la bande de Gaza. Lui et son fils rechargeaient les batteries de son téléphone, lorsqu'un homme a été tué juste à côté d'eux. Le journaliste s'est dit que "la meilleure chose serait de quitter Gaza", même s'il estime que la décision de se séparer de sa famille a été "l'une des plus difficiles à prendre".
Un mois plus tard, ses enfants et sa femme ont pu être évacués vers l'Égypte.
"À Gaza, les gens ont fini par avoir peur de nous"
Fady Hossam et son frère devaient les rejoindre. Mais cinq jours avant leur départ, l'armée israélienne a envahi Rafah, empêchant toute sortie du territoire palestinien par ce poste-frontière qui le relie à l'Égypte et qu'une poignée de Gazaouis parvenaient encore à franchir en payant très cher.
À Gaza, Fady Hossam a continué de travailler auprès de ses confrères journalistes, qu'il a vu mourir les uns après les autres. Selon lui, il en resterait moins de 50 aujourd'hui. "Ils sont très affaiblis et ne peuvent presque plus travailler", estime-t-il.
Le journaliste gazaoui décrit des conditions de travail éprouvantes : "Cinq jours avant mon évacuation, j'ai effectué un reportage sur la Fondation humanitaire de Gaza (GHF). J'ai marché près de 30 kilomètres à pied de Gaza à Rafah pour filmer des blessés, car il n'y a pas d'essence pour les voitures. C'était très dur parce que je me sentais très faible et j'avais faim".
Le témoignage de Fady Hossam rejoint le constat de l'Agence France Presse, le 21 juillet, soulignant le danger de mort auquel sont exposés ses collaborateurs à Gaza. "Depuis que l'AFP a été fondée en août 1944, nous avons perdu des journalistes dans des conflits, nous avons eu des blessés et des prisonniers dans nos rangs, mais aucun de nous n'a le souvenir d'avoir vu un collaborateur mourir de faim", a alerté la Société des journalistes de l'AFP.
"Nous recueillons la parole des civils affectés par la guerre, mais nous vivons les mêmes problèmes qu'eux au quotidien et nous ressentons la même faim", confie Fady Hossam.
Outre la famine et la dégradation du système de santé, les journalistes sont régulièrement pris pour cibles par l'armée israélienne depuis le début du conflit. D'après l'ONG Reporters sans frontières (RSF), plus de 200 journalistes ont été tués à Gaza depuis octobre 2023, dont au moins 46 visés par des frappes ou des tirs israéliens dans le cadre de l'exercice de leurs fonctions.
"À Gaza, les gens ont fini par avoir peur de nous, car se savoir en présence d'un journaliste signifiait pour eux qu'ils risquaient de mourir", affirme Fady Hossam, qui explique aussi les réticences de certains propriétaires pour abriter des journalistes, par crainte que leur immeuble ne soit ciblé.
"Chaque nuit à Gaza, on se couche avec l'espoir d'un cessez-le-feu"
"J'espère qu'un cessez-le-feu sera déclaré le plus vite possible, car les gens sont vraiment épuisés", estime-t-il. "En tant que journaliste ces deux dernières années, j'ai été le témoin de beaucoup de souffrance, j'ai interviewé des blessés graves, des médecins épuisés, des personnes entassées sous des tentes, des parents inquiets pour leurs enfants, des personnes qui venaient de perdre leurs proches…".
À Gaza, raconte-il, "chaque nuit on se couche avec l'espoir que le lendemain matin un cessez-le-feu sera déclaré. On en vient à s'accrocher à la moindre rumeur, même aux fausses nouvelles qui laissent croire à une trêve qui n'arrive jamais", se souvient Fady Hossam.
Après avoir lui aussi espéré en vain un cessez-le feu, le journaliste a fini par lancer de nouvelles démarches auprès de la France pour quitter Gaza, son frère ayant été blessé dans un bombardement. Aujourd'hui à Paris, ce dernier doit être pris en charge pour le suivi de ses blessures après une rupture de la rate causé par l'explosion.
"Est-ce que c'est la dernière fois que je vois Gaza ?"
Fady et son frère rêvent aussi de retrouver leurs compagnes et leurs enfants en Égypte, après plus d'un an de séparation.
Le journaliste garde également l'espoir de retourner un jour à Gaza. "Jusqu'à présent, je n'avais jamais vraiment eu le temps d'y penser. Mais au moment de partir, une question m'a traversé l'esprit : est-ce la dernière fois que je vois Gaza ?"
La dernière image qu'il gardera de sa terre natale, sera celle du passage devant l'hôpital Nasser, à Khan Younès, alors qu'il prenait place dans le convoi humanitaire de l'ONU chargé de l'évacuer. "J'y ai vu des gens par centaine des deux côtés du véhicule. Ils s'étaient rassemblés parce qu'ils pensaient qu'il s'agissait d'une distribution de nourriture, ou peut-être parce qu'ils voulaient quitter Gaza eux aussi. Je n'ai pas eu le courage de croiser leurs regards. J'ai fermé les yeux et tiré le rideau."