
Pilules de captagon (nom de marque du médicament psychostimulant Fenethylline) produites dans un laboratoire de fortune à al-Dimas, à environ 27 kilomètres au nord-ouest de Damas, en Syrie, le 22 décembre 2024. © Omar Haj Kadour, AFP
Le royaume saoudien punit le trafic de stupéfiants par le châtiment suprême. Cent-quarante-quatre personnes ont été mises à mort dans des affaires liées à la drogue, sur un total de 217 exécutions depuis le mois de janvier.
Si cette cadence se poursuit au fil des mois, 2025 dépassera le nombre d'exécutions de 2024, année qui constitue pourtant un sombre record depuis les années 90, avec 338 exécutions dans le royaume.
Derrière ce durcissement, un stupéfiant en vogue au Moyen-Orient : le captagon. Et l'Arabie saoudite, première économie du monde arabe, est l'un de ses principaux consommateurs, selon l'ONU.
Flambée d'exécutions
L'Arabie saoudite a recommencé à appliquer la peine de mort dans les affaires de drogue à la fin 2022, après un moratoire d'environ trois ans. Le moratoire de la peine de mort pour affaires de drogue (2019-2022) avait ainsi été décidé pour "polir" l'image du royaume, rappelle Karim Sader, politologue et consultant spécialiste des pays du Golfe. Peu avant, fin 2018, l'assassinat du journaliste Jamal Khashoggi avait terni l'image saoudienne sur la scène internationale.
Ce calendrier explique en partie l'actuelle flambée, explique Karim Sader : nombre de condamnés, dont le sort était "gelé" lors du moratoire, ont récemment et finalement vu leur mise à mort appliquée.
Le captagon : riches consommateurs, pauvres vendeurs
Prisée par la jeunesse dorée, cette drogue est revendue par des revendeurs pauvres, et surtout, étrangers - pakistanais, iraniens et autres pays asiatiques.
L'ONG Amnesty International s'en est récemment émue. "Nous assistons à une tendance vraiment effroyable, avec des ressortissants étrangers condamnés à mort à un rythme alarmant pour des crimes qui ne devraient jamais être passibles de la peine capitale", a dit la directrice adjointe pour la région, Kristine Beckerle, citée par l’AFP.
"Le sort de travailleurs pauvres sera médiatiquement moins exposé que celui de dissidents saoudiens condamnés pour des raisons politiques", explique Karim Sader.
Le retour de la peine capitale nuit à l'image de tolérance et de modernité que le royaume cherche à véhiculer, font valoir les défenseurs des droits humains.
"La guerre contre la drogue justifie tout"
Mais l'actuelle croisade contre le captagon est guidée par des impératifs domestiques. "Il y a un risque de voir la société saoudienne gangrénée par le fléau de la drogue, et Mohamad Ben Salman, dit “MBS”, veut s'en prémunir, quitte à utiliser la manière brutale et choquer les organisations internationales, occidentales en premier chef. La guerre contre la drogue justifie tout", résume Karim Sader.
Une ligne dure, d'autant plus nécessaire que le prince héritier - initiateur d'une très relative ouverture de sa société - "doit composer avec les franges conservatrices de celle-ci. Pour elles, les crimes liés à la drogue doivent être punis de mort”, explique Karim Sader.
Concrètement, "les autorités saoudiennes espèrent qu'en frappant aussi fort, ils réussiront à dissuader le trafic", ajoute l'expert.
En juin, le directeur de la sécurité publique, Mohammed al-Bassami, a fait état de "résultats positifs tangibles, avec des coups durs portés aux trafiquants et aux contrebandiers", selon le journal Okaz, influant quotidien saoudien.
Chute d'Assad en Syrie, fin du captagon en Arabie ?
"On sait pourtant que face au défi de la drogue, la répression seule ne suffit pas", commente Karim Sader.
Dans son combat contre la "cocaïne du pauvre", Riyad peut toutefois compter sur un allié régional : Ahmed al-Charaa, le président de transition syrien.
Le jour où il s'est emparé du pouvoir, le nouvel homme fort de Damas avait inclus le captagon à son discours de victoire, rappelle la BBC : "La Syrie est devenue le plus grand producteur de captagon au monde", (mais) " aujourd'hui, la Syrie va être purifiée par la grâce de Dieu."
La Syrie d'Assad était probablement la première source de captagon, estime la même source. Au point qu'en 2023, les pays arabes n'avaient accepté la normalisation avec Bachar qu'au prix d'une promesse : que Damas cesse d'inonder la région de ces fameuses amphétamines.
L'entourage du raïs - son frère Maher notamment - avait en effet trouvé dans ce trafic une manne inespérée, en dépit d'une économie brisée par la guerre et les sanctions. Au point de transformer la Syrie en “narco-État”.
En juin, les autorités syriennes de transition ont affirmé que toutes les installations de production de captagon en Syrie avaient été saisies. Le Hezbollah libanais, acteur lui aussi du trafic régional, a été considérablement affaibli par la guerre que lui a menée Israël.
Privé de ses principaux trafiquants régionaux, le captagon va-t-il finalement disparaître du royaume d'Arabie saoudite ?
La fin d'Assad ne marquera pas nécessairement celle de la production de cette drogue en Syrie, décrypte la BBC dans son enquête.
"On pense que la chute d'Assad et l'affaiblissement du Hezbollah vont contribuer à enrayer l'activité de trafic de captagon vers l'Arabie saoudite. Mais on ne pourra jamais l'enrayer à 100 %", conclut Karim Sader.