
La Russe Anastasia Pavlyuchenkova quitte le court 1 après sa défaite contre l'Américaine Amanda Anisimova lors de leur quart de finale du simple dames à Wimbledon, au sud-ouest de Londres, le 8 juillet 2025. © Adrian Dennis, AFP
"Sale pute" pour les femmes, "espèce de merdeux" pour les hommes.
De nombreux parieurs sportifs mécontents d'avoir perdu de l'argent s'en prennent désormais systématiquement aux joueuses et aux joueurs de tennis après des défaites ou des victoires sur les circuits professionnels féminins et masculins.
Des insultes que les joueurs reçoivent en messages privés sur X ou Instagram. Et le tournoi de Wimbledon, Grand Chelem sur gazon qui prend fin dimanche 13 juillet, n’échappe pas à la règle.

"Je vais te tuer"
Comme d’autres joueurs, le Français Luka Pavlovic, 241e au classement ATP, a fait les frais d'un cyberharcèlement quotidien pendant les phases de qualification du tournoi londonien.
Le joueur a reçu "deux menaces de mort" – "Je vais te brûler", "Je vais te tuer" – et "une quinzaine de messages d’insultes" de la part de parieurs "qui ne s’y connaissent même pas au tennis", déplore-t-il.
Tristement habitué, le tennisman affirme qu'il ne lit "pas beaucoup", "bloque" et "supprime" machinalement les messages reçus uniquement sur Instagram.
S'il assure ne "pas [être] touché" par ce cyberharcèlement quotidien "après une victoire, comme une défaite", sur les "Grands Chelems, Challengers et petits tournois", il ne voit pas vraiment comment cette situation pourrait cesser.
"Ce sont des comptes anonymes, ils sont là pour nous faire peur. Je préfère bloquer. Je pourrais les signaler à la Fédération française de tennis (FFT), porter plainte… mais le problème est infini", regrette-t-il.
Afficher pour sensibiliser
Le phénomène n’est pas nouveau. En 2022 déjà, L’Équipe Explore dénonçait la situation dans son documentaire Quinzaine de la haine.
Las de cette situation, certains n’hésitent plus à lever la voix, quitte à afficher les cyberharceleurs, comme l’avait expliqué Benoît Paire dans le documentaire du quotidien sportif.
Après une défaite à Estoril en avril 2022, le tennisman français avait posté en story les messages d’insultes reçus sur Instagram : "Au moins ça a payé parce qu’après je n’ai plus reçu de message, les gens avaient peur que je les affiche."

Plus récemment, Gaël Monfils a également été la cible d’attaques. Le 48e mondial en fin de carrière a préféré ironiser après sa défaite face à l'Américain Alex Michelsen sur le gazon de Stuttgart, le 10 juin 2025.

En story sur Instagram, le Français a rappelé, en anglais, à quel point le gazon n’était pas sa surface de prédilection : "Salut les mecs, ce n'est pas un conseil financier, mais vraiment, vous continuez de parier sur moi ? [...] Vous écrivez que je suis une merde. Je sais que je suis une merde, on sait tous que je suis une merde et vous pariez quand même sur moi ? Qui est le plus débile entre vous et moi, honnêtement ?"
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Accepter Gérer mes choixLe Parisien, également victime d'insultes racistes, a choisi l’humour pour sensibiliser : "Nous sommes en 2025 et vous me sortez la couleur de peau. [...] Bien sûr, si vous voulez me ressembler un peu, restez plus au soleil mais s'il vous plaît, mettez la crème solaire pour vous protéger."
"On a fait passer mon père pour un pédocriminel"
Sans limites, les parieurs enragés ont même menacé la famille du 48e mondial. "Laissez ma famille tranquille. Il ne s'agit que de moi. Ma mère ou ma femme n'ont rien à voir avec ça", leur a-t-il rétorqué dans sa vidéo publiée sur Instagram.
Alice Tubello, 418e mondiale, a aussi été submergée, avec sa famille, par une vague de cyberharcèlement.
Après une défaite en quart de finale du tournoi d’Arequipa, au Pérou, le 23 août 2024, celle qui était alors 219e mondiale a reçu plus de 300 messages haineux de la part de parieurs.

Les plus virulents ont usurpé l’identité de la Clermontoise sur Facebook : "On a repris des photos de famille en faisant croire que j’étais derrière le compte pour dénoncer la soi-disant ‘pédocriminalité’ de mon père envers moi et mes cousins et cousines".
Une situation que la joueuse de 23 ans avait déjà partiellement connue, mais jamais à une telle intensité : "Je me suis fait éclater sur les réseaux, et sur Facebook deux heures après. Ça venait de partout, dans toutes les langues. J’ai l’habitude de recevoir un, deux ou une dizaine messages insultants à tous les matchs, mais jamais autant. Et cette usurpation d’identité sur Facebook, c’est la première fois que je voyais ça."

Immédiatement, Alice Tubello a dénoncé la situation sur sa page Instagram, puis a porté plainte.
Mais la joueuse peine à faire effacer la page Facebook : "Elle a été supprimée deux jours et demi après mes signalements sur Meta, mais j’ai dû être aidée par un intermédiaire qui avait des contacts. Je ne sais pas si mes signalements auraient suffi. Voir que ce n’est pas modéré, surtout un sujet comme la pédocriminalité, c’est difficile". La plainte suit toujours son cours.
Prendre le problème "à la source"
Cette usurpation d’identité a eu des répercussions sur son entourage : "Il y a eu des interrogations quand même. Partout où mon père passait, ça lui collait à la peau. Ma petite cousine a été visée au collège, car tout circule, avec Snapchat par exemple. Mais on est restés unis, on a rien perdu de nos liens."
Comme tous les joueurs de tennis, Alice Tubello est habituée aux messages haineux, "après les victoires, comme les défaites" détaille-t-elle. Une situation d’autant plus "terrible" après une contre-performance, quand les bookmakers (sites de paris sportifs) l'annonçaient favorite. De quoi "amplifier une défaite à l’ouverture du téléphone", regrette la joueuse.

Se passer des réseaux sociaux pour ne pas être confronté au cyberharcèlement ? Ce n'est "pas vraiment possible", estime Alice Tubello, qui insiste sur l’importance de ces plateformes dans la carrière des joueurs de tennis : "On est dépendants des sponsors. On ne peut pas mettre notre compte en privé car sans les réseaux sociaux, on ne peut pas se financer."
Certaines joueuses ont décidé de mobiliser les instances du tennis mondial. L'Américaine Jessica Pegula, n°3 mondial, a salué la sortie d'un rapport publié par la Women's Tennis Association (WTA) et l'International Tennis Federation (ITF) qui a identifié, entre janvier et décembre 2024, 458 joueurs ciblés par des abus directs ou des menaces
"Les abus en ligne sont inacceptables et aucun joueur ne devrait avoir à les subir. Je salue le travail effectué par la WTA et l'ITF avec Threat Matrix pour identifier et prendre des mesures contre les auteurs d'abus, dont le comportement est souvent lié aux jeux d'argent. Mais cela ne suffit pas. Il est temps que l'industrie du jeu et les entreprises de réseaux sociaux s'attaquent au problème à la source et agissent pour protéger tous ceux qui sont confrontés à ces menaces".