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Au quai Branly, une exposition sur les zombis revient aux sources du mythe du mort-vivant haïtien
Le musée parisien du quai Branly consacre une exposition saisissante aux pratiques de zombification à Haïti. Au carrefour de l’anthropologie, de la médecine et de la pop culture, retour avec Philippe Charlier, commissaire de cette exposition, sur les origines de ce mythe du mort-vivant qui, loin d'être une histoire à dormir debout, existe bel et bien sur l'île caribéenne.

De la bande dessinée The Walking Dead au film 28 jours plus tard en passant par le jeu vidéo The Last of Us, les zombis se sont taillés une place de choix dans notre imaginaire et nos pires cauchemars. Mais son origine haïtienne ressemble en réalité bien peu à cette créature monstrueuse qui hante la pop culture. Pour remonter aux sources du mythe, le musée du quai Branly consacre jusqu'au 16 février une passionnante exposition intitulée "Zombis : la mort n’est pas une fin ?".

Vêtements cérémoniels, reconstitution de temples et fétiches plongent le visiteur dans les méandres du vaudou, religion syncrétique mélangeant le catholicisme, les cultes rapportés par les esclaves africains, et ceux des Taïnos, la population autochtone amérindienne qui peuplait l'île d'Hispaniola, devenue Haïti et la République dominicaine, avant la colonisation.

Née aux franges de cette culture vaudou, la pratique de la zombification est l'apanage de la société secrète des Bizangos. Elle constitue une forme de justice coutumière destinée à punir les crimes considérés comme les plus graves : le viol ou le fait de vendre des terres sans les posséder. Le mis en cause peut se voir administrer une poudre zombie, un poison lent, dont la recette varie, et qui va entraîner un simulacre de décès et annihiler la volonté. Ce dernier est alors réduit en esclavage dans des plantations ou des raffineries, parfois pendant plusieurs décennies.

L'un des cas les mieux documentés est celui de Clairvius Narcisse, un paysan haïtien revenu d'entre les morts dans les années 1980 après s'être volatilisé pendant 18 ans. Il aurait été zombifié pour avoir négligé certains de ses enfants et avoir refusé de donner des terres à un frère. Son histoire a passionné la communauté scientifique pendant de nombreuses années.

Pour dévoiler tous les aspects de ce rite effrayant, qui mieux que Philippe Charlier, commissaire de cette exposition. Anthropologue et médecin légiste, passionné d'ésotérisme, auteur de "Zombis, enquête sur les morts-vivants" (Ed.Tallandier) ou encore "Comment faire l'amour avec un fantôme" (Ed.Cerf), il est considéré comme le grand spécialiste français du zombi haïtien. Entretien.

France 24 : Comment avez-vous commencé à vous intéresser à la figure du zombi ?

Philippe Charlier : En tant que médecin légiste et anthropologue, je me suis intéressé aux figures des "non morts" ou de ceux que j'appelle les morts qui ne se tiennent pas tranquilles. J'ai donc pensé évidemment à Haïti, puisque c'est le territoire d'origine des zombis. J'ai travaillé ensuite sur les fantômes occidentaux avec le spiritisme ainsi que sur les vampires, en traduisant et en éditant un traité du XVIIIᵉ siècle. Je m'intéresse beaucoup à la porosité entre le monde des vivants et le monde des morts avec un double, voire triple regard : médecine d'un côté, anthropologie de l'autre, et puis parfois archéologie.

Cela me vient sans doute du fait d'avoir vu énormément de rituels funéraires. Quand j'arrive dans une ville ou un pays que je ne connais pas, la première chose que je visite, c'est le cimetière. C'est vraiment l'endroit qui me parle le plus. C'est là où on voit se jouer les interactions entre la communauté des vivants et la celle des morts. Ça dit beaucoup des religions, de la façon de gérer la vie et de gérer ce passage qui n'est pas une fin, mais une transformation, un changement d'état.

Quand retrouve-t-on la première trace du mot zombi ?

On la trouve en 1697, dans un livre édité à Rouen qui s'appelle "Le zombi du grand Pérou ou la Comtesse de Cocagne". C'est un livre un peu fantastique, un peu "olé olé" aussi, en tout cas pas un grand livre de la littérature française. Le mot zombi y est certes écrit, mais ne correspond pas du tout au sens anthropologique du terme. Dans ce livre là, il s'agit d'un sorcier des Caraïbes. Le mot zombi vient du mot nzambi que l'on retrouve aux confins de la République démocratique du Congo et du Gabon. Il signifie le fantôme d'un enfant mort, puis le fantôme tout court d'un humain. Et c'est intéressant parce que dans ce sens là, c'est un esprit sans corps. En traversant l'Atlantique sur les épaules des esclaves, il est devenu son opposé : un corps sans esprit. 

Dans cette exposition, vous avez reconstitué certains lieux clés de la religion vaudou. Est-ce une manière d'évacuer un malentendu assez courant qui consiste à réduire le vaudou à une forme de sorcellerie ?

Oui. Cantonner Haïti à des poupées vaudou ou aux zombis serait une caricature très éloignée de la réalité. Il s'agit d'un prétexte pour montrer la richesse culturelle de l'île et notamment du vaudou haïtien qui est une religion à part entière. En marge de celle-ci, il y a des sociétés secrètes qui sont des regroupements, d'après la tradition, d'esclaves marrons, ceux qui se sont révoltés contre les colons et se sont organisés. Il y a les Bazongos, Chanterelle, Cochon gris, Cochon marron, et chacun a vraiment sa spécificité. Pour les Bazongos, c'est la justice. Mais une justice d'outre-tombe en l'occurrence, une justice coutumière.

Au quai Branly, une exposition sur les zombis revient aux sources du mythe du mort-vivant haïtien

Lorsque des individus, "ne respectent pas le ventre des femmes", c'est-à-dire pratiquent des viols ou lorsqu'ils vendent des terres qui ne leur appartiennent pas, cela peut conduire pour l'individu à une peine pire que la mort : la zombification. Cette peine est prononcée après sept convocations devant la société secrète.

Vous avez vous-même mené l'enquête en Haïti et assisté à des cérémonies de zombification. Que pouvez-vous nous en dire ?

En tant qu'initié, je ne peux pas tout vous raconter. Il y a une part qui doit se vivre et qui ne doit pas se transmettre. En tout cas, ce que je peux vous dire, c'est qu'il n'y a pas qu'un seul type de zombi. C'est un mot valise qui recouvre plusieurs acceptations. Il y celui dont on vient de parler, le zombi classique, dont le sort inspire la crainte et le respect. Mais il y a aussi le zombi criminel, qui est le plus courant. C'est par exemple, votre belle-mère qui va vous zombifier parce qu'elle trouve que vous n'êtes pas un bon gendre ou que vous êtes un époux qui va s'en prendre à sa femme parce qu'elle n'accepte pas le divorce. 

Au quai Branly, une exposition sur les zombis revient aux sources du mythe du mort-vivant haïtien

On peut aussi évoquer le zombi psychiatrique, celui qui est persuadé d'être mort. C'est une maladie mentale que l'on connaît en Occident sous le nom de syndrome de Cotard. Enfin, il y a une quatrième réalité du mot zombie en Haïti, sans doute la plus complexe. C'est le zombie social. Il s'agit d'une usurpation d'identité par entente mutuelle. Prenons l'exemple d'un homme seul, isolé, parce qu'il a perdu sa famille à cause d'un tremblement de terre. Ce dernier peut être adopté par une famille qui a également perdu un membre de son entourage. Cette famille va prétexter qu'il est celui qui a disparu, justifiant son changement d'apparence par une zombification.

Dans l'exposition, on peut admirer une réplique du poisson-globe dont est extrait une toxine qui entrerait dans la composition de la poudre zombie. Que sait-on de ces poisons et de leurs effets physiologiques ?

Chaque Bokor [prêtre versé dans la magie noire] a sa propre formule. De la toxine peut en effet être extraite du poisson-globe ou fugu chez les Japonais. On peut y retrouver du jus de vipère, de la bave de crapaud, des végétaux, de la poudre d'ossements humains ou encore des extraits de dendrobates, une petite grenouille extrêmement toxique. Mais n'oublions pas une chose importante, et c'est bien ce que l'on montre dans l'exposition : de nombreux sortilèges et fétiches vont être présentés au mis en cause pendant les convocations successives où le "tribunal" cherche à lui faire entendre raison. Ici, le pouvoir de l'esprit sur le corps n'est vraiment pas à négliger. Il y a une part psychologique extrêmement importante.

Au quai Branly, une exposition sur les zombis revient aux sources du mythe du mort-vivant haïtien

Le zombi anthropologique haïtien n'a jamais été biologiquement mort. Ils a été placé dans un état de mort apparente, Donc, extérieurement on a l'impression qu'ils sont morts, mais en fait ils voient tout, ils entendent tout, ils comprennent tout, mais ils ne peuvent pas bouger. Ils respirent très lentement. Leur température corporelle s'abaisse et leur cœur bat très peu. Ce qui peut occasionner des séquelles au niveau cérébral ou moteur. 

Une fois zombifié, les individus travaillent pour un maître dans une usine ou un champ de canne à sucre. On ne peut s'empêcher de faire le lien avec le passé esclavagiste de l'île...

L'esclavage est déjà en soi une forme de zombification. Les esclaves étaient pris de force et transformés en véritable zombis par les esclavagistes occidentaux dans les plantations et ailleurs. Les descendants de ces esclaves qui se sont révoltés et ont récupéré leur liberté font subir ce sort jugé pire que la mort à ceux qui font le mal. Et ils savent de quoi ils parlent, ils savent ce qu'est l'esclavage dans leur mémoire et dans leur sang.

Vous clôturez l'exposition avec une dernière section consacrée au zombi hollywoodien. Comment le zombi d'Haïti a-t-il infusé dans la culture populaire occidentale ? 

On le doit essentiellement au réalisateur Georges A. Romero à la fin des années 1960. Les ethnologues américains avaient découvert la figure du zombi lorsque l'île était occupée par les États-Unis [de 1915 à 1934]. Puis, ces histoires ont été lues par Hollywood qui a en fait deux films majeurs : "White Zombie" avec Béla Lugosi en 1932 et "I walked with a zombie" de Jacques Tourneur en 1943.

Ensuite, Romero a récupéré le concept en le mélangeant avec la figure gore du vampire occidental. Et c'est comme ça que le zombi est devenu quelque chose de complètement différent du zombi haïtien. Dorénavant, le zombi que l'on connaît dans "Walking Dead" ou "Je suis une légende", c'est la peur d'une mort contagieuse, la phobie horrifique d'une mort épidémique. Ça n'a rien à voir du tout. Et d'ailleurs c'est une image qui a pu contribuer à faire du mal à Haïti.