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"Une femme, ça ne s'offre pas" : ces deux témoins qui ont su dire non à Dominique Pénicot
À Avignon, Jérôme B. et Cyril F. ont expliqué mardi devant la cour criminelle du Vaucluse pourquoi ils avaient refusé de se rendre chez Dominique Pélicot pour avoir des relations sexuelles avec sa femme, Gisèle. Cités comme témoins, les deux hommes ont indiqué avoir été refroidis par l'étrange discours du principal accusé du procès de Mazan.

On les nomme les deux "dossiers vides" de Mazan. Jérôme B. Et Cyril F. sont les deux seuls hommes à avoir refusé de se rendre chez Gisèle Pélicot, malgré l'invitation de son mari Dominique Pélicot qui leur proposait d'avoir des relations sexuelles avec elle. À Avignon, la cour criminelle du Vaucluse, qui juge depuis le 2 septembre Dominique Pélicot et 50 autres accusés de viols alors que la victime était droguée aux médicaments, les a entendus en tant que témoins, mardi 8 octobre.

En fouillant l'ordinateur de Dominique Pélicot, où étaient soigneusement rangées et classées toutes les vidéos de viols sur sa compagne, les enquêteurs sont tombés sur deux mystérieux dossiers vides : "jérome37ans" et "cyril43ans". Interpellés puis placés en garde à vue, les deux hommes ont finalement été mis hors de cause lors de l'instruction, et comparaissent uniquement comme témoins.

T-shirt noir, visage rond et cheveux ras, Jérôme B., s'avance à la barre, l'air peu rassuré. L'homme de 40 ans était marié en mars 2020, quand Dominique Pélicot l'a contacté sur le site de rencontres en ligne Coco.fr, désormais fermé. Le retraité engage la conversation et lui explique chercher de la main d'œuvre pour des petits travaux. Ça tombe bien : chauffeur routier, Jérôme B. est aussi jardinier amateur et cherche à arrondir ses fins de mois.

Mais la nature de la conversation dévie bientôt vers des sujets plus intimes. Les deux hommes s'échangent des photos dénudées : Jérôme B. reçoit des photos d'une femme nue et allongée sur le ventre, dans un lit. Il envoie en retour des photos de lui "en caleçon". "En fait, il m'a proposé sa femme comme moyen de paiement", résume le quadragénaire à la cour. "Il m'a dit qu'il donnait un cachet à sa femme pour la détendre, j'ai trouvé ça bizarre. Quand je lui en ai demandé plus, il avait coupé la conversation", ajoute-il.

"Avez-vous pensé au viol ?"

"Dans votre esprit, était-il acquis que ce cachet lui était donné à son insu ?", le questionne maître Antoine Camus, l'un des deux avocats de Gisèle Pélicot. Réponse de l'intéressé : "C'était flou, bizarre, tous ses propos étaient confus et pas explicites."

Depuis le début du procès, la défense tente d'imposer l'idée que Dominique Pélicot a volontairement caché aux autres accusés le fait qu'il droguait sa femme, et donc qu'il les aurait piégés. Le principal accusé maintient au contraire que tous étaient au courant de sa stratégie.

"Avez-vous pensé au viol ?", demande l'avocate générale à Jérôme B. "Non, du tout", répond-il. Raison pour laquelle, il n'a pas contacté les autorités : "Dénoncer des choses qu'on n'a pas vues, c'est la parole de l'un contre l'autre […] Sur Coco, il y a tellement de gens bizarres aussi, il y a des fantasmeurs, on ne fait pas forcément confiance aux dires".

Ce n'est pas la seule raison de son inaction : "J'ai eu peur d'aller me justifier d'aller sur des sites comme ça, alors que je me suis marié". Poussé dans ses retranchements par les avocats de la défense, le quadragénaire finit par lâcher : "Pour moi, une femme ça ne s'offre pas, ce n'est pas un objet". "Vous êtes une sorte de rescapé dans cette histoire", lance Paul-Roger Gontard, avocat de la défense.

"Même si je n'avais pas fait d'étude, j'aurais refusé"

Le premier témoignage terminé, c'est un tout autre profil qui se présente devant le juge Roger Arata, président de la cour criminelle du Vaucluse. Silhouette longiligne et voix calme, Cyril F., 48 ans, en paraît dix de moins. Conseiller municipal dans une petite commune du Vaucluse, il est titulaire d'une double maîtrise d'histoire et de géographie. En 2020, ce célibataire fréquente ponctuellement le site Coco.fr pour rencontrer des femmes de son âge ou des couples libertins. Il n'est donc pas surpris quand Dominique Pélicot l'aborde en janvier 2020.

"Au début, j'ai cru qu'il cherchait une relation [trioliste] où il me regarderait avoir une relation sexuelle avec sa femme." Puis, "il m'a dit que sa femme prenait des cachets, et qu'elle dormirait sûrement." Cyril F., s'estime victime d'une mauvaise blague : "J'ai surtout pensé que c'était un jeune qui s'amusait à raconter n'importe quoi. Je ne pensais pas du tout que quelqu'un puisse droguer sa femme pour faire venir d'autres hommes. En plus, j'avais déjà entendu des histoires de guet-apens via ce site." Il coupe court à la discussion, malgré les relances de Dominique Pélicot.

"Estimez-vous que vous êtes un rescapé dans ce dossier ?", s'enquiert Me Antoine Camus. "Non, quelqu'un qui dort, ça ne m'intéresse pas. […] Si la dame dort, forcément, il n'y a pas de consentement", tranche le quinquagénaire, sûr de lui.

La défense souligne son niveau de diplôme supérieur à la moyenne des 51 accusés, où l'on trouve surtout des ouvriers et employés. "Considérez-vous que c'est votre bagage intellectuel qui vous a empêché d'aller chez Gisèle Pelicot et d'être lucide sur la proposition de Dominique Pelicot ?", s'essaye un avocat de la défense. "Je crois que même si je n'avais pas fait d'études, j'aurais refusé", lui répond le fonctionnaire.

Pourquoi Cyril F. n'a-t-il pas eu l'idée de contacter les autorités ? Par manque d'informations ? À cause des doutes sur la véracité des propos tenus en ligne ? À l'officier qui l'interrogera en garde à vue, il ajoutera que "cela lui paraissait 'énorme' que l'épouse ne se soit jamais rendue compte a posteriori des viols qu'elle subissait."