"La Francophonie, c'est moi !", lâche-t-elle avec un grand sourire. Marguerite Abouet s'en amuse, mais elle n'a pas tort. L'autrice à succès, créatrice des célèbres bandes dessinées "Aya de Yopoungo" et "Akissi", vendues à plus d'un million d'exemplaires dans le monde, est une digne représentante de la francophonie. "Je viens d'un pays africain de culture francophone. J'ai grandi avec le français en paroles. C'est la langue dont je me sers pour communiquer, pour écrire et pour voyager."
À la veille de l'ouverture du XIXe Sommet de la francophonie organisé cette année à Villers-Cotterêts (Aisne) et au Grand Palais à Paris, la scénariste franco-ivoirienne a été invitée à participer au Festival de la francophonie qui se tient du 2 au 6 octobre à la Gaîté lyrique à Paris. Lors d'une rencontre, elle est revenue sur son rapport particulier à la langue française. "J'en fais la promotion un peu partout dans le monde, même si je la travestis. Je l'ai tellement ingurgitée que c'est vraiment facile pour moi de la manipuler", décrit-elle. "Ce qui est important, c'est que c'est une langue qui vit. En Afrique, je peux vous dire qu'on lui donne de l'éclat ! La langue française est métisse."
"J'en avais assez de lire le 'Petit Chaperon rouge'"
À travers ses bandes dessinées, Marguerite Abouet fait ainsi vivre le français dans toute sa diversité. Dans "Aya de Yopougon" et "Akissi", les personnages sont des Ivoiriens d'Abidjan qui utilisent une langue savoureuse teintée d'expressions locales. Si leur créatrice a quitté l'Afrique à l'âge de 12 ans pour Paris, elle n'a rien oublié de ses racines. Étudiante, elle partage ses souvenirs aux enfants qu'elle garde : "J'en avais assez de lire le 'Petit Chaperon rouge'. J'ai commencé à raconter ce que je faisais en Afrique avec mes amis, à l'école ou dans les rues. J'ai remarqué que les enfants adoraient mes histoires. Cela a un peu germé dans ma tête, puis la vie a continué."
Devenue juriste, elle fait une rencontre déterminante lors d'un dîner. Par hasard, elle se met à discuter avec l'illustrateur jeunesse Clément Oubrerie et lui confie avoir un stock d'histoires qu'elle n'a jamais osé publier. L'artiste s'investit tout de suite dans le projet. Ensemble, ils créent la bande dessinée "Aya de Yopougon" (éd. Gallimard bande dessinée), l'histoire d'une jeune femme vivant dans le quartier de Yopougon à Abidjan, à la fin des années 1970.
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Accepter Gérer mes choixBien loin d'une vision misérabiliste, la BD offre une autre image de l'Afrique. "Je n'étais pas à l'aise avec la manière dont les médias parlaient du continent africain et de tous ses problèmes. J'ai ma famille qui y vit et j'y vais tout le temps. Je rencontre des jeunes qui rêvent, qui aiment, qui ne veulent pas tous prendre le bateau pour venir en Europe et qui veulent faire bouger les choses dans leur pays. J'avais envie de raconter cette jeunesse", explique l'autrice.
Le succès est immédiat. Le premier tome sorti en 2005 est récompensé par le prix du meilleur album au festival d'Angoulême et s'écoule à plus de 350 000 exemplaires.
Akissi de Paris
En 2013, cette série qui compte aujourd'hui huit tomes est même adaptée en film d'animation et décroche une nomination au César. En parallèle, Marguerite Abouet crée aussi le personnage d'Akissi avec un autre dessinateur, Mathieu Sapin. Cette BD destinée aux enfants décrit le quotidien d'une petite Ivoirienne espiègle qui collectionne les bêtises.
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Accepter Gérer mes choixDouze ans après la sortie du premier épisode, Akissi s'offre de nouvelles aventures. Sorti fin août, "Akissi de Paris" raconte l'arrivée en France de l'intrépide gamine, qui fait sa rentrée dans un collège de la capitale. Le récit est largement inspiré de la propre vie de l'autrice, même si elle transpose son histoire à l'époque actuelle : "C'est vraiment ce que j'ai vécu quand j'ai débarqué à Paris. Les thématiques sont les mêmes, mis à part que les personnages ont des téléphones. C'était important pour moi de me situer aujourd'hui. J'ai sauté quelques décennies !"
Harcèlement, anorexie, réseaux sociaux, Marguerite Abouet ne s'interdit aucun sujet dans cette BD qui s'adresse cette fois-ci aux adolescents. Elle y dévoile aussi la naissance de son amour pour la langue française. Dans ce premier tome des aventures parisiennes d'Akissi, la petite fille franchit pour la première fois les portes d'une bibliothèque : "Quand je suis arrivée, j'ai demandé à la dame si c'était payant avec mon accent en gueulant. Elle m'a répondu qu'il fallait juste s'inscrire. Avec mon frère, on y passait tous nos mercredis."
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Accepter Gérer mes choixQuarante ans plus tard, l'autrice a voulu rendre la pareille. Devenue une star de la BD, elle a créé en 2008 l'association "Des livres pour tous", qui vise à rendre la lecture plus accessible aux enfants africains. "On a ouvert six bibliothèques jeunesse dans des quartiers populaires d'Abidjan. Ce sont des endroits où ils peuvent étudier aux côtés des livres, mais où il y a aussi des animations, des concours de dictée, du slam, du théâtre et des films", détaille-t-elle. "C'est ma plus grande fierté. Depuis quinze ans, des milliers d'enfants ont grandi avec ces bibliothèques."