Ces dernières semaines, Donald Trump et Kamala Harris ont accentué leurs différences de stratégies de campagne. Quand le candidat républicain tente d’électriser sa base à coup de fausses informations et d’insultes toujours plus violentes, sa rivale démocrate veut rassurer les indécis en faisant des propositions sur les dossiers considérés comme ses points faibles, en premier lieu la crise migratoire. Face à ces deux profils totalement opposés, les grands médias américains sont déstabilisés : accusés de ne pas couvrir suffisamment la surenchère trumpiste, eux-mêmes déplorent la communication ultra contrôlée de la campagne Harris.
L’immigration, cas d’école
- Des chats, des migrants, une rumeur folle
Peu de thèmes illustrent mieux les différences entre Donald Trump et Kamala Harris que celui de la crise à la frontière américano-mexicaine. Le mois de septembre a été marqué par une polémique insensée, oscillant entre comique et tragique. Le 10 septembre, soir du débat télévisé entre les deux candidats à la présidentielle, Donald Trump reprend à son compte ce qui n’était jusque là qu’une fausse rumeur des bas fonds d’Internet : les migrants haïtiens de Springfield, une petite ville de l’Ohio, mangeraient les chats, les chiens, bref, les animaux compagnie des habitants. Face à cette déclaration incongrue, aussitôt démentie par le modérateur d’ABC News, Kamala Harris éclate de rire et les réseaux sociaux s’emballent à coups de memes et de vidéos de Trump entouré de chats et de canards.
Mais le comique laisse vite place à l’angoisse chez les principaux intéressés : les habitants de Springfield. Alors que la rumeur (déclenchée un post Facebook dont l’auteure s’est depuis excusée) est contredite par les autorités de la ville, une trentaine d’alertes à la bombe viennent terroriser les écoles et bâtiments officiels, des miliciens d’extrême droite Proud Boys défilent dans le centre-ville, et les membres de la communauté haïtienne craignent pour leurs vies.
Le Parti républicain est embarqué malgré lui dans cette polémique, et le colistier de Donald Trump J.D. Vance finit par dire que s’il est nécessaire de "créer des histoires" pour que les médias traitent du problème de l'immigration, alors il n’hésitera pas à le faire. On est donc loin des excuses : Donald Trump a d’ailleurs affirmé qu'il se rendrait à Springfield pour faire campagne, malgré les demandes répétées du maire pour qu'il se tienne à distance.
- Stratégie de la surenchère
L’affaire est retombée depuis, mais Donald Trump continue d'emprunter des propos plus violents que jamais au sujet des migrants. Ce week-end, en meeting à Prairie du Chien, dans le Wisconsin, le républicain s’est lâché : "Ces gens sont des animaux. Je libérerai le Wisconsin de cette invasion migratoire massive de meurtriers, violeurs, criminels, trafiquants de drogue, voyous et membres de gangs vicieux. Nous allons libérer notre pays. Vous devez renvoyer ces gens là d’où il viennent. Vous n’avez pas le choix. Vous allez perdre votre culture." Et d’ajouter : "Ils vont entrer dans votre cuisine et ils vous couperont la gorge."
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Accepter Gérer mes choix- Kamala Harris veut corriger le tir
Cette stratégie de la surenchère, qui vise à mobiliser la base trumpiste en jouant sur les émotions, contraste en tous points avec celle de Kamala Harris. Cette dernière, accusée comme Joe Biden de laxisme, sait que le thème de l’immigration est l’un de ses talons d’Achille, elle doit donc agir pour corriger le tir. Il lui faut convaincre les électeurs modérés encore indécis et inquiets de la crise migratoire. Pour ce faire, la candidate démocrate prône la fermeté à la frontière.
Elle s’est rendue sur place vendredi dernier à Douglas, en Arizona, un des États-clés de cette élection. Il s’agissait de son premier déplacement dans la région en trois ans. "Pour réduire les passages illégaux, j’irai plus loin pour fermer la frontière entre les points d’entrée. Ceux qui traversent notre frontière illégalement seront arrêtés, expulsés et interdits de retour pendant cinq ans. Nous poursuivrons plus sévèrement les récidivistes. Et si quelqu’un ne fait pas une demande d’asile à un point d’entrée légal et traverse notre frontière illégalement, on leur refusera l’asile", a-t-elle promis, tout en critiquant l’approche de son concurrent : "Il a aggravé les difficultés à la frontière, et il continue d'attiser les flammes de la peur et de la division."
Reste à savoir ce que retiendront les électeurs au moment de mettre leur bulletin dans l’urne : les vidéos de chats sauvés par Donald Trump sur Internet ou les promesses de fermeté lors d’un déplacement de campagne axé sur un dossier de fond ?
Les médias américains dans l’embarras
- Comment couvrir Donald Trump ?
Face à ces deux campagnes diamétralement opposées, les grands médias américains sont déstabilisés une fois de plus. Comment couvrir Donald Trump ? Il s’agit de la troisième campagne présidentielle du milliardaire et il semble que la presse n’ait toujours pas trouvé la bonne formule. En 2016, elle était accusée de couvrir la moindre petite phrase du candidat, lui offrant ainsi un écho publicitaire qui l’aurait mené à la victoire. Cette fois, les journalistes se font plus sélectifs : les meetings ne sont plus rediffusés en direct et certaines déclarations outrancières ne sont même plus ou peu rapportées par les grands journaux, à l’image des propos racistes sur les migrants dans le Wisconsin mentionnés plus tôt. Même chose pour nombre de tirades incohérentes qui auraient valu à Joe Biden des gros titres sur son âge avancé ou son supposé déclin mental. Tout se passe comme si le pays était désensibilisé à Donald Trump : il a déjà tout dit, il a déjà tout fait.
Autre exemple : dimanche à Erie, en Pennsylvanie, Donald Trump a proposé de remédier au problème des vols à l’étalage grâce à une sorte de purge menée par les forces de l’ordre : "Si vous avez eu une journée vraiment violente. Une heure dure. Et je veux dire extraordinairement dure. La nouvelle se répandra et ça s’arrêtera immédiatement."
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Accepter Gérer mes choixÀ part la réaction de certains commentateurs politiques comparant sa proposition à une forme de "Nuit de Cristal" ou à des techniques de régimes autoritaires, le commentaire n’a pas fait les gros titres des journaux. La polémique sur la couverture de la campagne Trump risque d’ailleurs d’enfler avec la décision de la chaîne CBS News, qui diffusera le débat entre les colistiers Tim Walz et J.D. Vance mardi soir, de ne pas corriger les propos erronés des candidats. L’exercice de "fact-checking" reviendra aux prétendants eux-mêmes, sur leur temps de parole.
- La campagne Harris verrouillée
Avec Kamala Harris, les médias américains connaissent une diférente forme de frustration : celle du manque d’accès. Selon le site Axios, la campagne Harris-Walz est bien partie pour être celle qui aura donné le moins d’interviews et de conférences de presse de l’histoire moderne aux États-Unis. Dans un article daté du 19 septembre, Axios a calculé que Donald Trump et J.D. Vance ont accepté plus de 70 interviews et conférences, contre sept pour Kamala Harris et Tim Walz. Si pour Trump toute publicité est bonne à prendre, bonne ou mauvaise, pour la campagne de la démocrate, il s’agit bel et bien d’une stratégie pour éviter les couacs et les questions qui fâchent, quitte à frustrer les médias. Joe Biden lui-même avait limité ses interactions avec la presse lors de sa campagne victorieuse de 2020. Kamala Harris fait le même pari pour 2024 : se concentrer sur les dossiers de fond (immigration, économie) sans risquer de perdre des points en raison d’une petite phrase ou d’une réponse ratée. Et ce même si les enquêtes d’opinion montrent qu’elle est la candidate que les Américains aimeraient connaître davantage.
Le point sur les sondages
Un débat gagné par Kamala Harris, des déclarations explosives sur les migrants, une nouvelle tentative d’assassinat contre Trump… Après un été riche en rebondissement, le mois de septembre a lui aussi été dense, mais les sondages restent toujours très serrés. Tout juste peut-on déceler un léger avantage pour Kamala Harris post-débat.
Après avoir indiqué qu'il penchait pour une victoire de Donald Trump le mois dernier, le sondier Nate Silver, qui édite la newsletter Silver Bulletin, donne désormais davantage de chances de gagner à Kamala Harris. Sa moyenne lui donne 3,3 points d’avance au niveau national et la place en tête en Pennsylvanie, Michigan, Wisconsin et Nevada, quatre États-clés qui pourraient lui permettre de décrocher la majorité des grands électeurs.
Les prédictions du New York Times vont dans le même sens, avec un avantage à Kamala Harris (226 grands électeurs contre 219, si l’élection avait lieu aujourd’hui).
Selon la moyenne plus basique de RealClearPooling, la démocrate est en avance de deux points sur le républicain au niveau national. Le site donne en revanche 0,1 point d’avance à Donald Trump sur la moyenne des États clés, avec 0,2 point d’avance dans la cruciale Pennsylvanie.
La petite phrase à retenir... ou pas
Dans une interview publiée le 22 septembre par Sharyl Attkisson du Baltimore Sun, Donald Trump a affirmé qu'il ne se représenterait pas dans quatre ans s'il perdait ce scrutin. "Non je pense que je m'arrêterai là, je ne me vois pas faire ça", a-t-il affirmé. S'il changeait d'avis, le milliardaire aurait alors 82 ans lors de son quatrième essai...