Ils dorment “comme des lames de rasoirs”, les uns sur les autres. N’ont accès qu’à une ration, insuffisante, de nourriture par jour. Développent des maladies et des paralysies, pas soignées faute de moyens et de personnel. La vie des détenus de la prison de Makala, à Kinshasa (RD Congo) est un enfer dans lequel les centaines de vidéos que nous a adressées notre Observateur, offrent une plongée inédite et glaçante.
Début septembre, une émeute a causé la mort de 131 personnes, dont de nombreux détenus piétinés ou étouffés. Cet été, notre Observateur nous a envoyé des centaines de vidéos qui documentent l'effroyable quotidien des détenus. On y voit des hommes entassés les uns sur les autres, victimes de paralysie faute d'espace, se battant pour accéder à l’eau, dans l’incapacité d’être pris en charge médicalement faute de moyens. Notre émission détaille ce quotidien infernal. Selon la Fondation Bill Clinton pour la paix, une ONG congolaise qui documente la réalité de cette prison, plus de 500 détenus sont morts en 2023.
Les autorités tentent de réagir. Le 22 septembre, le ministère de la Justice a annoncé une des vagues de libération les plus importantes qu’ait connue la prison de Makala : 1 685 détenus malades ont pu quitter l’établissement où ils ne pouvaient être soignés. Cette opération doit permettre de baisser la pression sur les détenus, qui seraient environ 15 000 dans un établissement construit en 1957 et prévu pour en accueillir dix fois moins. Mais des critiques estiment que l’impact sera limité, des détenus continuant à être incarcérés dans la prison régulièrement.
Pour cause, Makala est le seul centre de détention civil de la capitale congolaise, qui ne compte aucune maison d’arrêt pour accueillir les personnes en détention provisoire. Celles-ci sont envoyées directement à Makala, ce qui contribue à la surpopulation.
“C’est le seul endroit où on peut déférer des personnes présumées dangereuses en attente de leur jugement.”
Le ministre de la Justice, Constant Mutamba, nommé début 2024, montre une posture volontariste pour désengorger la prison, mais ses initiatives rencontrent l'opposition des magistrats, explique le juriste et politologue congolais Ithiel Batumike :
En l’absence de maison d'arrêt à Kinshasa à même d’accueillir les personnes placées en détention provisoire, le premier réflexe des magistrats face à une personne présumée dangereuse, c’est de la placer à Makala. Cela contribue à la surpopulation de l’établissement.
Le ministre de la Justice a enjoint les magistrats à cesser ces transferts, mais les magistrats ont dénoncé cela en rappelant que c’est le seul endroit où on peut déférer des personnes présumées dangereuses en attente de leur jugement. Ils dénoncent ces déclarations du ministre qui les livrent à la vindicte populaire.
Le ministre n’apporte pas de solutions appropriées, ce qu’il faut c’est construire de nouvelles prisons, ce qui évidemment ne va pas prendre un ou deux mois.
“Il y a des prisonniers qui ont été condamnés et qui ne le savent pas.”
Selon Charlène Yangozo de la Fondation Bill Clinton pour la paix, 70% des détenus de Makala seraient en détention provisoire. Et ce n’est qu’un aspect des errances administratives qui ont mené à la situation actuelle selon elle :
Il y a des gens, même les prisonniers eux-mêmes, qui ont été condamnés et qui ne savent pas qu’ils ont été condamnés. Qui ont purgé leur peine et qui ne savent même pas qu’ils ont purgé leur peine. La prison elle-même, le greffe parfois, ne s’en rend pas compte puisque personne n’a suivi le dossier. Ça passe inaperçu et la personne continue à rester en prison alors que son temps de détention est déjà fini.
Le ministre de la Communication Patrick Muyaya a assuré sur France 24 que le gouvernement prenait le sujet “à bras le corps” et avait pour but de désengorger la prison de Makala, mais selon lui, “il faut savoir identifier chaque détenu, dans quelles circonstances il est arrivé à cet endroit et qu’est-ce qu’il faut faire pour le sortir, et ça ne peut pas se faire de manière automatique”.