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L'opération Market Garden, le "magnifique désastre" des Alliés en septembre 1944
Il y a 80 ans, le 17 septembre 1944, les Alliés lançaient la plus grande opération aéroportée de l'Histoire. Après avoir déchiré le front allemand en Normandie et débarqué en Provence, ils décident de déployer des parachutistes aux Pays-Bas pour contourner la ligne Siegfried, dans le but de progresser rapidement jusqu'à Berlin et mettre fin à la guerre. Mais ce plan se solde par un échec et fige de nouveau les combats à l'Ouest pendant encore quelques mois.

Si Sean Connery est surtout connu pour son rôle de James Bond, il est aussi entré dans la postérité pour avoir interprété dans "Un pont trop loin" le général Robert Urquhart, qui dirigea la 1re division aéroportée britannique au cours de la Seconde Guerre mondiale. Dans ce film sorti sur les écrans en 1977, l'acteur écossais se démène aux côtés de Robert Redford, Michael Caine ou encore Anthony Hopkins pour remplir sa mission, mais aussi pour sauver ses soldats. "J’ai conduit 10 000 hommes vers Arnhem, j’en ai moins de 2 000 à la sortie, je n’ai pas très envie de dormir", déclare, dépité, son personnage à la fin du long métrage face à son supérieur, le général Frederick Browning, qui lui propose de prendre un peu de repos.

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"Un pont trop loin" relate l’histoire de l’un des échecs militaires les plus retentissants des Alliés lors de la libération de l’Europe : l’opération Market Garden, qui se déroula du 17 au 25 septembre 1944. Il y a 80 ans, à la fin de l’été, l’alliance qui s’oppose aux forces de l’Axe vient d’enchaîner les succès. Paris est libérée, la Seine est franchie et les troupes filent en direction du Reich allemand.

"Les Allemands ont subi une terrible défaite en Normandie et ils se replient dans un grand désordre, ayant perdu quasiment toutes leurs armes lourdes et une grande partie de leurs effectifs", décrit l’historien Nicolas Aubin, auteur de "La course au Rhin (25 juillet – 15 décembre 1944)" (éd. Economica). "Ils espèrent pouvoir stopper les Alliés au niveau de la frontière allemande et aux Pays-Bas, juste avant le Rhin, en comptant sur l’allongement de leur chaîne de ravitaillement."

"Une histoire d'égos"

Dans le camp des Alliés s’engage une folle chevauchée. Chaque général rêve de franchir le premier le Rhin et de conclure la guerre avant Noël. Le maréchal britannique Bernard Montgomery et le général américain George Patton ont tous les deux le même objectif. "C’est une vraie compétition. Ils ne jouent plus en équipe. Tout ce joli monde se déchire et cherche à obtenir le maximum de ravitaillement pour avancer sans se préoccuper de ses voisins. C’est vraiment une histoire d’égos", explique Nicolas Aubin.

L'opération Market Garden, le "magnifique désastre" des Alliés en septembre 1944

Le Britannique tire finalement son épingle du jeu. Il propose une opération de très grande envergure pour contourner la ligne Siegfried et accéder rapidement à la Ruhr, le principal centre industriel du Reich. Appelée "Market Garden", elle consiste à s’emparer d’une série de ponts stratégiques aux Pays-Bas à l’aide de forces aéroportées pour permettre l’avancée des troupes. Le général américain Dwight Eisenhower, commandant suprême des troupes alliées, approuve ce plan et laisse le général Patton sur le carreau.

Organisée dans un délai extrêmement court, cette opération, considérée comme le plus grand déploiement aéroporté jamais réalisé, est lancée le 17 septembre 1944. Sous le commandement de Montgomery, 34 600 hommes - 14 589 transportés par des planeurs et 20 011 parachutistes - sont engagés. Ils sont principalement américains, britanniques et polonais. "Ils ont été largués sur 100 kilomètres de long pour prendre une dizaine de ponts et permettre ensuite aux troupes terrestres de la deuxième armée britannique de foncer et de franchir le Rhin. Ils pensaient que, militairement parlant, personne ne les empêcherait d’avancer", raconte Nicolas Aubin.

L'opération Market Garden, le "magnifique désastre" des Alliés en septembre 1944

D'énormes pertes à Nimègue et Arnhem

Le premier jour, les Alliés remportent des succès. La quasi-totalité des troupes arrivent sur les zones de parachutage prévues et rencontrent peu de résistance. Les premiers ponts sont pris à Veghel, Heumen ou encore Grave, tandis qu'un autre explose à Son. Mais à Nimègue et Arnhem, les choses se corsent rapidement.

Lors de la préparation précipitée de l'incursion, les chefs militaires britanniques ont ignoré les renseignements fournis par la résistance néerlandaise indiquant la présence de deux divisions blindées SS dans la zone choisie pour l’opération. Les Alliés sont également affaiblis par des problèmes de transmission en raison de radios défaillantes, et les mauvaises conditions météorologiques entravent l’approvisionnement et l’appui aérien. Leurs adversaires réussissent pour leur part à mettre la main sur les plans ennemis qu’ils trouvent dans un des planeurs.

L'opération Market Garden, le "magnifique désastre" des Alliés en septembre 1944

Le 20 septembre, des unités de la 82e division aéroportée américaine finissent par s’emparer de Nimègue après de très violents combats. L'attaque a été tellement coûteuse en hommes qu’elle est surnommée "Little Omaha" en référence à la sanglante prise de la plage d’Omaha Beach lors du débarquement du 6 juin 1944. À Arnhem, les soldats britanniques et polonais parachutés sont également supposés prendre dans les quatre jours le pont visé. Mais leur zone de largage se situe à une dizaine de kilomètres, compromettant l’effet de surprise. Ils font aussi face à une âpre résistance des 9e et 10e Panzerdivisionen SS qui s’étaient repliées dans la région après les combats en Normandie. Assiégés, ils se retrouvent dans une situation intenable. La 1ère division aéroportée britannique est quasiment intégralement mise hors de combat.

L'opération Market Garden, le "magnifique désastre" des Alliés en septembre 1944

Le pont d’Arnhem n’est finalement pas pris et se révèle être "un pont trop loin", comme l’immortalisa le film du même nom. "Il suffisait qu’il y ait une seule position qui ne soit pas prise pour mettre à mal tout le reste du plan", estime Nicolas Aubin. Le maréchal Montgomery doit se résigner à jeter l’éponge et ordonne l’évacuation. Alors que les pertes s’élèvent à près de 17 000 hommes tués, blessés ou fait prisonniers, "Monty" affirme pourtant que Market Garden a réussi à 90 %.

"Les limites de l’armée aéroportée"

Il ne fait aucun doute pour Nicolas Aubin que l’opération est bel et bien "un magnifique désastre" : "Elle témoigne des limites de l’armée aéroportée. Les généraux voulaient voir comment cette nouvelle arme pouvait être utilisée. Ils en ont eu un bon exemple. Ils ont compris que les parachutistes ne pouvaient pas être l'outil 'ouvre-boîte' auquel on pouvait s'attendre. On ne fera jamais plus reposer le succès d’une opération uniquement sur eux." Les Américains en profitent d’ailleurs pour rejeter la responsabilité de cet échec sur le maréchal britannique promu juste avant l'opération : "Montgomery est le bouc émissaire rêvé."

Alors que Market Garden avait pour objectif de raccourcir la Seconde Guerre mondiale, c’est l’effet inverse qui se produit, selon l’historien : "Cela l’a probablement rallongé car la 2e armée britannique se retrouve alors sur une espèce de corridor qui fait presque une centaine de kilomètres de long et qu’elle doit protéger. Elle se retrouve à devoir investir énormément d’unités dans cette zone pendant plusieurs mois alors qu’elles auraient pu être utiles à d’autres opérations pour dégager notamment les rives de l’Escaut et permettre l’ouverture du port d’Anvers."

Les conséquences sont aussi dramatiques pour la population néerlandaise. Les forces alliées comptaient sur leur plan militaire pour libérer la moitié nord du pays, mais celle-ci reste sous occupation nazie. Les représailles sont alors terribles à l’encontre des résistants qui ont aidé des soldats britanniques ou américains. Pour punir une grève lancée par les cheminots afin de soutenir "Market Garden" et pour alimenter leurs troupes, les Allemands bloquent aussi le transport de nourriture durant des semaines, provoquant une famine, "l’hiver de la faim", qui cause la mort d’environ 18 000 personnes.

L'opération Market Garden, le "magnifique désastre" des Alliés en septembre 1944

Malgré son ampleur, l'opération reste aujourd’hui peu connue en dehors des Pays-Bas. "Le film tombe lui-même dans l’oubli", souligne Nicolas Aubin. "Elle n’intéresse aujourd’hui plus que les militaires, pour qui elle est toujours un cas d’école. Quand j’ai commencé à l’étudier, j’ai été frappé de voir à quel point même dans des guerres industrielles modernes, il y a encore des individus qui sont entrés dans l’armée pour les lauriers. Patton et Montgomery étaient obnubilés par la place qu’ils allaient laisser dans l’Histoire."