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Guerre Israël-Hamas : "La possibilité de voir ces négociations aboutir est très, très faible"
Les négociations menées par le directeur de la CIA, les chefs des services de renseignement israéliens, ainsi que des médiateurs qatari et égyptien, mais sans le Hamas, se poursuivent au Qatar. Parmi leurs objectifs, une trêve à Gaza. Pour Washington, celle-ci permettrait d’éviter la riposte que l’Iran promet à Israël. Mais sur le terrain, les tensions agitent le spectre d’une escalade régionale. Les efforts diplomatiques en cours peuvent-ils l’empêcher ? Décryptage.

Les négociations visant à trouver un accord pour un cessez-le-feu à Gaza et la libération des otages suivent leurs cours, vendredi 16 aoüt, à Doha.

"Un début prometteur", se félicitait, dès les premières heures, le porte-parole de la Maison Blanche chargé de la sécurité nationale, John Kirby.  Un optimisme partagé par le président américain, Joe Biden, qui estime même que l’Iran renoncera à ses représailles contre Israël si un accord sur une trêve à Gaza est conclu. 

Pourtant, les chances de voir la diplomatie faire taire les armes n’ont jamais semblé aussi minces.

Car l’Iran a juré de frapper Israël, pour laver un affront : Ismaïl Haniyeh, ancien chef du bureau politique du Hamas, a été assassiné à Téhéran le 31 juillet dans une frappe attribuée à l’État hébreu.

Assis à la table des négociations à Doha, Israël continue néanmoins de bombarder Gaza. Sur la frontière israélo-libanaise, les affrontements avec le Hezbollah sont quotidiens. Et sur le front diplomatique, la chaise d’un belligérant majeur est vide : le Hamas a décidé de boycotter les discussions en cours.

Si cruciales, mais si compromises donc, de quoi peuvent accoucher les négociations qui se tiennent au Qatar ? France 24 s’est entretenue avec un expert de la région, Jean-Paul Chagnollaud. Il est président de l’Institut de recherche et d'études Méditerranée Moyen-Orient (IReMMO).

France 24 :  Une trêve à Gaza dissuaderait l’Iran d’une frappe sur Israël selon Washington. Un pari crédible ?

Jean-Paul Chagnollaud : Il est difficile de répondre dans la mesure où l’on ne sait pas où en sont les réflexions à Téhéran. Mais d'un point de vue global, il me semble que oui : ce pari est jouable, parce qu’il n’est pas dans l'intérêt de Téhéran de remettre en question un cessez-le-feu auquel il aspire depuis longtemps.

Le pari, toutefois, n’est pertinent que dans l'hypothèse où il y a vraiment un cessez-le-feu, conformément au cadre dressé par la résolution du conseil de sécurité des Nations unies du 10 juin. Celle-ci appelait justement à un cessez-le-feu en plusieurs étapes, reprenant le plan proposé par Joe Biden le 31 mai.

Plus compliqué à cerner, le deuxième paramètre se trouve à Téhéran : contrairement à ce que l’on croit, il n'y a pas une direction iranienne qui irait dans un sens unique, sans contradiction.

Il existe au contraire des archipels de pouvoirs dans lesquels se trouve désormais le nouveau président Masoud Pezeshkian qui a été élu sur des bases nouvelles par rapport à son prédécesseur, Ebrahim Raïssi.

Ce nouveau dirigeant, autant qu'on puisse le savoir, est plutôt partant pour éviter la guerre, et essayer d'obtenir une victoire politique. Celle-ci pourrait se concrétiser, par exemple, par le vote d'une résolution du Conseil de sécurité condamnant ce qui s'est passé le 31 juillet (l’assassinat à Téhéran d’Ismaïl Haniyeh dans une frappe attribuée à Israël, NDLR.)

Un ensemble d’indices me fait donc penser que oui, le pari américain est jouable. Même si la possibilité de voir ces négociations aboutir, évidemment, est très, très faible.

Quel est l’obstacle numéro un sur lequel achoppent les actuelles discussions ?

Rappelons le contenu de la résolution du Conseil de sécurité des Nations unies du 10 juin, qui est indissociable du plan Biden (proposé le 31 mai par le président américain, ce plan est le socle des actuelles négociations, NDLR). 

La première étape du texte onusien prévoit d’abord le retrait des troupes israéliennes des zones peuplées. Dans la seconde, l’armée israélienne se retirerait totalement du territoire.  

Même s'il voudrait certes accélérer les choses, en obtenant un retrait plus rapide, le Hamas est sur cette même position.

Mais Benjamin Netanyahu, lui, est vent debout contre une telle idée : le Premier ministre israélien veut pouvoir rester à Gaza tout le temps. En fait, il est pour une sorte de guerre sans fin, que cette situation perdure sous des formes un peu différentes, mais où des forces israéliennes pourraient intervenir à n'importe quel moment, soit de Gaza même, soit tout près de Gaza.  C'est là un point de désaccord fondamental.

Or, il se trouve que les Américains ont voté cette résolution, et que les autres capitales occidentales y sont favorables. Les Russes se sont abstenus, et sont ainsi plutôt pour.

Benjamin Netanyahu fait donc face à une vraie contradiction internationale. La question, de fait, est la suivante : les Américains vont-ils peser suffisamment ? Iront-ils au bout d’une logique qui obligerait Netanyahu à enfin accepter une trêve et un cessez-le-feu sur la base de ce texte ?

Les États-Unis, actifs sur le front diplomatique, pourvoient aussi Tsahal en armes et munitions. Représentent-ils des médiateurs crédibles ?

Ils sont crédibles s’ils s’en tiennent vraiment à la mise en place du plan qu’ils ont proposé, et qui est le seul réalisable. Certes, il est évident que dès lors que la sécurité d’Israël est en jeu, les États-Unis sont les soutiens inconditionnels de l'État d'Israël.

Mais on peut raisonner par dialectique : les soutiens inconditionnels d'Israël pourraient aussi convaincre ce dernier que la vraie chance pour eux, c'est un cessez-le-feu, et non une guerre. C’est un argumentaire fort, car je crois que si Israël continue sur la voie actuelle, il va se terrer dans une impasse stratégique absolue.

Et c’est peut-être aussi ce que les Américains vont leur dire. Même si je reste extrêmement sceptique sur la possibilité d’arriver à dépasser toutes ces contradictions, c’est bien ici que réside une petite chance.