Le principal parti d'opposition en Tanzanie, Chadema, a demandé lundi 12 août la libération de plusieurs de ses responsables, dont ses emblématiques dirigeants Freeman Mbowe et Tundu Lissu, arrêtés avant un rassemblement de jeunesse.
Cette vague d'arrestations a suscité l'inquiétude d'organisations de défense des droits humains et de l'opposition dans le pays, qui dénoncent un retour aux pratiques autoritaires de l'ancien président John Magufuli à quelques mois d'élections locales, en décembre 2024, puis présidentielle et législatives en 2025.
La présidente Samia Suluhu Hassan, qui a pris les rênes du pays après le décès soudain de John Magufuli en mars 2021, avait jusqu'à présent affiché une certaine rupture avec son prédécesseur, promettant notamment de restaurer "la compétition électorale" et multipliant les gestes envers l'opposition, muselée sous John Magufuli.
Lundi, le président du parti Chadema, Freeman Mbowe, et un responsable de la branche jeunesse du parti ont été arrêtés à leur arrivée à l'aéroport de Songwe, à une vingtaine de kilomètres de la ville de Mbeya où avaient été interpellés la veille son numéro 2 Tundu Lissu et deux autres responsables du parti.
Chadema devait tenir lundi dans cette ville du sud-ouest du pays un rassemblement pour la Journée internationale de la jeunesse, interdit dimanche par la police qui a invoqué des risques de violences.
Dans un communiqué, Chadema a fait état de 469 jeunes ou responsables du parti, ainsi que cinq journalistes, interpellés dans le pays et demandé la "libération immédiate et sans condition" de tous ceux placés en détention.
"Menace"
"Nous ne pouvons pas permettre cette pratique digne de Magufuli de se poursuivre dans notre pays", a dénoncé le secrétaire général adjoint du parti pour la Tanzanie continentale, Benson Kigaila, lors d'une conférence de presse. "Nous voulons savoir où se trouvent nos dirigeants qui ont été arrêtés", a-t-il ajouté, affirmant avoir des informations selon lesquelles certains "ont été battus".
La formation d'opposition ACT Wazalendo a "fermement" condamné ces arrestations, qui "ravivent les craintes d'un retour rapide à un environnement répressif empêchant les partis politiques d'opposition de mener librement leurs activités". Ces actions constituent "une menace (...) pour la démocratie multipartite dans le pays", a-t-elle estimé dans un communiqué.
La Coalition tanzanienne des défenseurs des droits humains, réseau de plus de 250 organisations, a appelé à la libération de toutes les personnes détenues.
L'ONG Amnesty International a également dénoncé des "arrestations massives" et "détentions arbitraires", estimant que "les autorités doivent libérer de toute urgence toutes les personnes détenues ou les poursuivre pour une infraction pénale prévue par la loi".
"C'est inquiétant, car cela ressemble beaucoup aux arrestations massives d'opposants observées lorsque Magufuli était président", a déclaré à l'AFP Oryem Nyeko, chercheur sur la Tanzanie pour Human Rights Watch.
Emmanuel Nchimbi, le secrétaire général du Chama Cha Mapinduzi (CCM), le parti au pouvoir depuis l'indépendance en 1961, a demandé publiquement au ministère des Affaires Intérieures leur libération. "Nous, hommes politiques, ne pouvons pas interférer dans les procédures légales, mais notre demande est que vous envisagiez la possibilité de libérer les dirigeants de partis politiques arrêtés à Mbeya", a-t-il déclaré lors d'un rassemblement dans la région de Katoro (nord-ouest).
Figures emblématiques
Depuis son arrivée au pouvoir, Samia Suluhu Hassan s'était démarquée de la politique menée par son autoritaire prédécesseur John Magufuli, dont les années de présidence (2015-2021) ont été marquées par la répression de l'opposition politique, l'intimidation des médias et des restrictions à la liberté d'expression.
Elle a notamment autorisé la réouverture de médias interdits, mis fin à l'interdiction des meetings politiques d'opposition et promis de relancer le processus de révision constitutionnelle, réclamé de longue date par l'opposition.
Arrêté en juillet 2021, le dirigeant de Chadema Freeman Mbowe, 62 ans, et trois autres responsables du parti ont vu leur procès pour "terrorisme" arrêté en mars 2022, après que les procureurs ont annoncé l'abandon des poursuites.
Autre membre emblématique du parti, Tundu Lissu, 56 ans, était rentré d'exil en janvier 2023. Il avait fui la Tanzanie après une tentative d'assassinat en 2017, qu'il avait qualifiée de politique, puis était revenu brièvement en 2020 pour concourir à l'élection présidentielle contre John Magufuli, qui avait été réélu avec un score officiel de 84 %.
Avec AFP