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Crise diplomatique France-Algérie : en 2025, une bascule irrémédiable ?
Entre affaires judiciaires et contentieux migratoires, la crise diplomatique entre la France et l’Algérie a connu en 2025 un pic historique, marqué par des expulsions mutuelles de diplomates et le rappel de l’ambassadeur de France. La libération de l’écrivain Boualem Sansal par l’Algérie en novembre peut-elle amorcer la réconciliation souhaitée par Paris ? France 24 fait le point sur les causes de la brouille et les perspectives d'un dégel des relations.
Photomontage du président français Emmanuel Macron et du président algérien Abdelmadjid Tebboune. © Studio graphique FMM, AP

"Je veux bâtir une relation d'avenir qui soit apaisée." Le 22 novembre dernier, depuis Johannesburg, où il assistait au premier sommet du G20 organisé en Afrique, Emmanuel Macron s’était exprimé sur la difficile relation entre la France et l’Algérie.

Le président français expliquait avoir mis en place un nouveau "processus" pour relancer la machine diplomatique, à l’arrêt depuis des mois. "Je constate qu’on a déjà eu des premiers résultats. La libération de Boualem Sansal est un premier résultat dont il faut se féliciter", assenait-il alors, quatre jours après le retour en France de l’écrivain franco-Algérien à la faveur d’une grâce présidentielle.

"Maintenant il faut avoir beaucoup de constance et, je le dis, d’humilité et de respect", soulignait-t-il, prudent néanmoins quant à l’éventualité d’un véritable dégel, après plus d’un an d’une profonde crise diplomatique.

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Crise diplomatique France-Algérie : en 2025, une bascule irrémédiable ?
© France 24
02:57

Virage du Sahara occidental

Cette brouille a débuté à l’été 2024, avec la reconnaissance par Paris de la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental. Un changement de cap diplomatique, perçu comme une trahison par Alger, soutien des indépendantistes du Front Polisario. 

En réaction, l’Algérie avait rappelé son ambassadeur à Paris. Les affaires diplomatiques y sont depuis gérées par un chargé d'affaires.

"Il y avait déjà eu des épisodes de tension, notamment après des déclarations critiques d’Emmanuel Macron sur le régime algérien, mais le changement de position de la France sur le Sahara Occidental a marqué un tournant", souligne l’historien Benjamin Stora. "Il s’agit, pour l’Algérie, d’une remise en cause de son intégrité territoriale. C’est une question très sensible, d’autant plus lorsqu’elle est soulevée par l’ancienne puissance coloniale", poursuit l’expert franco-algérien, coauteur de "France / Algérie – Anatomie d'une déchirure" (Les Arènes).

Sansal, OQTF et affaires judiciaires en France 

Dans ce contexte déjà tendu, l'arrestation de Boualem Sansal, à Alger le 16 novembre 2024, crispe encore davantage les relations entre les deux pays. Réputé critique du pouvoir, l’écrivain franco-algérien écope de cinq ans de prison, notamment pour "atteinte à l’unité nationale", après des propos polémiques sur les frontières du Maroc et de l'Algérie.  

En parallèle, un autre sujet de friction défraye la chronique : le retour des OQTF, les étrangers sous obligation de quitter le territoire français.

Le 22 février 2025, un ressortissant algérien tue un homme et blesse plusieurs policiers lors d’une attaque au couteau à Mulhouse. Fiché S pour radicalisation, l’assaillant était sous obligation de quitter le territoire, mais n’avait pu être expulsé. L’Algérie avait refusé à de multiples reprises de délivrer un laissez-passer consulaire, acte administratif permettant d’attester de sa nationalité et d’organiser son retour.

Un document utilisé par Alger comme une arme diplomatique. "Jusqu’à fin 2024, la France opérait environ 1 800 reconduites par an, mais depuis un an, celles-ci sont refusées de manière quasi-systématique par les autorités algériennes", indique une source diplomatique française, sous couvert d’anonymat.

Durant la même période, plusieurs influenceurs algériens ou franco‑algériens sont arrêtés et poursuivis en France pour propos haineux ou apologie du terrorisme.

Privilégiant le "rapport de force" avec l’Algérie, le ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau prône alors une escalade progressive, avec le durcissement de l’octroi de visas diplomatiques, puis la remise en cause des accords de 1968, favorisant l'immigration algérienne. Le président Tebboune rejette quant à lui tout ultimatum, qualifiant Emmanuel Macron de "seul point de repère" dans cette crise.

Expulsion "inédite" de diplomates  

Fin février, le président français reprend le dossier en main et affirme vouloir privilégier la négociation avec Alger. Il échange avec son homologue et tous deux annoncent, lundi 31 mars, une relance de la relation bilatérale.

Mais deux semaines plus tard, une nouvelle crise éclate après l’arrestation en France d’un employé du consulat algérien, soupçonné dans une affaire d’enlèvement.

Dénonçant une "provocation", l’Algérie expulse 12 diplomates français. Une mesure "regrettable" pour la France, qui réplique en expulsant à son tour 12 diplomates algériens et en rappelant son ambassadeur.

"La réaction de l’Algérie a été un coup de massue, d’autant plus qu’elle est intervenue quelques jours après le voyage du ministre des Affaires étrangères à Alger, censée amorcer le processus de reprise. C’est une mesure d’une gravité totalement inédite", souligne la source diplomatique française contactée par France 24.

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Crise diplomatique France-Algérie : en 2025, une bascule irrémédiable ?
Regain de tensions franco-algériennes © France 24
06:25

Réconciliation impossible ?  

Depuis la rentrée, le président français tente à nouveau de relancer la relation, épaulé par le ministre des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot et le nouveau ministre de l’Intérieur Laurent Nuñez, en poste depuis octobre. Un "processus très graduel", explique-t-on au Quai d’Orsay, axé sur deux priorités : la reprise de la coopération migratoire et sécuritaire.

"L'expulsion des Algériens sous OQTF est essentielle pour protéger la sécurité nationale", affirme le diplomate contacté par France 24. "La collaboration avec l’Algérie sur le narcotrafic et le terrorisme, y compris au Sahel, est-elle aussi primordiale, car elle a un impact sécuritaire à la fois direct et indirect sur la France", poursuit-il.

"Nous sommes déterminés, mais il faut être lucide : la relation est très dégradée et les derniers signaux envoyés par l’Algérie ne sont pas très encourageants", reconnaît le diplomate.

Car depuis la libération de Boualem Sensal, obtenue à la demande de l’Allemagne, l’Algérie semble à nouveau avoir durcit le ton.

Le 3 décembre, la justice a confirmé la condamnation à sept ans de prison du journaliste sportif français Christophe Gleizes, autre français détenu en Algérie, dont Paris espérait la libération.

En parallèle, le Parlement algérien a adopté, mercredi 24 décembre, à l'unanimité la proposition de loi qualifiant la colonisation française (1830-1962) de "crime d'État" et réclamant à Paris "des excuses officielles" ainsi que des indemnisations. 

Pour Benjamin Stora, la réconciliation demeure un horizon lointain. "Il y a en Algérie un sentiment anti-français, nationaliste, très fort, avec lequel le président Tebboune doit composer. Tout comme en France, nous avons une partie de la classe politique à droite et à l’extrême droite, qui n’admet pas la fin de l’Algérie française", souligne l’historien.

"Ces tensions ont toujours existé. Mais elles ont atteint cette année un seuil critique, provoquant pour la première fois une crise diplomatique très grave. La reprise du dialogue est inévitable, ne serait-ce que pour la communauté algérienne de France, qui représente près de trois millions de personnes. Mais cette accumulation de tensions va laisser des traces", conclut-il.