En l’espace de trois ans, Luka Mkheidze a changé de statut. Médaillé de bronze aux Jeux olympiques de Tokyo, il est désormais l’un des leaders de l’équipe de France de judo. À quelques semaines du début des JO de Paris, les regards sont braqués sur lui et le champion d’Europe en titre répond aux questions des nombreux journalistes avec le sourire.
"C’est vrai que comme les Jeux se déroulent à la maison, on a beaucoup de sollicitations", confie-t-il lors de la journée de présentation des judokas sélectionnés pour les Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024. "Mais j’essaie de rester concentré dans ma bulle et de ne pas me prendre la tête. C’est important de ne pas perdre du jus inutilement et de ne pas se fatiguer pour briller le Jour J".
Quelques minutes plus tôt, Stéphane Nomis, le président de France Judo, avait rappelé les ambitions de la sélection tricolore pour cette olympiade organisée à domicile : décrocher pas moins de 10 médailles. Interrogé sur les élections législatives anticipées et les propos racistes entendus par certains au cours de la campagne, le patron du judo français a aussi insisté sur les origines diverses de ses judokas. "Ça, c'est mon équipe de France. Elle véhicule des valeurs. Les valeurs du judo sont universelles", a-t-il déclaré en montrant le visage des différents sélectionnés pour les Jeux.
De Tbilissi à Tokyo
Luka Mkheidze en est l’exemple parfait. Né en 1996 à Tbilissi, il grandit en Géorgie où il commence à pratiquer le judo à l’âge de huit ans après la victoire de son compatriote Zurab Zviadauri aux Jeux d’Athènes. Mais en 2009, sa vie bascule. Quelques mois après la guerre en Ossétie du Sud, région de Géorgie occupée par les troupes russes, ses parents rêvent d’un avenir meilleur et décident de quitter le pays.
Après une première étape en Biélorussie, ils gagnent la Pologne, mais leur demande d’asile y est refusée. La famille part alors pour la France. Luka Mkheidze et ses parents occupent, pendant un an, une chambre d’hôtel à Paray-Vieille-Poste, dans l’Essonne. Malgré ces conditions précaires, le jeune athlète reprend le judo. "Quand je suis arrivé en France, j’ai dû m’intégrer et apprendre la langue. Cela m’a forgé, c’est ce qui fait qu’aujourd’hui je suis en équipe de France et que j’arrive à être performant", explique-t-il.
Mais le chemin pour porter le kimono des Bleus a été long. Après un passage au Havre, puis à Rouen et à Sucy-en-Brie dans le Val-de-Marne, Luka Mkheidze parvient à s’entraîner à l’Insep, le centre de formation des sportifs de haut niveau à Paris. Les portes de l’équipe de France lui sont cependant fermées : pour y accéder, il doit obtenir la nationalité française, mais la demande d’asile de sa famille est refusée à deux reprises.
En 2015, son dossier de naturalisation est finalement accepté. Son ascension dans le judo est lancée. Il participe à ses premiers championnats du monde en 2018. Trois ans plus tard, à Tokyo, en montant sur la troisième marche du podium dans la catégorie des -60kg, il permet à la France de remporter sa première médaille lors de la quinzaine olympique.
"Aider la France à aller de l’avant"
Sur les tatamis, Luka Mkheidze défend les couleurs de son pays d’adoption. Comme le président de sa fédération, il porte un regard inquiet sur les remous que traversent la vie politique française. "Je suis un militaire. Je fais partie du bataillon de Joinville [NDLR : une unité de l’armée française qui accueille des athlètes de haut niveau], je n’ai pas à donner mon avis sur ce qui se passe en ce moment, mais cela me touche beaucoup. Le seul truc que je peux dire aux gens, c’est d’aller voter". Le jeune champion veut surtout mettre l’accent sur la mixité qui règne au sein de l’équipe tricolore. "C’est sa force. Une fois qu’on monte sur les tatamis, peu importe nos origines et d’où l’on vient. On est tous au même niveau", insiste-t-il.
À son niveau, Luka Mkheidze veut montrer que les étrangers ont aussi beaucoup à apporter à la France. "Je suis l’un des exemples, mais il y en a des milliers comme moi qui aident la France à aller de l’avant", résume-t-il. "Elle a toujours accueilli des personnes venant d’autres pays".
"Une fierté de combattre à la maison"
Même s’il représente aujourd’hui l’Hexagone, Luka Mkheidze garde un lien très fort avec son pays d’origine où il se rend parfois pour des stages ou des vacances. Après sa médaille de bronze à Tokyo, la présidente Salomé Zourabichvili l’avait félicité en personne. Alors que la Géorgie connaît elle aussi une période de troubles politiques, il a suivi attentivement les récentes manifestations contre la controversée loi sur "l’influence étrangère" adoptée par le parlement : "Je n’ai pas forcément le temps de me prendre la tête avec tout ça, mais je ne peux pas fermer les yeux. Même si ma vie est en France, je ne peux pas oublier mes racines. Si cette loi est vraiment mise en place, cela va être un recul. Les gens vont devenir un peu des prisonniers".
Alors que l’échéance olympique se rapproche, Luka Mkheidze entend toutefois rester concentré sur son objectif et de "rester à l’écart de toutes ces choses qui rendent triste". Le 27 juillet, il va tout faire pour décrocher cette fois-ci la médaille d’or. Après une grave blessure au genou droit contractée en 2022 et une opération, il est aujourd’hui revenu à son meilleur niveau. Vainqueur du Grand slam de Paris en février, il fait partie des prétendants au titre : "Quand on est favori, ce n’est pas un rôle qui est facile à gérer, mais après les derniers Jeux, j’ai fait pas mal de championnats et de compétitions avec ce statut. C’est quelque chose que je maîtrise désormais".
À l’Arena Champ-de-Mars, le lieu où se tiendront les épreuves de judo, le champion aura à cœur de faire résonner la Marseillaise. "C’est une fierté de combattre ici à la maison. Même si je ne suis pas né ici, je m’y sens comme chez moi", insiste-t-il. "J’espère que je vais briller cet été et montrer aux gens que j’ai réussi ma vie ici. C’est aussi une manière de remercier toutes les personnes qui m’ont aidé à devenir ce que je suis. Si je gagne, ce sera aussi un peu leur victoire".