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Avec la poussée de l'extrême droite, l'Ukraine redoute un affaiblissement de l’UE face à la Russie
La montée de l’extrême-droite que traduisent les résultats des élections européennes est perçue avec inquiétude en Ukraine, qui compte sur le soutien militaire accru de l’UE pour repousser l’envahisseur russe. La situation politique en France y est particulièrement scrutée car les propos d’Emmanuel Macron sur les soldats au sol et la possibilité de frapper des bases russes ont suscité de grands espoirs.

La montée des populismes en Europe constitue-t-elle une menace pour la défense de l’Ukraine ? La question inquiète Kiev qui voit d’un mauvais œil la progression record des deux principales formations d’extrême-droite aux élections européennes.

Avec un total de 13 sièges supplémentaires, le groupe Conservateurs et réformistes européens (CRE) – auquel appartiennent le parti de Giorgia Meloni, Fratelli d'Italia, Vox en Espagne ou encore Reconquête en France – et le groupê Identité et démocratie (ID) – portée notamment par les bons résultats du Rassemblement national – se sont hissés respectivement à la quatrième et cinquième place du tableau, évinçant les Verts. 

Si les conservateurs, socialistes et centristes sont parvenus à maintenir leur majorité, cumulant 401 des 720 sièges de l’hémicycle, certains craignent en Ukraine que l’arrivée de nouveaux parlementaires nationalistes freine le soutien à l’Ukraine, au moment où le pays en a le plus besoin.

"Nous avons évité le pire, mais cette tendance nationaliste qui progresse au Parlement européen est très dangereuse pour l’Ukraine, s’inquiète Tetyana Ogarkova, journaliste et responsable du département international de l'Ukraine Crisis Media Center. Nous connaissons la proximité de plusieurs de ces partis avec le Kremlin et cela ne nous facilite clairement pas la tâche". 

Vecteur de propagande russe

Si leur enjeu était jugé secondaire par la population ukrainienne, ces élections européennes ont cependant fait couler beaucoup d’encre dans le pays. "Nous ne sommes pas membres de l’UE et notre population est très focalisée sur les évolutions de la guerre, en particulier à Kharkiv et Donetsk où les combats font rage ces dernières semaines. Mais le sujet a été beaucoup commenté dans les médias et les cercles politiques", explique la députée d’opposition Lesia Vasylenko, qui soutient le président Volodymyr Zelensky depuis le début de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie.

Parmi les sujets d’inquiétude, les liens financiers entre certaines formations européennes d’extrême droite et la Russie. Des liens qui, dans le passé, ont provoqué plusieurs polémiques, voire des scandales, en Autriche, en France ou en Allemagne. 

Des observateurs soulignent également la proximité idéologique entre l’extrême droite européenne et Moscou, sur des sujets comme les libertés individuelles, les questions de mœurs ou la gestion sécuritaire. Un terreau propice à la progression de la propagande russe au sein de l’UE, selon Lesia Vasylenko.

"Cette tendance est incarnée par Viktor Orban, qui se voit en ami de Poutine et s’emploie à semer le doute pour saper le soutien européen à l’Ukraine. En questionnant, par exemple, la légitimité des frontières de notre pays, et reprenant ainsi le discours russe", déplore-t-elle.

"Posture hypocrite"

Au cours des deux années de conflit, le président hongrois a freiné la mise en place des sanctions contre la Russie, bloqué plusieurs mois l’adhésion de la Suède à l’Otan et posé son veto, en décembre dernier, à l’aide de 50 milliards d'euros pour l’Ukraine.

Lors de la campagne pour les européennes, Viktor Orban s’était posé en défenseur de la paix, face à une majorité de pays européens favorables à la guerre.

Même son de cloche chez le parti d’extrême droite allemand AfD, arrivé deuxième aux européennes derrière la coalition dirigée par le chancelier Olaf Scholz. La plupart de ses représentants ont boycotté mardi 11 juin le discours de Volodymyr Zelensky devant le Bundestag. "Nous refusons d’écouter un orateur en tenue de camouflage", a fustigé la direction de l’AfD dans un communiqué, affirmant que "l’Ukraine n’a pas besoin d’un président de guerre mais d’un président de paix".  

S’ils affirment soutenir l’Ukraine, de nombreux autres représentants de la droite nationaliste européenne, comme Jordan Bardella en France ou Giorgia Meloni en Italie, insistent quant à eux sur la nécessité d’éviter l’escalade avec la Russie.

Tetyana Ogarkova fustige une "posture hypocrite". "Aucun parti n’ose dire qu’il est contre le soutien en Ukraine. Mais derrière leurs messages de paix, ils nous appellent en réalité à négocier au plus vite et donc à céder des territoires pour terminer cette guerre, jouant ainsi le jeu du Kremlin".

Menace pour la France

La journaliste ukrainienne voit dans le résultat des élections européennes un "tableau mitigé" car malgré la montée de l’extrême droite, les partis pro-ukrainiens demeurent majoritaires.

Si elle se réjouit de la victoire du parti de Donald Tusk en Pologne, allié indéfectible de Kiev, Tetyana Ogarkova se montre bien plus inquiète concernant la France. D’autant plus que le président français a durci son discours vis-à-vis de la Russie ces derniers mois – Emmanuel Macron a d'abord affirmé qu’il ne fallait pas exclure l’envoi de troupes occidentales sur le sol ukrainien, puis a soutenu qu’il fallait permettre à l’Ukraine de frapper les sites militaires russes avec des armes de l'Otan et envoyer sur place des instructeurs militaires.

"Nous avions le sentiment qu’Emmanuel Macron avait pris le leadership sur le soutien à l’Ukraine avec une position forte vis-à-vis de Vladimir Poutine. La dissolution de l’Assemblée paraît aujourd’hui très risquée au vu du score très élevé de l’extrême droite aux européennes et son calcul, vu d’ici, est difficile à comprendre", déplore la journaliste. 

"À l’échelle du Parlement européen, l’extrême droite reste certes minoritaire mais la présence de ces nouveaux députés risque de faire traîner les débats sur l’Ukraine, ce qui a pour conséquence d’affaiblir l’UE face à la Russie", s’inquiète Tetyana Ogarkovase. "Vladimir Poutine sent cette frilosité et l’utilise à son avantage".