L'élection présidentielle de dimanche au Mexique devrait marquer un tournant historique avec l’élection d'une première femme à la tête du pays. La favorite, Claudia Sheinbaum, ex-maire de Mexico, candidate de la gauche au pouvoir, affronte Xochitl Galvez, ancienne sénatrice de centre-droit. Les droits des femmes n'ont pas été un sujet central de la campagne.
Il n’y a plus aucun doute : pour la première fois de l’histoire du Mexique, une femme va prendre les rênes du pays. Favorite de l’élection présidentielle qui se tient dimanche 2 juin, Claudia Sheinbaum, la candidate de la gauche au pouvoir, se distingue nettement dans les sondages (53 %) devant une autre femme, l'opposante de centre-droit Xochitl Galvez (36 %), et l'outsider Jorge Alvarez Maynez (11 %), selon un sondage d'Oraculus daté du 28 mai.
Claudia Sheinbaum, l'ancienne maire de Mexico, conserve depuis plusieurs mois une confortable avance dans les sondages. Cette scientifique de 61 ans, ancienne membre du Giec, promet de s'inscrire dans la continuité de la politique du président Andres Manuel Lopez Obrador et de son parti Morena.
Xochitl Galvez, 61 ans également, est une ancienne sénatrice et entrepreneuse dans le secteur des technologies, d'origine otomie, une ethnie indigène du Mexique. Elle est soutenue par la coalition du PAN (droite), du PRI (centre) et du PRD (centre-gauche).
L’une de ces deux femmes rejoindra ainsi le groupe encore très fermé des cheffes d'État. À travers le monde, moins d'un pays sur dix est dirigé par une femme : au 1er janvier 2023, seulement 11,3 % des pays avaient une femme cheffe d'État et 9,8 % une femme à la tête du gouvernement, selon l’ONU.
Pas d’agenda politique féministe
Cette élection intervient dans un contexte où le Mexique reste le pays le plus dangereux d’Amérique latine pour les femmes, selon les Nations unies, et détient le triste record du nombre de féminicides dans la région.
En moyenne, dix femmes et filles sont tuées chaque jour par un conjoint ou un membre de leur famille, d'après les données du gouvernement. Malgré l'adoption pionnière d'une loi qualifiant pénalement le féminicide dès 2012, moins d'un quart de ces meurtres de femmes sont officiellement reconnus comme des féminicides, noyés dans la masse des crimes violents qui gangrènent le pays.
Si la question de l'égalité femmes-hommes est abordée par les deux candidates, aucune d’elles ne se positionne comme défenseuse des droits des femmes. "Elles n’ont aucun intérêt à porter un agenda politique féministe, car cela limiterait énormément leur potentiel d'attraction dans le pays", analyse Lissell Quiroz, historienne et professeure d’études latino-américaines à CY Cergy Paris Université. "En revanche, elles sont issues de partis politiques masculins qui instrumentalisent leur présence féminine."
Malgré les enjeux importants pour les droits des femmes, les programmes des deux candidates restent timides sur le sujet. Claudia Sheinbaum promet de qualifier le crime de féminicide au niveau national – malgré son inscription dans le Code pénal, plusieurs États mexicains ne l'appliquent pas. Grâce à cette mesure, tout homicide d'une femme fera en principe l'objet d'une enquête en tant que féminicide.
De son côté, sa rivale Xochitl Galvez propose la création d'une bourse d’études destinée aux enfants de victimes de féminicide ou encore de créer des parquets spécialisés pour aider les "madres buscadoras" – les mères de personnes portées disparues, qui s’élèvent à 15 par jour, hommes et femmes confondus.
"Préoccupées par l'essor des idées conservatrices"
L'avortement est resté un sujet absent des débats électoraux. Si la dépénalisation de l'IVG à l'échelle nationale a été actée en septembre 2023 par la Cour suprême – et non à l’initiative du gouvernement –, seulement 12 des 32 États l'appliquent.
Les revendications féministes pour l'accès à l'avortement et l'égalité des droits résonnent encore fortement aujourd'hui au Mexique, car un fossé persiste entre les progrès réalisés et les réalités vécues par les femmes dans le pays. "Malgré les avancées notables, un fort stigmate social continue d'accabler les femmes qui avortent", déplore Sofia Blanco, porte-parole du collectif féministe Mapas. "Nous sommes préoccupées par l'essor, au cours de la prochaine législature, des idées conservatrices prétendant que les femmes ont déjà acquis tous leurs droits, ce qui est loin d'être le cas."
Face à ce constat, les attentes vis-à-vis de la future présidente restent élevées. "Nous [les féministes mexicaines] n'avons confiance ni en l'une ni en l'autre", poursuit Sofia Blanco à propos des deux candidates. "Nous pensons qu'il est important d'avoir une femme présidente, mais cela ne garantira pas automatiquement de nouvelles avancées pour les luttes féministes. Nous avons besoin d’une présidente qui écoute la société civile."
Rupture symbolique
Au-delà des questions d'égalité femmes-hommes, la future présidente sera aussi jugée sur sa capacité à répondre aux défis importants auxquels le pays est confronté, comme les problèmes économiques et l’immigration. Mais aussi – et surtout – la violence du narcotrafic et la corruption. Et le fait d’être une femme peut changer la donne, selon Lissell Quiroz. "En tant que figures féminines, les deux candidates se dressent contre la défiance envers les institutions, et plus particulièrement envers le personnel politique, historiquement dominé par les hommes", explique l’historienne.
"Elles incarnent l'espoir d'une politique plus intègre, moins entachée par la corruption et la violence. L'image de la femme est aussi associée à une approche différente de la criminalité et de la répression. La population aspire à un changement, à une rupture avec le cycle de violences – contre les femmes, mais également entre cartels – qui semble aujourd’hui endémique dans le pays."
La spécialiste salue la présence de ces "self-made women" dans la course à la présidence. "C'est une rupture symbolique avant tout. Elles incarnent une transformation profonde des structures et des mentalités politiques, où les femmes ne sont plus cantonnées à des rôles secondaires. Ces femmes ne sont ni des accompagnatrices, ni des figures maternelles, ni des héritières du pouvoir. Elles ont construit leur carrière politique."
La représentation féminine en politique a connu des avancées considérables ces dernières années au Mexique, comme en témoigne l’accession de femmes à des postes clés, notamment Norma Piña, à la présidence de la Cour suprême, et Victoria Rodriguez, à la tête de la Banque centrale. Depuis 2014, la parité est inscrite dans la Constitution et se concrétise par un nombre record de femmes au Parlement (251 pour 500 au total) et à la tête de plusieurs États.
Mais pour Sofia Blanco, le chemin pour sortir de la société patriarcale est encore long. "En 2024, il y a encore des gens qui disent qu'il faut prendre soin des femmes, mais ce que l'on attend, ce sont des faits et des actions", dénonce la militante féministe. Et de conclure : "Nous n'avons pas besoin d'être protégées, nous avons besoin que nos droits soient garantis !"