
En Afrique du Sud, quelque 27,6 millions d'électeurs inscrits sur les listes votent, mercredi 29 mai, pour renouveler leur Assemblée nationale et leurs Parlement locaux. Plus de 1,6 million de personnes s'étaient enregistrées pour glisser le bulletin dans l'urne par anticipation. Les bureaux étaient ouverts pour eux lundi et mardi.
Le Parlement, fraîchement élu, devrait siéger deux semaines après le scrutin. Ses 400 députés seront alors appelés à élire le président. Au pouvoir depuis 2018, le président Cyril Ramaphosa pourrait voir son mandat prendre fin, si son parti, le Congrès national africain (ANC), n'obtient pas de majorité.
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Des élections démocratiques
Une cinquantaine de partis sont en lice pour ces élections qui sont les septièmes que connait le pays depuis la fin de l’apartheid et l'avènement de la démocratie en 1994. Jusqu'ici l’ANC a tout raflé. Mais ce scrutin pourrait se solder par un recul historique du parti au pouvoir.
"Des observateurs de l'Union africaine et des organisations de la société civile veillent au bon déroulement du vote. Mais les élections se passent généralement bien en Afrique du Sud", commente Marianne Séverin, chercheuse associée au laboratoire de recherche Les Afriques dans le Monde (LAM) Sciences Po Bordeaux.
Cette spécialiste de l’Afrique du Sud salue la transparence et la modernité du scrutin avec "une application de la Commission électorale – un organe indépendant – qui permet même de suivre en temps réel le dépouillement des voix". "En règle générale, les partis politiques acceptent leur défaite assez rapidement", ajoute-t-elle.
Autre particularité du scrutin sud-africain, les députés sont choisis par un vote à la proportionnelle, ce qui permet de refléter la diversité de la nation arc-en-ciel, encore marquée par les stigmates de 43 années d'apartheid (1948-1991).
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L'ANC sous le feu des critiques
Depuis l'élection de Nelson Mandela en avril 1994, l'ANC a remporté tous les scrutins nationaux à une très large majorité, obtenant 57 % des voix en 2019. Mais le parti risque cette fois de perdre sa majorité au Parlement, oscillant entre 40 % et 47 % des voix dans les enquêtes d'opinion.
Pendant trente ans, la plupart des électeurs ont été loyaux au parti qui a libéré le pays du régime de ségrégation raciale. Mais pour beaucoup, l'ANC - qui avait promis l'éducation, l'eau, un toit et un vote pour chaque Sud-Africain - n'a pas tenu ses engagements. De nombreux électeurs pourraient cette année se détourner du parti historique.
"C'est aussi le signe d’une société civile forte, gardienne de la démocratie, qui dénonce tous les travers du pouvoir en place, et notamment la corruption", estime Marianne Séverin.
La multiplication des affaires de corruption impliquant des figures de l'ANC a très nettement entamé la confiance des électeurs. "La corruption a toujours existé en Afrique du sud, mais il y a eu une explosion des affaires sous l’ère de Jacob Zuma [ancien président issu de l’ANC]", souligne la chercheuse.
Toutefois, il reste encore difficile pour certains électeurs de faire confiance à d’autres partis. Ils éprouvent un attachement particulier à l’ANC. "L’Afrique du Sud est une démocratie très jeune, elle n’a que 30 ans. Il y a des gens qui ont mené la lutte anti-apartheid et qui sont encore vivants. Ceux qui ont connu l’apartheid ont cette confiance dans l'ANC car c’est le mouvement historique qui leur a permis aujourd'hui d’être libre", explique-t-elle encore.
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Une opposition morcelée
Face à la machine ANC, une kyrielle de partis vont tenter de gagner des voix. Le premier parti d’opposition, l'Alliance démocratique (DA, centre droit) est crédité de 25 % d'intentions de vote dans les sondages, selon l’AFP. Mais il peine à convaincre les électeurs déçus de l’ANC. "Dans la tête des Sud-Africains, ce parti ne ressemble pas vraiment à l'Afrique du Sud multiraciale. Ils lui reprochent notamment d'avoir plus de dirigeants blancs que noirs", décrypte Marianne Séverin.
Plusieurs personnalités noires ont d’ailleurs quitté les rangs du DA ces dernières années, après avoir dénoncé le parti pour son manque d’inclusivité ou son positionnement sur un abandon des politiques de discrimination positive censées corriger les inégalités héritées de l’apartheid. Des critiques réfutées par John Steenhuisen, à la tête de l’Alliance démocratique, qui accuse les démissionnaires d’opportunisme politique.
"Il s’agit aussi d’un parti plutôt libéral, qui a par exemple refusé la loi sur la sécurité sociale universelle. Or la majorité des Sud-Africains, notamment la majorité noire, n'a pas de sécurité sociale", explique Marianne Séverin.
Un autre parti récemment créé pourrait peser dans le jeu politique : Umkhonto We Sizwe (MK), un fondé par l'ex-président Jacob Zuma, 82 ans, baptisé du nom de la branche armée de l'ANC sous l'apartheid. Il a suscité la surprise en attirant jusqu'à 14 % d'intentions de vote, même s’il est redescendu à 8 % d’après les derniers sondages.
Tête de liste du MK, Zuma a été déclaré inéligible par la Cour constitutionnelle, le 20 mai, en raison d'une condamnation en 2021 pour outrage à la justice. Mais sa photo apparaîtra toutefois sur les bulletins de vote, imprimés depuis des semaines.
Les Combattants pour la liberté économique (EFF, gauche radicale) représentés par leur leader Julius Malema, ont fait campagne quant à eux auprès de la jeunesse promettant de "renverser ce gouvernement de criminels".
Enfin dans la province du Cap, l'Alliance patriotique augmenter son score, rapporte Caroline Dumay, correspondante de France 24 en Afrique du Sud. Son leader Gayton McKenzie, un ancien trafiquant de drogue, prône un régime fort et durant la campagne, il a rempli des stades dans la banlieue du Cap. "Ce parti nationaliste chrétien fait le plein dans les communautés métisses défavorisées du Cap en emportant tous les déçus de l’ANC et de l’Alliance démocratique. La peine de mort, le retour du service militaire, ou encore l’expulsion des immigrés... Voici les thèmes que le parti met en avant, en espérant emporter la province du cap et faire 15 % au niveau national" détaille-t-elle.
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Une perte de confiance dans les institutions
Quoi qu’il en soit, l’abstention devrait battre un record lors de ces élections générales, s’accordent à dire plusieurs experts de la vie politique sud-africaine. Selon le chercheur en sciences politiques Ebrahim Fakir interrogé par l’AFP, la participation tombée de 89 % en 1999 à un peu plus de 66 % en 2019 sera aussi un facteur clef. "Cela ne relève pas d'un désintérêt mais est directement lié au mécontentement et une perte de confiance dans les institutions", estime cet expert.
Durant la campagne, plusieurs partis ont même choisi d’affréter des bus pour remplir les stades lors des meetings, appâtant le chaland avec T-shirts gratuits, fruits ou sandwichs a rapporté l’AFP.
Le taux de chômage dans la nation arc-en-ciel est un des plus élevés au monde à plus de de 30 %. La jeunesse est particulièrement touchée avec près de 45,5% des 15-24 ans au chômage, d’après Marianne Séverin.
Selon un rapport publié par la Banque mondiale en 2023, l’Afrique du Sud fait partie des pays possédant l’un des taux d’inégalité les plus élevés et persistants au monde. La deuxième économie du continent africain, est aussi un pays dans lequel 55,5 % de la population vivent sous le seuil de pauvreté.
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Vers une période d'incertitude politique
D'après les derniers sondages, aucun parti ne devrait disposer de la majorité parlementaire qui lui permettrait d’élire seul le président. Pour Marianne Séverin, si l'ANC perd son hégémonie, il va "devoir entrer en cohabitation avec des petits partis" mais ne perdra pas pour autant le pouvoir.
Les observateurs prédisent des négociations serrées dans les jours suivant le vote autour de la formation d'un prochain gouvernement de coalition. Cela pourrait prendre du temps. "Pour le bien du pays, il va falloir une coalition cohérente et donc mettre les égaux de côté, ce qui ne va pas être simple. Et quand bien même, si une alliance est conclue, se posera alors le problème de la gouvernance comme cela a été le cas dans plusieurs Parlements locaux, où des votes de blocage ont empêché les prises de décision", rappelle la chercheuse.
"Au sein de l’Alliance démocratique, mais aussi du parti Zoulou, certaines personnalités ont évoqué la possibilité de s’allier à l'ANC avant d’être contredits dans d’autres déclarations". Signe d’une cacophonie qui a déjà commencé avant même le vote et le dépouillement des résultats.

Avec AFP