S’agit-il de la dernière étape avant une opération israélienne de grande envergure à Rafah ? Ou bien une manière de faire plier, une bonne fois pour toute, le Hamas sur la question des otages ?
L'armée israélienne a mené, mercredi 8 mai, des frappes contre la ville palestinienne de Rafah, surpeuplée, après avoir pris, la veille, le contrôle du point de passage entre l’Égypte et le sud de Gaza, principale porte de l’acheminement d’aide humanitaire dans l’enclave. Quelque 1,4 million de Gazaouis vivent entassés à Rafah dont la population a été multipliée par six, depuis le début de l’offensive israélienne à Gaza, le 13 octobre, en réponse aux attaques meurtrières du Hamas sur le sol israélien.
Depuis des semaines, les alliés d’Israël, États-Unis en tête, tentent de convaincre l’État hébreu de renoncer à son projet d’offensive terrestre de grande envergure à Rafah, agitant le risque d’une nouvelle catastrophe humanitaire. Malgré la pression internationale, Israël a opposé le 7 mai une fin de non-recevoir à une proposition de cessez-le-feu négociée au Caire, et acceptée par le Hamas. Un accord qui prévoyait pourtant un échange entre des prisonniers palestiniens détenus par Israël et les 33 otages du mouvement islamiste palestinien, dont les familles réclament ardemment le retour.
Désaccord sur les conditions de libération des otages
Lundi soir, le Hamas a annoncé aux médiateurs qatari et égyptien qu’il acceptait la proposition de trêve dans la bande de Gaza. Ce feu vert avait provoqué de vives réactions dans l’enclave palestinienne et notamment à Khan Younès, où de jeunes gazaouis s’étaient rassemblés dans la rue pour exprimer leur joie. Des espoirs rapidement douchés par le cabinet israélien. Le bureau du Premier ministre a affirmé que cette proposition était "loin des exigences israéliennes", tout en annonçant l'envoi d'une délégation "auprès de la médiation pour épuiser les possibilités de parvenir à un accord" de trêve.
Selon le Hamas, cette proposition est un accord en trois phases, d'une durée de 42 jours chacune, incluant un retrait israélien complet de la bande de Gaza, le retour des déplacés et un échange d'otages, dont 132 sont toujours retenus à Gaza, contre des prisonniers palestiniens détenus par Israël, dans le but à terme de parvenir à un "cessez-le-feu permanent".
L'offre du Hamas comprend la libération de 33 otages, "morts ou vivants", à raison de trois par semaine alors qu'Israël exige la libération de 33 otages vivants, à raison de trois tous les trois jours, a indiqué le média israélien Haaretz.
"L’ensemble du cabinet de guerre israélien a rejeté les dernières propositions du Hamas, déclarant que les conditions pour les libérations graduées des otages n’étaient pas acceptables", a souligné sur France 24 Marc Lefèvre, porte-parole du mouvement La Paix Maintenant, association française proche du mouvement israélien Shalom Archav, qui milite pour une solution à deux États.
"La proposition du Hamas visait à torpiller l'entrée de nos forces à Rafah", a réagi pour sa part Benjamin Netanyahu dans une déclaration vidéo, qualifiant le contrôle du point de passage avec l’Égypte d’"étape très importante vers la destruction des capacités militaires restantes du Hamas" et notamment "des quatre bataillons terroristes" présents dans cette zone.
Trêve vs cessez-le-feu
Outre les modalités de libération des otages, l’autre point d’achoppement majeur concerne la nature même de la demande du Hamas : un cessez-le-feu et non une trêve. Car le mouvement islamiste palestinien affirme que cet accord doit permettre une cessation durable des hostilités. Une condition qui va à rebours de l’objectif initial défendu par Benjamin Netanyahu, à savoir la destruction pure et simple du Hamas.
Pour le Premier ministre israélien le maintien de la pression militaire sur le Hamas est essentiel pour permettre le retour des otages israéliens. Une stratégie contre-productive selon Oliver McTernan, directeur de l’organisation britannique Forward Thinking, spécialiste de la médiation.
"Ces pressions ont tendance à renforcer la résistance et représentent un grand danger pour la vie des otages. (…) Sans cessez-le-feu, il est impossible de garantir leur sécurité, de faire en sorte qu’ils puissent être réunis et de permettre leur retour", déplore-t-il.
Mardi, le Hamas a annoncé le décès d'une otage des suites des blessures liées aux bombardements israéliens.
Calcul politique
Dans son propre pays, l’approche de Benjamin Netanyahu est loin de faire l’unanimité. Depuis des mois, des manifestations ont lieu pour réclamer le retour immédiat des israéliens détenus depuis le 7 octobre par le Hamas.
Mardi, des familles d’otages étaient à nouveau réunies à Tel-Aviv et Jérusalem. Certains de ces manifestants ont appelé le Premier ministre à accepter la proposition d’accord de cessez-le-feu pour mettre fin à leur attente.
"Nous sommes prêts à des compromis pour ramener les otages, mais si nous n'avons pas le choix, nous intensifierons l'opération dans toute la bande - au sud, au centre, et au nord", a déclaré le ministre de la Défense, Yoav Gallant.
Derrière ces déclarations, le cabinet de guerre israélien, mis en place par Benjamin Netanyahu le 11 octobre 2023 pour gérer l'attaque du Hamas contre Israël, demeure partisan d’une ligne dure face au Hamas. C’est le cas en particulier de deux de ses membres les plus extrêmes : Bezalel Smotrich, ministre des Finances et Itamar Ben Gvir, ministre de la Sécurité nationale, fervents défenseurs de l’offensive de grande envergure à Rafah.
Mercredi, les États-Unis, premier partenaire militaire d'Israël, ont eux aussi accentué la pression contre le gouvernement Netanyahu, annonçant la suspension de livraison de munitions et de bombes face aux "inquiétudes" sur Rafah. Il y a un mois, Washington avait autorisé le transfert de plusieurs milliards de dollars de matériel militaire à Israël tout en exprimant publiquement leur opposition au projet d'offensive terrestre dans cette zone.
Pour le politologue Pascal Boniface, Israël est aujourd’hui "à la croisée des chemins". "Benjamin Netanyahu est coincé entre les pressions très fortes de son allié américain, qui lui demande de ne pas faire cette opération sur Rafah, et les pressions de ses deux alliés extrémistes Smotrich et Ben-Gvir qui menacent de quitter le gouvernement, occasionnant la chute du cabinet. Il y aurait alors de nouvelles élections et Benjamin Netanyahu perdrait le pouvoir" analyse le directeur et fondateur de l’Iris (Institut de relations internationales et stratégiques). "Nous en sommes là et nous ne savons pas quelle option le Premier ministre va choisir" conclut-il.
Selon un récent sondage de la chaîne israélienne Channel, 12, 58 % des Israéliens sont favorables à la démission immédiate du Premier ministre Benjamin Netanyahu. En cas d’élections anticipées, le parti de son rival Benny Gantz emporterait la mise au Parlement, selon la même étude, loin devant le Likoud, de Benjamin Netanyahu.