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Bloqueurs de puberté, hormones... l'accès aux soins des mineurs transgenres en question
Au Royaume-Uni, un long rapport publié mercredi appelle à une "grande prudence" face à l'utilisation de traitements hormonaux et de bloqueurs de puberté pour les mineurs transgenres. Alors que la question suscite aussi de nombreux débats en France et dans les pays nordiques, les défenseurs des droits des personnes transgenres regrettent la difficile prise en charge des jeunes concernés et des "freins" à "rebours des recommandations scientifiques internationales".

Comment accompagner les jeunes qui se questionnent sur leur genre, notamment la minorité qui souhaite suivre un traitement médical hormonal ? Si certains pays d'Europe comme l'Allemagne ou l'Espagne, sont particulièrement progressistes sur les droits des personnes transgenres, au Royaume-Uni, en France, mais aussi en Suède ou en Finlande la question fait régulièrement l'objet de débats virulents. 

Aujourd'hui, un mineur à qui l'on diagnostique une "dysphorie de genre", c'est-à-dire une détresse liée à l'inadéquation entre le genre ressenti et son sexe de naissance, peut se voir prescrire des "bloqueurs de puberté". Autorisés sur le marché depuis une quarantaine d'années et initialement destinés à des enfants subissant une puberté précoce, ces traitements à base d'hormones de synthèse permettent d'empêcher la stimulation des gonades (ovaires, testicules) et la sécrétion des stéroïdes sexuels (œstrogènes, testostérone). Concrètement, cela permet ainsi de ralentir les changements qui s'opèrent dans le corps au moment où survient la puberté. Si le traitement est interrompu, la puberté physiologique reprend son cours.

Puis, l'adolescent ou l'adolescente peut bénéficier de traitements hormonaux féminisants ou masculinisants. Ces traitements sont dits d'affirmations de genre car ils permettent de développer les attributs d'un sexe ou de l'autre. 

Les chirurgies de réassignation - une série d'opérations sur le visage, la poitrine ou les organes génitaux pour rendre le corps conforme au genre ressenti -  ne sont, quant à elles, accessibles qu'à partir de 18 ans.

Des limitations dans plusieurs pays

Actuellement, dans la majorité des pays européens, les "bloqueurs de puberté" peuvent être prescrits à partir de 8 ans aux mineurs transgenres. Les traitements d'affirmation de genre, eux, sont accessibles à partir de 14 ou 16 ans. 

Mais au Royaume-Uni, le système de santé publique, le NHS, interdit aux professionnels de santé, depuis le 1er avril, de prescrire de façon régulière ces traitements hormonaux aux mineurs transgenres. Ils ne restent possibles que pour des jeunes vivant des pubertés précoces ou dans le cadre d'essais cliniques très encadrés. 

Dans la lignée de cette décision, un long rapport de 400 pages, commandé par le NHS, a été publié mercredi 10 avril. S'appuyant sur quatre années d'entretiens avec des enfants, associations, professionnels de santé, parents, la pédiatre Hilary Cass appelle à "la plus grande prudence" sur ces traitements hormonaux. Il "devrait y avoir une justification clinique claire pour fournir des hormones" avant l'âge de la majorité, insiste-t-elle. 

La Finlande, de son côté, avait fortement limité l'accès à l'hormonothérapie pour les mineurs, sauf dans de très rares cas, dès 2020. La Suède avait suivi son exemple deux ans plus tard. 

En décembre 2023, les autorités sanitaires norvégiennes ont quant à elles décidé de limiter l'accès aux traitements hormonaux aux seuls adolescents participant à des essais cliniques. Au Danemark, des directives similaires sont en cours de finalisation.

En France, un rapport sénatorial porté par des élus Les Républicains, publié le 18 mars, appelle, là aussi, à interdire tout accès aux "bloqueurs de puberté" et aux hormones d'affirmation de genre. La sénatrice en charge du sujet, Jacqueline Eustache-Brinio, a annoncé sa volonté de déposer une proposition de loi en ce sens "avant l'été". 

Les risques de regrets, un argument contesté

À chaque fois, les appels à limiter l'accès aux traitements hormonaux aux mineurs transgenres s'appuient sur les mêmes arguments. Parmi eux, le risque de voir ces jeunes "regretter" leur décision. Au Royaume-Uni, le cas de Keira Bell, née fille, qui avait bénéficié de "bloqueurs de puberté" puis avait subi une double mastectomie - une ablation des seins, avant d'exprimer des regrets à la vingtaine, a été largement médiatisé

"Avant 18 ans, le consentement n'est pas le même qu'à l'âge adulte et les enfants risquent de prendre des décisions parfois irréversibles, que certains regrettent plus tard", abonde de son côté la sénatrice française Jacqueline Eustache-Brinio, auprès du Figaro.

"Si les cas de détransition sont souvent fortement médiatisés, ils restent extrêmement rares", répond Anaïs Perrin-Prévelle, coprésidente de l'association OUTrans, qui défend les droits des personnes transgenres. Dans une étude publiée en 2022 par la revue Pediatrics portant sur 300 jeunes Américains transgenres, seuls 2,5 % d'entre eux exprimaient ainsi effectivement des regrets cinq ans après leur transition. Une autre étude, effectuée aux Pays-Bas, montre des taux très faibles d'arrêt des bloqueurs de puberté pour que celle-ci reparte - moins de 2 % dans une cohorte de 6 793 jeunes âgés de 12 ans à 18 ans. 

"Et, au fond, une détransition doit-elle forcément être une erreur ?", questionne l'activiste. "Nous pensons toujours la question du genre comme quelque chose de binaire. Mais on peut aussi voir le ressenti de son genre comme quelque chose de fluctuant, qui évolue en fonction des moments de sa vie. Là nous serions dans une société vraiment inclusive".

"Manque d'études scientifiques"

Les opposants à ces traitements pour les mineurs s'inquiètent également du manque d'études scientifiques concernant les effets secondaires générés par les traitements. Dans son rapport publié mercredi, la pédiatre Hilary Cass s'inquiète ainsi de "la mauvaise qualité des études publiées" et de l'absence de "données fiables" sur la transidentité chez les jeunes. "La recherche les a abandonnés", dénonce-t-elle.

Bouffées de chaleur, fatigue, maux de tête et altération de l’humeur sont des effets indésirables courants des bloqueurs de puberté, qui surviennent principalement au début du traitement. Mais, plus inquiétant, les bloqueurs de puberté pourraient avoir des effets sur le développement cognitif – l’adolescence est un moment-clé dans le développement de certaines facultés. 

À ce jour aucun cas de déficiences cognitives liées aux bloqueurs de puberté n'a été avéré. L’Association mondiale des professionnels en santé transgenre (WPATH) – qui établit des recommandations de prise en charge pour les personnes transgenres – souligne toutefois régulièrement l’importance de multiplier les études à ce sujet.

Un enjeu majeur de santé mentale

"Comme dans tous les domaines de la médecine, le fond du problème est d'évaluer la question du bénéfice-risque", estime Anaïs Perrin-Prévelle, d'OUTrans. "Et ce qui est sûr, c'est que ces traitements ont un impact positif majeur sur la santé mentale des jeunes concernés", insiste-t-elle, rappelant que les personnes transgenres sont plus exposées au risque d'idées et de conduites suicidaires que le reste de la population.

"Sans compter qu'interdire l'accès à ces traitements, c'est condamner ces personnes à des opérations très lourdes à l'âge adulte", poursuit-elle. "Si la puberté n'est pas bloquée, la personne se retrouvera peut-être à devoir se faire opérer des cordes vocales pour supprimer les effets de la voix qui mue, ou à se faire retirer la pomme d'Adam, à se faire opérer du visage ou de la poitrine ou à subir une épilation définitive…", liste-t-elle, avant de lancer : "Faut-il se focaliser sur les rares pourcentages de jeunes qui regrettent ou sur ceux dont la santé mentale est et restera très fragile par manque d'accès aux soins ?"

"Aujourd'hui, aucun pays d'Europe ne pratique d'opération chirurgicale sur les adolescents transgenres. Avoir accès à un traitement hormonal leur permet cependant de vivre plus facilement en adéquation avec leur genre ressenti", insiste l'activiste. "Et à l'âge adulte, nombreux sont ceux qui ne veulent pas aller jusqu'à l'acte chirurgical, qui reste un protocole très lourd."

Face à cet enjeu, la WPATH a estimé en 2022, des centaines de références scientifiques à l’appui, que le rapport bénéfice-risque était ainsi en faveur du recours aux bloqueurs comme aux hormones

Des cas toujours très minoritaires

Les jeunes transgenres qui s'engagent dans un parcours de soins restent par ailleurs aujourd'hui une minorité, note l'activiste, décrivant un "parcours du combattant". S'ils sont très difficiles à dénombrer, différentes études européennes évoquent des chiffres allant de 10 à 40 %. À titre d’exemple, en France, au sein de la consultation spécialisée pluridisciplinaire de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris, parmi les 239 patients suivis ces dix dernières années, moins d’un sur deux a effectivement bénéficié d'un parcours de soin.

"Les milieux conservateurs sombrent dans une sorte de panique morale et veulent faire croire à une 'explosion des cas', mais en réalité, le nombre de jeunes concernés reste très limité", insiste encore Anaïs Perrin-Prévelle. "Et surtout, ce n'est pas leur offrir l'accès aux soins dont ils ou elles ont besoin qui va faire augmenter leur nombre. Cela leur permet juste de devenir plus visibles."

Au-delà de ces débats, l'activiste appelle à ne pas plonger dans un "prisme déformant" et à se rappeler que l'Europe était pionnière dans l'accès aux soins des personnes transgenres. "Aujourd'hui, l'Europe va dans le bon sens sur la question des droits des personnes transgenres. Les pays cités ne font que réagir à cette dynamique", estime-t-elle. En février 2023, l'Espagne a ainsi adopté une loi permettant aux personnes transgenres, dès 16 ans, de changer d'identité et de genre à l'état civil par une simple formalité, rejoignant ainsi le Portugal et l'Islande.