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L’ascension fulgurante de l’extrême droite aux législatives met fin à l’exception portugaise
Les législatives anticipées de dimanche au Portugal ont été marquées par une forte poussée du parti d’extrême droite Chega, sur fond de campagne anti-corruption, dans un pays secoué par les scandales politico-financiers. Pour parvenir à ses fins, le leader populiste André Ventura a cherché à policer son discours teinté de xénophobie et de références à la dictature de Salazar.

"Nous sommes plus d’un million au Portugal !". Devant ses partisans en liesse, André Ventura exulte. Le leader du parti populiste Chega s’est félicité, lors d’un rassemblement dimanche soir, des bons résultats de son camp, qui a récolté 18 % des voix lors de ces législatives anticipées du 10 mars.

Après dépouillement de la quasi-totalité des bulletins, Chega - qui signifie "Ça suffit" en portugais - est donné troisième du scrutin. Le parti d’extrême droite devrait obtenir au moins 48 sièges au Parlement qui en compte 230. Une poussée spectaculaire puisqu'il quadruple son score par rapport au précédent scrutin en 2022 (7,2 % des voix).

Cette élection lui donne un poids "considérable" relève Yves Léonard, historien, enseignant à Science-Po et spécialiste du Portugal contemporain. "Ce résultat soulève beaucoup d’interrogations à quelques semaines de la commémoration du 50e anniversaire de la Révolution des œillets qui avait mis fin à la dictature de Salazar, et dont Chega reprend un certain nombre de thèmes".

Quelques mois après avoir fondé Chega, en 2019, André Ventura est entré au Parlement comme député après avoir mené une campagne sous le slogan salazariste de "Dieu, patrie, famille et travail". Des références que le leader a tenté de gommer lors de cette nouvelle élection.

L’ascension fulgurante de l’extrême droite aux législatives met fin à l’exception portugaise

Xénophobie, propos anti-gitans et anti-migrants

"Chega veut incarner une sorte de récit national, qui puise ses racines dans des temps très anciens, au Moyen-Âge, souligne Yves Léonard. C’est un récit que la dictature de Salazar avait utilisé en son temps".

Admirateur de Donald Trump, de Jair Bolsonaro, et de Matteo Salvini, André Ventura, qui s’affiche volontiers aux côté de Marine le Pen, refuse d’être classé à l’extrême droite. Il a cherché à policer son discours lors de cette campagne, mettant de côtés les propos xénophobes, anti-Roms et anti-migrants qui le caractérisaient ces dernières années.

En 2020, le parlementaire s’en était pris à une députée noire, Joacine Katar Moreira, demandant qu’elle "soit rendue à son pays d’origine", la Guinée-Bissau. Durant la pandémie de Covid-19, il avait provoqué un tollé après avoir déclaré que les Roms devaient être envoyés dans des camps pour leur prétendu manque d’hygiène, vecteur de maladies.

Les scandales de corruption ont propulsé Chega

"Jusqu'à récemment, le Portugal était l'un des rares pays européens à ne pas avoir de parti d'extrême droite performant", note Marta Lorimer, chercheuse en politique européenne à l'Institut européen London School of Economics. La percée de Chega a surpris tout le monde, marquant la fin de l’exception portugaise. Un succès conjoncturel à imputer, selon elle, "aux scandales de corruption qui ont touché les autres partis politiques".

Perçue par de nombreux électeurs comme un problème endémique, la corruption s’est imposée comme l'un des thèmes majeurs de ce scrutin. Un phénomène prévisible puisque ces législatives anticipées ont été convoquées après une série de scandales de corruption ayant entraîné la démission de l’ancien Premier ministre socialiste Antonio Costa.

Promettant de "faire le ménage", Chega, a surfé sur cette dynamique anticorruption pour se positionner "comme chevalier blanc de la démocratie et dans une rhétorique très anti-système", explique Yves Leonard.

Football et réseaux sociaux

Son ascension fulgurante, l’extrême droite portugaise la doit aussi à son leader, parvenu au fil des ans à occuper l’espace médiatique et les réseaux sociaux. Professeur de droit, André Ventura s’est rendu célèbre en tant que polémiste sur les plateaux de télévision consacrés au football, notamment en commentant les matches du Benfica.

Une grande partie de l’électorat de Chega est composée de jeunes, âgés de moins de 34 ans, selon Yves Leonard. "Un électorat séduit par l’utilisation débridée des réseaux sociaux que le parti manipule avec beaucoup de savoir-faire", détaille-t-il.

À cela s’ajoute une "normalisation du discours d’extrême droite", qui a conduit un certain nombre d’électeurs à franchir le pas pour voter Chega, alors qu’ils se réfugiaient jusqu’ici dans l’abstention. Selon les chiffres officiels, 66,24 % des Portugais inscrits sur les listes se sont rendus aux urnes dimanche, ce qui représente le taux d’abstention le plus bas depuis 2005.

Chega aux portes du pouvoir

Devant Chega, l'Alliance démocratique de centre droit (AD) a remporté 29,5 % des suffrages avec 79 sièges, tandis que le PS a obtenu 28,7 % des voix et 77 députés. La quasi-totalité des bulletins ont été dépouillés mais quatre sièges doivent encore être attribués après le décompte des bulletins de vote de l'étranger. Pour le moment, ce résultat ne permet pas au gagnant de former une majorité et Chega pourrait avoir un rôle à jouer dans la formation du gouvernement.

André Ventura s’est déjà dit "disponible" pour "donner un gouvernement stable au Portugal" au sein d'"une majorité forte à droite", ce que le chef de fil de l’AD, Luis Montenegro, a refusé jusqu’à présent. Parvenir à former un gouvernement sans faire appel à Chega, ce sera tout l’enjeu des semaines à venir.

Avec AFP