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Malligyong-1, le satellite "espion" nord-coréen semble bel et bien "vivant"
Des observations d’un expert indépendant démontrent que le premier satellite d’observation envoyé dans l’espace par la Corée du Nord en novembre dernier a commencé à bouger. Reste à savoir s’il est réellement capable de devenir le premier espion spatial de Kim Jong-un.

Finalement, il bouge. Malligyong-1, le premier satellite d’observation nord-coréen, a effectué pour la première fois une série de manœuvres entre le 20 et le 24 février, a découvert Marco Langbroek, expert des satellites à l’université technologique de Delft, aux Pays-Bas.

"Ces manœuvres prouvent que Malligyong-1 n’est pas un satellite 'mort' et que la Corée du Nord le contrôle parfaitement, ce qui n’était pas établi jusqu’à présent", précise ce spécialiste dans un billet de blog publié mardi 27 février.

Personne ne savait, en effet, que penser de ce satellite depuis son lancement en grande pompe le 21 novembre dernier, après deux précédentes tentatives qui s’étaient soldées par des échecs. Quelques jours après la mise en orbite que Malligyong-1, Pyongyang avait affirmé qu'il avait déjà réussi à envoyer des images des sites nucléaires nord-américains.

Une annonce qu’aucun expert indépendant n’a pu confirmer. Les autorités sud-coréennes soutenaient même encore en début de semaine que le "satellite ne donnait aucun signe de vie quelconque".

Prouesse technologique ?

Les observations de Marco Langbroek – qui n’ont encore été confirmées par aucune autorité spatiale – suggèrent que Séoul s'est peut-être prononcé un peu vite. "Cela indique non seulement le succès du lancement, mais aussi la mise en place opérationnelle du contrôle de ce satellite", résume Sebastian Harnisch, spécialiste de la Corée du Nord à l’université de Heidelberg, en Allemagne.

Ce n’est pas rien. En effet, "si lancer un satellite n’est plus autant une prouesse technologique qu’avant pour un pays occidental, cela reste quand même un défi pour une nation, comme la Corée du Nord, coupée du reste du monde", assure Juliana Suess, spécialiste des questions de sécurité spatiale au Royal United Services Institute (Rusi), un cercle de réflexion britannique faisant référence en matière de défense. 

Mais cette prouesse ne signifie pas pour autant que Kim Jong-un détient dorénavant un engin lui permettant d’observer depuis l’espace les moindres déplacements du président américain Joe Biden dans le jardin de la Maison Blanche. "Tant qu’on n'aura pas vu d’images prises par ce satellite, on ne saura absolument pas quelles sont les capacités réelles d’observation de Malligyong-1", tempère Sebastian Harnisch.

C’est pourquoi il est probablement encore un peu tôt pour le qualifier de vrai satellite "espion". "C’est peut-être l’ambition affichée, mais avec la Corée du Nord, on sait qu’il s'écoule toujours un certain temps entre les déclarations d’intention et le succès du projet", note Christoph Bluth, expert de la péninsule coréenne à l’université de Bradford, au Royaume-Uni.

Seul dans l'espace

La seule certitude – confirmée par les autorités sud-coréennes – est que "ce satellite se trouve en orbite terrestre basse", précise Juliana Suess. C’est-à-dire qu’il se situe quelque part entre 200 et 2 000 kilomètres au-dessus de la surface de la Terre.

C’est dans cette fourchette que sont stationnés la plupart des satellites de reconnaissance, car "c’est une bonne distance pour pouvoir prendre des photos détaillées des régions terrestres visées", note Juliana Suess. "Ce genre de satellites sert, par exemple, à suivre des mouvements de troupes, repérer une cible. C’est utile à la fois pour l’observation passive et pour préparer une frappe", précise Joseph Byrne, spécialiste de la Corée du Nord au Rusi.

Même s’il est réellement équipé de tout ce qu’il faut pour devenir les yeux de Kim Jong-un dans l’espace, Malligyong-1 est encore très seul là-haut, et on ne connaît pas la qualité de transmissions de ses données.

Pour pouvoir observer en continue une zone précise, comme une base militaire américaine sur l’île de Guam, il faudrait, d’après Sebastian Harnish, "au moins cinq satellites positionnés de telle sorte" que l’une de ces caméras spatiales soit toujours braquée sur la cible.

On ignore également "comment Pyongyang peut communiquer avec son satellite pour récupérer les éventuelles images, et combien de temps ces communications peuvent durer", ajoute Juliana Suess. Les connexions entre satellites espions et la rapidité de transfert des informations sont des éléments essentiels pour évaluer l’utilité d’un tel dispositif à alerter d’un danger.

"Il faut plutôt voir ça comme une première étape dans le développement d’un dispositif national d’observation satellitaire", estime Sebastian Harnisch. Le régime nord-coréen a d’ailleurs annoncé qu’il comptait envoyer trois satellites supplémentaires dans l’année à venir. 

Question de prestige

Pour les experts interrogés par France 24, ces satellites "made in North Korea" sont très probablement beaucoup moins performants que les solutions commerciales existantes. Le régime pourrait très bien acheter – ou pirater – des images satellites vendues par ces sociétés. 

Mais "ce n’est pas tant la qualité qui compte que le fait de disposer d’un système autonome qui permet à Pyongyang d’être indépendant d’autres acteurs", assure Sebastian Harnisch. C’est d’autant plus important que les satellites nord-coréens sont censés jouer un rôle dans le programme nucléaire. "Ils sont notamment censés permettre d’identifier où se trouvent les silos de lancement ennemis – notamment nord-américains – et servir de système d’alarme", explique Christoph Bluth.

Dans ces conditions "c’est plus rassurant pour Pyongyang d’avoir ses propres satellites", ajoute cet expert. Avec des images fournies par des sociétés privées – chinoises, russes ou autres – le régime de Kim Jong-un ne pourrait jamais être sûr à 100 % d’avoir reçu les meilleures informations possibles.

Et avoir ses propres satellites "est aussi une question de prestige", estime Juliana Suess. Pour les autorités nord-coréennes, "c’est une manière de dire qu’ils ont leur propre programme nucléaire et leur satellite, alors que la Corée du Sud n’a pas ses deux éléments", estime Sebastian Harnisch.

"Cela renforce le discours officiel qui est de dire qu’ils sont sur un pied d’égalité avec les États-Unis et sont donc légitimes à parler directement avec Washington, sans passer par Séoul", conclut-il. Encore faut-il pour cela que la Corée du Nord prouve que Malligyong-1 est le premier d’une lignée de vrais satellites "espion" et pas juste un nouvel argument de propagande.