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ERS-2 ou la trajectoire incertaine d'un vieux satellite qui retombe sur Terre
Un satellite européen non-fonctionnel devrait retomber quelque part sur le globe, mercredi soir, sans qu'il ne soit possible de prédire exactement quand ni où ses potentiels débris pourraient atterrir. Si le retour sur Terre de débris spatiaux est assez courant, le caractère incontrôlé de celui-ci interroge.

C'est un voyage de près de 30 ans qui s'achève par un grand saut. Le vieux satellite européen ERS-2, lancé en 1995 pour étudier le changement climatique en analysant la température à la surface des océans et l'ozone dans l'atmosphère, devrait retomber sur la Terre, mercredi 21 février, après une mission d'observation terminée depuis 13 ans déjà.

L'engin, qui pèse 2,3 tonnes et dont l'opération de retombée a débuté en 2011, descend vers la Terre naturellement et de manière non-contrôlée par la seule force de la gravité. Le satellite doit entrer dans l'atmosphère aux alentours de 20 h 24 (heure française), avec une marge d'incertitude de plus ou mois neuf heures.

Une grande partie du satellite devrait se consumer dans les couches basses de l'atmosphère, mais le risque qu'un morceau tombe sur la Terre n'est pas écarté. "On estime que le plus gros fragment du satellite pouvant rejoindre le sol fait 52 kg", déclarait la semaine dernière Henri Laur, de la direction d'observation de la Terre à l'Agence spatiale européenne (ESA).

Il est très courant de faire retomber des satellites non-fonctionnels. En moyenne, explique l'ESA sur son site internet, "un objet de masse similaire à ERS-2 termine ses jours dans l'atmosphère une fois toutes les une ou deux semaines". En juillet dernier, le satellite européen Aeolus, chargé d'étudier le mouvement des vents, est retombé dans l'océan Atlantique ; en septembre prochain, le satellite Cluster devrait à son tour retomber, puis le satellite Integral, en décembre 2024.

La différence d'ERS-2 est qu'il retombe de manière incontrôlée, créant une série d'incertitudes quant au moment et au lieu de l'impact, interrogeant par ailleurs sur la stratégie visant à se débarrasser des débris spatiaux.

Moins dangereux de le laisser retomber, que de le laisser tourner là-haut

En orbite basse, tout ce qui monte doit redescendre. Ainsi, une fois leur mission achevée, les satellites qui y sont placés, descendent tous progressivement.

C'est ce qui se passe pour ERS-2 depuis 2013. "La plupart des satellites qui sont envoyés dans l'espace sont en orbite basse, à quelques centaines de kilomètres au-dessus de nos têtes", explique Hervé Beust, astronome, rappelant que le plus gros d'entre eux est la Station spatiale internationale (ISS), à environ 400 kilomètres au-dessus de nous.

"Pour ces satellites, tout irait bien s'il n'y avait pas l'atmosphère terrestre", poursuit-il. En effet, s'il n'y a pas, à ces altitudes, assez d'atmosphère pour y faire voler un avion, il y demeure toutefois quelques molécules qui ont un effet sur le mouvement des satellites. "La moindre petite particule d'air qu'un satellite peut rencontrer va le freiner. Or, un satellite freiné va descendre, et s'il descend il va rencontrer davantage de couches d'air encore plus denses, va être davantage freiné, et descendra donc davantage", explique le chercheur qui enseigne également les dynamiques gravitationnelles à l'Université Grenoble-Alpes.

Ainsi, aucun satellite en orbite basse ne peut y durer éternellement. À moins d'agir dessus pour l'y faire rester, précise Hervé Beust, en prenant l'exemple de l'ISS qui, si on la laissait faire, "retomberait sur terre". Pour éviter cela, "on envoie de temps en temps des modules acheminés jusqu'à la station pour faire fonctionner les propulseurs afin de la faire remonter de quelques dizaine de kilomètres pour que l'ISS continue sa vie" en orbite basse, détaille-t-il.

Dans le cas du satellite ERS-2, il s'agit - comme il y en a régulièrement chaque année - d'un satellite au rebut, qui redescend naturellement. La différence d'ERS-2 est qu'il tombe seul, là où en général les autres satellites non-fonctionnels sont contrôlés et placés sur orbite, ce qui permet de savoir à quel moment ils retomberont.

"Si on l'avait laissé [à son altitude initiale], il aurait pu tourner encore pendant 200 ans, mais l'ESA a effectué des manœuvres afin d'abaisser son altitude, et maintenant ils le laissent tomber tout seul de manière incontrôlée", explique Hervé Beust. La raison à cela est qu'il est en définitive moins dangereux qu'un satellite retombe sur terre, plutôt qu'il tourne en orbite basse pendant des centaines d'années.

Un satellite non-fonctionnel n'est plus qu'une coquille vide, un débris spatial qui risque, dans sa course en orbite, d'entrer en collision à grande vitesse avec n'importe quel autre satellite sur son chemin, provoquant des débris qui pourront à leur tour devenir dangereux pour d'autres engins, créant davantage de débris dans une réaction en chaîne.

"Les petits morceaux sont tout autant dangereux à cause de la vitesse", précise Hervé Beust, qui explique que la vitesse en orbite autour de la terre se situe aux alentours de 10km/s, donc 36 000 km/h.

"Si vous avez un satellite qui tourne à 10km/s et qu'il rencontre un débris qui tourne lui aussi à 10km/s, même si le débris est un boulon de quelques centimètres, la collision peut faire des dégâts considérables."

La stratégie est donc de se débarrasser autant que possible de ces coquilles vides, et la meilleure façon de le faire est de les faire retomber sur terre.

Images du satellite ERS-2 passant au-dessus de lInstitut européen de recherches spatiales, à Frascati (Italie)

Une probabilité de dégâts au sol "extrêmement faible"

La chute du satellite ERS-2 est entourée d'incertitudes et la question d'éventuels dégâts au sol peut alors se poser, et inquiéter. Pourtant, rassure l'astronome, "c'est une illusion, car nous sommes protégés par l'atmosphère".

En arrivant à une telle vitesse dans l'atmosphère, les satellites subissent des frottements si intenses qu'il s'échauffent et se disloquent. "Quand ce sont des roches interplanétaires [qui entrent en contact avec l'atmosphère], c'est ce qui produit le phénomène des étoiles filantes", explique par exemple Hervé Beust.

Il n'est cependant pas exclu que des morceaux résistent et arrivent jusqu'au sol. Dans le cas d'ERS-2, un morceau représentant une cinquantaine de kilos de sa masse totale pourrait réchapper de l'entrée de l'engin dans l'atmosphère. "Si un morceau de 52 kg arrive à plusieurs km/s sur le sol, évidemment que cela ferait des dégâts s'il tombait sur un bâtiment", affirme l'astronome. "Mais la probabilité est extrêmement faible", poursuit-il. "Statistiquement, cela va retomber soit dans la mer, soit dans des zones très peu habitées, car si les villes concentrent le plus de population, elles représentent tout de même peu de surface au sol".

Selon le blog de l'ESA dédié à la mission, la probabilité qu'un de ces débris frappe une personne au sol est inférieure à un pour cent milliards.

Dans un post publié mercredi sur X, l'Agence spatiale européenne partageait une carte présentant la projection au sol de la trajectoire du satellite, et prévoyait l'entrée d'ERS-2 dans l'atmosphère à 15 h 41 avec une marge d'incertitude de plus ou moins 1 h 44.

🚨 Possible final update prior to the reentry of ERS-2 🚨

ESA's Space Debris Office predicts that the #ERS2reentry will take place at:

15:41 UTC (16:41 CET) today, 21 February 2024

The uncertainty in this prediction is +/- 1.44 hours.

-- A note on the ground track --
We… pic.twitter.com/2RqrDsVeSW

— ESA Operations (@esaoperations) February 21, 2024

"Les lignes qui vont du pôle nord au pôle sud correspondent à la projection au sol de la trajectoire du satellite à plusieurs orbites", explique Hervé Beust. "La première orbite est la ligne qui passe le plus à l'Est, ce qui correspond à une certaine heure, mais si l'on regarde 1 h 30 plus tard, l'orbite du satellite - qui fait une sorte de cercle - va revenir au même endroit. Cependant, d'ici-là la Terre aura tourné, donc le satellite va passer sur la deuxième ligne plus à l'ouest, puis sur la troisième, et ainsi de suite, poursuit-il.

Au moment de son entrée dans l'atmosphère, le satellite devrait se situer à environ 80 km du marqueur rouge indiquant "COIW" (le centre de la fenêtre d'impact), précise l'ESA.

"Jusqu'à ce point rouge, on sait à peu près calculer ce qu'il va se passer, mais ensuite cela dépend notamment de la vitesse à laquelle le satellite va arriver au sol, comment il va être freiné par l'atmosphère, comment il va se décomposer, ou encore s'il tourne vite sur lui-même", ajoute Hervé Beust. Autant d'éléments difficiles à contrôler et à estimer. À une telle vitesse, achève-t-il, "une imprécision de 30 minutes sur l'instant de l'impact représente des milliers de kilomètres à la surface de la Terre".

Selon les estimations de l'ESA, il y a en orbite environ un million de débris de satellites ou de fusées de plus d'un centimètre, suffisamment gros pour "désactiver un engin spatial".

Aussi, afin de lutter contre l'accumulation de ces déchets en orbite, l'Agence a lancé l'an dernier une charte "zéro débris" visant à interdire la génération de nouveaux débris spatiaux pour les missions spatiales conçues à partir de 2030.

"Plus de 100 organisations, dont Airbus, Thales Alenia Space, Safran, ont annoncé leur intention de signer la charte", a indiqué l'ESA la semaine dernière. Le géant américain SpaceX, pourtant concerné avec sa constellation de satellites Starlink, ne l'a quant à lui pas signée.