"Mes amies et moi avions retiré nos voiles en public et nous chantions. Je n'aurais jamais pensé que les forces de sécurité nous arrêteraient pour cela", raconte Maryam, une manifestante iranienne dont Amnesty international a recueilli le témoignage depuis l'Iran.
La jeune femme affirme avoir été jetée dans une camionnette par les Gardiens de la révolution puis enfermée pendant deux mois dans un centre de détention du groupe paramilitaire, où elle a été torturée. "Deux agents m'ont violée – notamment par voie anale avec une bouteille. Même les animaux ne font pas ce genre de choses. J'étais très petite par rapport à eux. Après cela, j'ai perdu connaissance", confie-t-elle à l’organisation de défense des droits humains.
Le récit de Maryam est l’un des quarante-cinq témoignages récoltés entre janvier et août 2023 par Amnesty international et retranscrits dans un rapport publié mercredi 6 décembre. L’ONG s’est entretenue avec ces anciens prisonniers iraniens, "détenus arbitrairement" entre septembre et décembre 2022, ou avec leurs avocats et leurs familles, et a eu accès à des preuves photographiques et à des dossiers médicaux.
Parmi cette quarantaine de témoignages glaçants figurent les récits de 26 hommes victimes de sévices sexuels, mais aussi de sept mineurs, dont un enfant de 12 ans.
Amnesty international dénonce "le recours des forces de sécurité iraniennes au viol et à d’autres formes de violences sexuelles constituant des actes de torture et d’autres formes de mauvais traitements", afin d’intimider, de punir et d’humilier les manifestants du soulèvement "Femme, vie, liberté" de 2022. L’ONG, qui suit les violations des droits humains en Iran depuis des années, a constaté une "augmentation alarmante" de l’usage du viol et des violences sexuelles en détention par rapport aux vagues précédentes de manifestations.
Ces tortures, indique le rapport, ont pour but "d'instiller la peur et de leur infliger des traumatismes durables" afin de les dissuader de participer à de futures manifestations ou à d'autres actes de résistance, comme de se dévoiler en public dans le cas des femmes et des jeunes filles.
Après leur passage en détention, la plupart des victimes souffrent de traumatismes physiques et psychologiques liés au viol et à ces autres formes de violences. Pour certaines, cela se manifeste par des tentatives de suicide. La mère d’un lycéen violé a ainsi déclaré à Amnesty international que son fils avait essayé de mettre fin à ses jours à deux reprises pendant sa détention.
Pas de poursuites judiciaires
D’après le rapport, les viols et violences sexuelles ont eu lieu "dans des centres de détention et des fourgons de police, ainsi que des écoles ou des immeubles résidentiels illégalement utilisés comme des lieux de détention".
Les auteurs de ces actes de torture ont pu être identifiés par leurs victimes comme étant des membres des Gardiens de la révolution, de la force paramilitaire Bassidj et du ministère du Renseignement, ainsi que des agents de diverses branches des forces de police. "À ce jour, les autorités iraniennes n’ont pas inculpé ni poursuivi le moindre représentant de l’État pour les viols et autres violences sexuelles recensés dans le rapport", indique Amnesty international.
Seules trois des victimes ont osé entamer une procédure judiciaire, mais deux d’entre elles ont retiré leur plainte après avoir été menacées. "La troisième personne a été ignorée pendant plusieurs mois et s’est entendu dire par un haut responsable qu’elle avait ‘confondu’ une fouille corporelle avec des violences sexuelles", rapporte l’ONG, dont la secrétaire générale Agnès Callamard dénonce la complicité de la justice iranienne.
"Les viols en prison existent depuis les débuts de la République islamique", explique Azadeh Kian, spécialiste de l’Iran, qui ne se dit pas surprise par les révélations d’Amnesty international. "Dans les années 1980, les jeunes femmes arrêtées pour des délits politiques étaient violées avant leur exécution. Leurs bourreaux pensaient que si elles étaient vierges, elles iraient au paradis, ce à quoi elles ne devaient pas avoir droit. Un mariage temporaire [pratique autorisée dans l’islam chiite et appelée 'sigheh' en Iran, NDLR] était organisé et une dote sous forme de sucreries envoyée à la famille de la jeune fille."
Interrogé le 7 décembre 1986 sur l'utilisation massive du viol dans les prisons, le Guide suprême avait d'ailleurs répondu : "Oui ! De tels viols sont essentiels pour empêcher ces femmes anti-islam d'entrer au paradis. Si elles sont exécutées vierges, elles entreront au paradis. Donc les viols sont extrêmement importants pour empêcher ces éléments d'entrer au paradis."
D’après la chercheuse, les prisonniers politiques durant la période du chah n’ont pas non plus été épargnés par la pratique de viols comme arme d’intimidation en prison.
La parole se libère
Outre les violences sexuelles comme la mise à nu pendant des heures, devant d’autres détenus, ou le recours à des chocs électriques sur les parties génitales, Amnesty recense aussi des traitements dégradants tels que le refus délibéré de l’accès aux sanitaires.
"Il n'y avait pas d'installations sanitaires, ce qui était insupportable pour elles", rapporte une professionnelle de santé qui a soigné une lycéenne emprisonnée durant plus d’un mois après avoir manifesté près de son école avec ses amies. "Si l'une d'entre elles avait ses règles, elle n'avait pas droit à des serviettes hygiéniques et son sang se répandait partout", décrit-elle.
"Aujourd’hui, les victimes parlent", note Azadeh Kian. "#MeToo est passé par là et aussi le mouvement 'Femme, vie, liberté'. Le corps est utilisé par les forces de sécurité comme un champ de bataille, alors dénoncer devient un acte de résistance."
Depuis les prisons iraniennes, des figures intellectuelles et militantes, telles que la prix Nobel Narges Mohammadi, ont dénoncé ces violences sexuelles à l’égard des prisonnières. "Des figures inspirantes pour toutes les détenues", souligne Azadeh Kian.
Toutefois, la peur de l'ostracisme et des représailles sur les proches continue de réduire au silence une partie des victimes. D’après l’une des professionnels de la santé mentale interrogée par Amnesty international, le nombre de détenus iraniens ayant survécu à des violences sexuelles durant le soulèvement qui a suivi la mort de Mahsa Amini serait beaucoup plus élevé que les cas recensés dans le rapport.