Dans la foulée de l'adhésion de la Finlande à l'Otan, Moscou avait promis des mesures de rétorsion. Depuis plusieurs semaines, Helsinki observe un afflux inhabituel de migrants sans-papiers qui a conduit les autorités à fermer jeudi 30 novembre son dernier poste frontalier encore ouvert avec la Russie, accusée d'utiliser l'arme migratoire contre son voisin.
"Le phénomène observé ces dernières semaines à la frontière doit cesser", avait déclaré mardi le Premier ministre Petteri Orpo, notant que "la migration instrumentalisée en provenance de Russie s'est poursuivie".
Helsinki avait fermé à la mi-novembre quatre de ses huit points de passage avec la Russie, avant de restreindre le passage à un unique poste-frontière, celui de Raja-Jooseppi, le plus au nord du pays, en fin de semaine dernière.
Depuis, le nombre de migrants a considérablement baissé. "Ces derniers jours, il n'y a eu qu'une poignée d'arrivées. Hier [mercredi], il n'y en a eu aucune", indique Annu Lehtinen, directrice du Conseil finlandais pour les réfugiés, évoquant une situation qui pourrait toutefois encore évoluer dans les prochains jours.
Interrogé sur la prise en charge de migrants qui seraient potentiellement laissés dans le froid devant les postes-frontières fermés, Petteri Orpo a affirmé avoir "confiance dans le jugement des gardes-frontières et dans leur capacité à répondre aux différentes situations".
Visas russes et bicyclettes
Selon les autorités finlandaises, près de 1 000 candidats à l'asile, originaires notamment de Somalie, d'Irak et du Yémen, se sont présentés depuis début août à la frontière avec la Russie, longue de 1 340 kilomètres.
"J'ignore si cela est très significatif, mais les gens aiment souvent comparer la situation finlandaise avec ce qu'il s'est passé entre la Pologne et la Biélorussie en 2021, quand 30 000 migrants avaient tenté de franchir la frontière. Au cours de cette année, la Finlande en a reçu 3 600, soit 10 % de ce chiffre", rappelle Jussi Laine, professeur à l’université de Finlande de l’est et spécialiste des questions de frontières.
Mais pour le gouvernement finlandais, c'est le mécanisme à l'œuvre pour déstabiliser le pays qui évoque le parallèle, plutôt que le nombre d'arrivées. Selon Helsinki, Moscou chercherait à orchestrer depuis plusieurs mois une crise migratoire en acheminant à leur frontière commune des centaines de personnes par bus ou par taxi, avant que ces derniers ne finissent le trajet à vélo, bravant des températures qui descendent allègrement jusqu'à -25 °C à cette période de l'année.
"Il y a eu une campagne en langue arabe sur les réseaux sociaux affirmant que la frontière finlandaise est ouverte. Il est clair que des réseaux de passeurs se trouvent derrière cette opération de communication. Puis, la Russie a changé sa façon d'opérer, en octroyant des visas puis en facilitant le mouvement des personnes vers la frontière", explique Annu Lehtinen.
Bien que le poste-frontière de Raja-Jooseppi soit difficile d'accès – il est situé à plus de 1 400 km au nord de Saint-Pétersbourg, soit 18 heures de route –, le gouvernement craignait de devoir accueillir un nombre croissant de migrants sur la base d'informations récoltées par les renseignements finlandais. Anticipant le recours de la Russie à la pression migratoire, la Finlande a commencé à construire depuis fin février une vaste clôture sur 200 km, mais qui n'est pour le moment achevée que sur trois kilomètres.
Réaction rapide d'Helsinki
"Le discours officiel consiste à dire qu'il fallait agir maintenant, avant que la situation ne s'aggrave. Mais la fermeture de la frontière permet surtout d'envoyer un message à la Russie pour lui montrer que la Finlande est capable de réagir rapidement et de prendre des décisions radicales", analyse Jussi Laine, rappelant que la frontière finlandaise est également celle de l'espace Schengen, de l'UE et de l'Otan.
Depuis mercredi, les gardes-frontières finlandais sont épaulés par une cinquantaine de fonctionnaires de l'agence européenne Frontex, chargés notamment de surveiller les vastes zones inhabitées qui composent la majeure partie de la frontière.
Dès la semaine passée, le gouvernement finlandais avait envisagé de fermer son territoire aux arrivées depuis la Russie, mais la mesure avait alors été jugée disproportionnée par l'autorité chargée du contrôle de la légalité des mesures gouvernementales. La frontière peut être fermée complètement dans des circonstances exceptionnelles, mais cette fermeture doit être mesurée et les demandeurs d'asile doivent pouvoir déposer leur demande.
Selon le ministère de l'Intérieur, le poste-frontière de Raja-Jooseppi devrait rester clos jusqu'au 13 décembre. En attendant, les candidats à l'asile devront demander une protection "aux points de passage frontaliers ouverts pour le trafic aérien et maritime", c'est-à-dire les ports et aéroports, selon un communiqué du gouvernement.
"Il n'y a plus de vols, ni de liaisons maritimes depuis la Russie. Dans les faits, c'est donc devenu impossible d'entrer en Finlande depuis ce pays pour y demander l'asile", regrette Annu Lehtinen. "Or, ces migrants viennent de Syrie, d'Irak, du Yémen, de Somalie. Ce sont des nationalités qui traditionnellement obtiennent l'asile. La situation n'est clairement pas conforme à nos engagements internationaux."
L'Estonie se tient prête
Si la fermeture de la frontière avec la Russie est officiellement motivée par des raisons de sécurité intérieure, le paysage politique finlandais, marquée par une forte poussée de l'extrême-droite, n'est sans doute pas étranger à cette décision radicale.
"L'extrême-droite est bien plus présente au gouvernement que par le passé, notamment avec le parti des Vrais Finlandais, dont l'agenda anti-immigration existe depuis des années. La décision de fermeture de la frontière est aussi liée au débat politique interne", estime Jussi Laine, selon qui la Russie est parvenue à influencer le débat et la prise de décision politique en Finlande à l'aide de moyens dérisoires.
"Aujourd'hui, tout le monde ne parle que de ça. C'est exactement ce qu'attend la machine de propagande russe : créer un climat d'angoisse, nous faire paniquer et nous faire dévier de nos engagements internationaux. Mais nous devons rester calmes. Les gardes-frontières font un excellent travail et la situation est sous contrôle", assure l'expert de la frontière russo-finlandaise.
Face à la fermeture complète de la frontière finlandaise, d'autres pays voisins de la Russie s'inquiètent désormais d'être ciblés par des opérations d'influence similaires. L'Estonie a ainsi assuré mercredi qu'elle était "prête" à fermer sa frontière et à se défendre contre "toute attaque hybride" en provenance de Moscou.