
En ce lundi férié en Argentine, Javier Milei ne chôme pas. Après une nuit de célébrations dans son "bunker" (QG de campagne), le nouveau président argentin a donné plusieurs interviews radio dans lesquelles il a révélé les noms de certains de ses futurs ministres : Mariano Cuneo Libarona, un avocat pénaliste, à la Justice, et Carolina Piparo, députée de son parti "La liberté avance" (LLA) aux Affaires sociales.
L'ultralibéral président élu a estimé, lundi 20 novembre, qu'il faudra "de 18 à 24 mois" pour parvenir à contrôler l'inflation, qui est actuellement de 143 % sur un an, "si l'on réduisait aujourd'hui l'émission monétaire".
Javier Milei a également annoncé une vague de privatisations : l’agence de presse Telam, la télévision et la radio publique, ainsi que le pétrolier YPF, qui exploite les gisements d’hydrocarbures du pays, sont concernés. "Nous considérons que la télévision publique est devenue un mécanisme de propagande", a-t-il déclaré, ajoutant que "tout ce qui peut être entre les mains du secteur privé le sera".

Soucieux d’endosser le costume de président, il a également annoncé qu’il se rendrait dans les prochains jours aux États-Unis et en Israël, soulignant qu'il s'agirait d'une "expérience spirituelle". Pendant la campagne, le candidat, bien que catholique, avait surpris en affirmant une inclination vers le judaïsme et disant s'être engagé dans des échanges spirituels avec plusieurs rabbins.
Passer de la tronçonneuse au costume de président
Dès lundi, le président élu avait prévu de rencontrer Alberto Fernandez, le président sortant. "Il m'a appelé pour me féliciter et m'a invité à une réunion pour que la transition soit la plus ordonnée possible afin que la réaction des marchés soit la plus ordonnée possible" a déclaré Javier Milei sur les ondes. Il a ensuite trouvé un moment pour converser avec l'ancien président brésilien Jair Bolsonaro.
Celui qui s’est autoproclamé "premier président libertarien de l’histoire de l’humanité" dimanche soir entrera en fonction le 10 décembre. Il devra répondre à l’impatience de ses compatriotes pour ramener l’inflation de trois à un chiffre, et mener à bien la dollarisation promise de l’économie. "La monnaie sera celle que les Argentins choisiront librement. Au fond, on dollarise pour se débarrasser de la Banque centrale" a-t-il réaffirmé.

"Avec 56 % des voix, il est auréolé par le résultat. […] Néanmoins, je pense que très rapidement ce résultat et son poids politique vont s'effriter. Les Argentins attendent des résultats immédiats et très clairement, il ne sera pas en mesure de les apporter. Je pense que tout porte à croire que la situation économique va continuer à se dégrader et le manque de soutien au Parlement va le mettre très rapidement en porte-à-faux", explique Gaspard Estrada, spécialiste de l’Amérique Latine et enseignant à Sciences-Po.
Une victoire par procuration de la droite argentine
En effet, "La Liberté avance", la formation de Javier Milei, ne dispose que de 38 sièges sur 217 à la chambre des députés. Pour mener à bien ses projets de fermeture de la Banque centrale ou de dollarisation, il devra nouer une alliance politique avec une partie de la "caste" politicienne qu’il n’a cessé de vomir, d’estrade en discours.
Avec les 93 députés de sa coalition (Ensemble pour le changement, JxC), l’ex-président Mauricio Macri, battu par Alberto Fernandez en 2019 en raison de sa gestion calamiteuse de l’économie, est devenu l’allié indispensable du nouveau président.
Une exquise revanche pour l’un des hommes les plus riches du pays, qui n’a jamais caché son amertume d’avoir été battu par l’ennemi kirchneriste qui a remporté quatre élections présidentielles sur cinq entre 2003 et 2019. Lors des deux mandats de Cristina Kirchner (2007-2015), l'opposition entre partisans et adversaires de l'ex-présidente est devenue particulièrement féroce et brutale.
"Je pense que Mauricio Macri est la caution [du nouveau président] mais c'est un jeu dangereux. À un moment, Javier Milei voudra assumer pleinement les commandes, mais il n’a pas vraiment de solution", estime Gaspard Estrada.
En d’autres termes, si Javier Milei a réussi à s’imposer, c'est grâce au soutien décisif de la droite traditionnelle argentine. Mais cette dépendance risque de freiner la mise en œuvre de son projet de rupture radicale avec la "caste" qui a séduit les électeurs.
Règlements de compte en vue
La revue Nueva Sociedad note elle aussi que "le discours anti-caste de Javier Milei – qui semblait plafonner à 30 % des voix – s'est transformé en "kirchnerisme ou liberté", qui avait été le slogan de Patricia Bullrich (la candidate de la droite traditionnelle éliminée au premier tour, NDLR)".
Les auteurs de cette analyse ajoutent que "Mauricio Macri a vu dans le manque de structure et l’inexpérience de Javier Milei la possibilité de reprendre le pouvoir après l'échec de son gouvernement : non seulement le gouvernement de Macri fournira des cadres au 'mileisme' naissant, mais ce dernier dépendra des législateurs de Macri pour atteindre un minimum de gouvernabilité".
La victoire du candidat d’extrême droite, qui a successivement battu la droite traditionnelle puis la machine électorale du parti péroniste, va donc affronter l’exercice du pouvoir dans des conditions périlleuses.
Dans quelques semaines, Javier Milei sera confronté à l’impatience de ses électeurs qui réclament une sortie de crise économique rapide et aussi aux désirs de vengeance de l’ex-président Macri vis-à-vis de ses ennemis kirckneristes. "C’est vrai que la justice argentine est politisée et que l’on peut s'attendre à une accélération des affaires concernant Cristina Kirchner."
À défaut de mettre en œuvre son grandiose projet libertarien, où l’offre et la demande règneraient sur une Argentine enfin débarrassée d’un État prédateur et incompétent, Javier Milei va sans doute devoir commencer par faire de la politique et ainsi composer avec le système.