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La Roumanie célèbre le 20e anniversaire de l'exécution du dictateur, qui divise toujours le pays : pour certains, il reste le meilleur dirigeant que celui-ci ait jamais eu ; d'autres estiment qu'il est le leader qui lui a causé le plus de tort.

REUTERS - Vingt ans jour pour jour après son exécution au terme d'un procès expéditif, Nicolae Ceausescu continue de hanter les Roumains, dont beaucoup dénoncent une "révolution volée".

Les anticommunistes accusent une élite liée au régime renversé de s'être maintenue au pouvoir en s'accaparant les richesses du pays dans la confusion qui a suivi.

De leur côté, les sympathisants du dictateur considèrent que la Roumanie est pillée par de "nouveaux riches".

Ceausescu n'a laissé personne indifférent, dans un sens comme dans l'autre.

Dans un sondage réalisé en 2007 par la fondation George Soros, il était considéré par ses concitoyens comme le meilleur dirigeant du siècle dernier, mais arrivait aussi en tête des présidents ayant fait le plus de mal. Les récentes élections sont une illustration de ces divisions.

Les nostalgiques du régime Ceausescu affirment que le passage à la démocratie et l'entrée dans l'Union européenne ont plongé le pays dans l'instabilité et l'ont orienté dans une mauvaise direction.

"Il y a un héritage en Roumanie, un héritage de dictature", a déclaré l'écrivain d'origine roumaine Herta Müller à Stockholm où elle venait de recevoir le Prix Nobel de littérature.

"L'ancienne Securitate (police secrète) et l'ancienne nomenklatura constituent des réseaux étroitement liés en Roumanie (...) Elles ont réussi à occuper pratiquement toutes les positions clé de la société".

Herta Müller et son mari ont quitté la Roumanie en 1987, deux ans avant le renversement de Ceausescu. La Securitate l'avait harcelée pour avoir refusé de donner des informations sur ses collègues et amis et sa mère avait été envoyée en camp de travail.

La Securitate utilisait un demi-million d'agents et des millions d'informateurs pour créer un climat de terreur permanente.

Retour de l'ancienne élite

La plupart des Roumains éprouvaient de grandes difficultés d'approvisionnement dans des magasins quasi vides et ils grelottaient l'hiver dans des logements sans chauffage tandis que Ceausescu faisait construire des monuments grandioses et organisait des fêtes fastueuses pour son entourage.

Mais aujourd'hui, un cinquième de la population vit avec moins de trois dollars par jour, le niveau de vie est inférieur à la moitié de la moyenne de l'UE et moins du quart de la
population occupe officiellement un emploi.

Le jour de l'anniversaire de la mort du dictateur, de petits groupes continuent de se rendent sur sa tombe, à Bucarest, pour allumer des bougies.

Aucune explication satisfaisante n'a été donnée sur les raisons pour lesquelles la révolution roumaine a été la plus sanglante de la région, et son déroulement même n'est pas très clair. Des historiens ont rapporté que plus de 1.500 anticommunistes avaient été tués dans tout le pays.

Une semaine après le début de la révolution, le 16 décembre, Ceausescu et son épouse Elena ont été reconnus coupables au terme d'un procès expéditif et ils ont été aussitôt passés par les armes dans la cour d'une caserne.

Les régimes communistes ont été renversés sans grande effusion de sang dans le reste de l'Europe de l'Est, de la RDA à la Tchécoslovaquie en passant par la Pologne, Moscou ayant laissé entendre qu'il ne recourrait pas à son armée pour les soutenir. En éclatant, l'Union soviétique a elle-même subi une série de coups d'Etat et de guerre civiles.

Dans la décennie qui a suivi, des cadres communistes de second rang ont accédé au pouvoir, notamment Ion Iliescu, qui avait dans le passé proclamé son attachement à Ceausescu.

Ancien secrétaire du parti communiste chargé de l'idéologie, Iliescu est accusé par ses détracteurs d'avoir "volé" la révolution roumaine. Certains analystes estiment que son objectif initial n'était pas d'opter pour la démocratie mais de protéger l'ancienne élite.

Désenchantement

Des observateurs politiques disent que ses trois mandats de président ont permis à des magnats soupçonnés d'être d'anciens agents de la Securitate de s'accaparer les avoirs publics sous prétexte de passage à la démocratie et au capitalisme.

Ils en veulent pour exemple le démantèlement des grandes coopératives agricoles de l'époque communiste et l'attribution dans les années 1990 de millions d'hectares à des barons du régime.

"La Roumanie a réussi à rester un pays où les cliques ex-communistes semblent contrôler l'économie (...) cela entrave le développement de la Roumanie et rend (...) pénible la transition", dit le sociologue Bruno Stefan.

Bien que la Roumanie ait adhéré à l'Otan en 2004 et à l'UE trois ans plus tard, elle peine depuis à se transformer en une économie ouverte et elle est l'un des Etats les plus pauvres de l'UE et le plus corrompu avec la Grèce et la Bulgarie.

De nombreux diplomates occidentaux ont dénoncé cette situation et, lorsqu'elles ont adhéré à l'UE, ils ont affirmé que la Roumanie et la Bulgarie n'étaient pas prêtes.

L'ancien commissaire à l'Elargissement Olli Rehn a déclaré récemment au quotidien La Libre Belgique que lorsqu'il était devenu commissaire, il avait réalisé que "la Roumanie et la Bulgarie n'étaient pas encore prêtes à adhérer".

L'élection présidentielle roumaine de ce mois-ci illustre parfaitement les divisions de la société roumaine.

Le candidat de centre-droit Traian Basescu a battu de peu le candidat de gauche Mircea Geoana, chef du parti social-démocrate et fils d'un ancien général de l'époque Ceausescu qui a dit considérer Iliescu comme un mentor positif.

"La désenchantement, c'est je crois le mot qui, après vingt ans, peut définir ce qui s'est passé", résume Raico Cornea, un journaliste de 40 ans qui se trouvait dans les rues de Timisoara lorsque la révolte a éclaté.
 

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