
Alors que l'accès à l'avortement est en passe d’être restreint dans plusieurs États américains et des pays comme la Pologne, certains États européens sont considérés comme des pays refuge pour celles qui souhaitent interrompre leur grossesse. Toutefois, même si l’IVG y est souvent légale, d’autres obstacles viennent freiner les femmes souhaitant avorter. Panorama de l'accès à l'avortement dans les pays d'Europe.
Plus de 95 % des femmes européennes vivent dans des pays autorisant l'avortement. Des IVG, dont 90 % ont lieu avant treize semaines de grossesse et dont la moitié sont médicamenteuses, avec la prise de pilules abortives, selon une étude du British Medical Journal.
Ces chiffres, révélateurs de la garantie du droit à l’IVG en Europe, masquent pourtant une réalité plus difficile sur le terrain. Dans de nombreux pays européens, il n'est ni facile ni certain de réaliser un avortement. Et même lorsque la procédure est légale, les délais courts, les démarches administratives compliquées, le manque d'accès et la stigmatisation sociale peuvent bloquer l'accès à ce droit.
"L'accès à l'avortement est extrêmement disparate en Europe. Il y a très peu de cohérence entre les États, et à l'intérieur d'un même pays. L'accès à un avortement sûr dans un délai raisonnable dépend totalement de l'endroit où l'on vit", relève Megan Clement, rédactrice en chef de la lettre d'information féministe Impact.
France 24 fait le point sur l'accès à l'avortement dans les différents pays d'Europe.
L’un des délais les plus courts au Portugal
- Délai légal : 10 semaines
- Exemptions : menace sur la vie, menace sur la santé, viol
- Étapes à suivre : consultation médicale et période d'attente imposées avec conseils obligatoires
Au Portugal, pour les femmes souhaitant avorter, l'horloge commence à tourner dès les premiers symptômes de la grossesse, qui apparaissent généralement à huit semaines. Car une loi portugaise de 2007 a fixé la date limite d'accès aux avortements non urgents à dix semaines, avec des prolongations possibles pour des cas tels que le viol, une menace pour la vie de la mère ou une malformation du fœtus.
Ce délai est l'un des plus courts d'Europe, puisqu'il ne laisse que 14 jours environ à partir de la détection d'une grossesse pour prendre la décision de recourir ou non à l'avortement et franchir les nombreuses étapes nécessaires pour accéder à l’acte : une consultation médicale préalable, un test de laboratoire et un délai de réflexion de trois jours (avec conseils obligatoires) avant l'avortement proprement dit.
La plupart des autres pays européens fixent la limite des avortements non urgents à douze semaines. Un délai qui paraît lui aussi insuffisant au vu des milliers de femmes qui se rendent chaque année dans des pays où les délais sont plus généreux. Ainsi en 2018, plus de 3 000 Européennes sont allées en Angleterre et au Pays de Galles, qui autorisent l'avortement jusqu'à 24 semaines, pour obtenir des soins liés à l’IVG, principalement en provenance d'Irlande, de France, d'Allemagne, du Danemark, de Malte, d'Italie et de Pologne.
Des déserts médicaux freinent l'accès à l’IVG en France
- Délai légal : 14 semaines
- Exemptions : menace pour la vie, menace pour la santé
- Étapes à franchir : deux consultations médicales
Avec un délai de 14 semaines, la France n’est pas à l’avant-garde de l’accès à l’IVG même si les soins liés à l'avortement y sont intégralement remboursés par le système de Sécurité sociale. Certains signes indiquent pourtant que le gouvernement s'efforce d'améliorer l'accès à l'avortement, ainsi le président Emmanuel Macron a annoncé son intention d'inscrire ce droit dans la constitution française. En 2022, le gouvernement a aussi adopté une loi prolongeant la limite des avortements volontaires de 12 à 14 semaines, autorisant les sages-femmes à pratiquer seule la procédure et interdisant aux médecins de refuser de le faire.
Une nouvelle loi nécessaire pour pallier le manque de professionnels de la santé capables de pratiquer l'intervention dans les "déserts médicaux", ces territoires français qui manquent d'accès aux soins médicaux. "En France, tout dépend de l'endroit où l'on se trouve pour tout ce qui concerne les soins de santé", explique Irène Donadio, porte-parole de la Fédération internationale pour le planning familial (IPPF). Pour les avortements, comme pour l’accès aux soins de santé en général, les personnes vivant dans des zones reculées ou rurales sont lésées, résume-t-elle.
En France, une solution à ces inégalités pourrait consister à augmenter l'offre d'avortements médicamenteux, que les femmes enceintes peuvent prendre chez elles, sans surveillance. Or, bien que l'Organisation mondiale de la santé affirme que ces pilules abortives peuvent être administrées en toute sécurité au cours des douze premières semaines de grossesse, la loi française n'autorise l'avortement médicalisé qu'au cours des neuf premières semaines.

Le droit de refuser de pratiquer des IVG en Italie
- Délai légal : 90 jours (12,9 semaines)
- Exemptions : menace pour la vie, menace pour la santé
- Étapes à suivre : conseil obligatoire, période d'attente imposée
En Italie, le manque de médecins disposés à pratiquer l'intervention constitue l'un des principaux obstacles à l'accès à l'avortement. Chez les médecins italiens, l'objection de conscience commence dès les bancs de l’école de médecine, explique Irène Donadio. "Dans de nombreuses facultés, l'avortement n'est pas enseigné, car les étudiants doivent choisir au cours de la première année de médecine s'ils veulent devenir objecteurs ou non. Ils risquent alors de terminer leurs études de médecine – en tant que gynécologues – sans même savoir comment pratiquer un avortement en toute sécurité".
Le phénomène est tel qu’il met en péril la vie des femmes italiennes, puisque qu’il devient difficile d'accéder aux soins en lien avec l'avortement, même lorsque des vies sont en danger.
Dans ce pays, 71 % des gynécologues sont opposés à l'avortement, ce chiffre atteignant presque 100 % dans certaines régions du sud, d’après une enquête réalisée en 2016. L'influence de l'Église catholique sur le corps médical et la société italienne est considérable, mais d'autres voix anti-avortement se font également entendre. Depuis son arrivée au pouvoir en octobre 2022, la dirigeante d'extrême droite du pays, Giorgia Meloni, représente une menace importante pour le droit à l’IVG.
L’Italie n'est pas le seul pays où le manque de praticiens bloque l'accès à l'avortement. "Il y a un problème en Croatie, en Allemagne, en Espagne", liste notamment Irène Donadio.

L'un des délais de réflexion les plus longs en Belgique
- Délai légal : 12 semaines
- Exemptions : menace pour la vie, menace pour la santé
- Étapes à suivre : conseil obligatoire, période d'attente imposée
En Belgique, les femmes doivent attendre six jours entre le moment où elles confirment leur souhait d'avorter lors d'un rendez-vous d’information et le moment où elles ont accès à la procédure. Il s’agit de l'une des périodes d'attente obligatoire les plus longues d'Europe.
Ces délais d'attente sont parfois décrits comme une "période de réflexion", un temps de réflexion visant à minimiser les regrets post-avortement. Mais des études ont montré qu'ils peuvent nuire à la prise de décision et provoquer une détresse psychologique.
"C'est une méthode pour étouffer l'autonomie et la liberté des femmes, car c'est une forme de contrôle de l'État sur leur prise de décision ", estime Irène Donadio. "On ne leur fait pas confiance. La femme est freinée par une autorité qui lui dit que, pour une raison ou une autre, elle est incapable de penser et qu'elle doit réfléchir davantage".
L'Organisation mondiale de la santé (OMS) déconseille ces périodes d'attente obligatoires et autres obstacles politiques jugés "médicalement inutiles" à l'avortement. "De tels obstacles peuvent entraîner des retards importants dans l'accès au traitement et exposer les femmes et les jeunes filles à un risque accru d'avortement dangereux, de stigmatisation et de complications, tout en augmentant les risques d’interruption dans leur parcours éducatif et nuire à leur aptitude à travailler", indique l'OMS.
Malgré cela, des périodes de réflexion obligatoires sont en vigueur dans 14 pays européens, dont l'Albanie, l'Arménie, la Belgique, la Géorgie, l'Allemagne, la Hongrie, l'Irlande, l'Italie, la Lettonie, le Luxembourg, le Portugal, la Russie, la Slovaquie et l'Espagne.
Conseil médical obligatoire en Allemagne
- Délai légal : 12 semaines
- Exemptions : menace pour la vie, menace pour la santé, viol
- Étapes à suivre : conseil obligatoire, période d'attente imposée
Le droit à l'IVG a nettement progressé en Allemagne, bien que tardivement. Le pays vient tout juste de supprimer une loi sur l'IVG héritée de l’ère nazie. Le Parlement allemand a abrogé en juin 2020 ce texte interdisant la publicité pour l'avortement. Cette loi rendait passibles de poursuite les médecins qui publiaient des informations factuelles sur l'interruption de grossesse. De ce fait, l'accès à des informations fiables sur les méthodes d'avortement était devenu très compliqué pour les Allemandes.
Malgré cela, l'Allemagne reste l'un des douze pays européens à exiger des femmes qu'elles soient obligatoirement conseillées ou informées par leur médecin avant un avortement. Dans certains pays, ces conseils visent à dissuader les femmes d'avoir recours à l'avortement, tandis que dans d'autres ils sont plus factuels.

Avortement illégal et sanctionné à Malte
- Exemptions : exemptions en cours de révision
Malte reste l'un des seuls pays européens, avec Andorre et Saint-Marin, où l'avortement demeure illégal. Sur cette île catholique du sud de l’Europe, il est même interdit en cas de viol, de malformation du fœtus ou de danger pour la vie de la mère.
Les lignes pourraient bouger. En novembre 2022, des amendements juridiques ont été soumis au Parlement maltais afin d'autoriser l'avortement dans les cas où la vie de la femme est en danger.
Ce changement est intervenu après qu'une touriste américaine ayant fait une fausse couche partielle lors de son séjour dans le pays a demandé un avortement qui lui a été refusé. Andrea Prudente était enceinte de seize semaines en juin lorsqu'elle a commencé à saigner abondamment et que les médecins lui ont dit que sa grossesse n'était plus viable. Après s'être vue refuser l'avortement à Malte, elle a été transportée par avion en Espagne pour y subir l'intervention. Elle attaque aujourd'hui le gouvernement maltais en justice, arguant que l'interdiction de l'avortement a mis sa vie en danger et qu'elle a été soumise à un traitement inhumain et dégradant.
La législation maltaise stipule que les médecins ou les professionnels de la santé pratiquant des avortements sont passibles d'une peine d'emprisonnement pouvant aller jusqu'à quatre ans et d'une interdiction à vie d'exercer la médecine. Les femmes ayant pris des pilules abortives risquent, elles aussi, d’être condamnées à une peine de prison, de même que toute personne qui aide une femme à se faire avorter.
Quelques jours après l'affaire Prudente, un groupe de 135 médecins maltais a demandé une révision des lois sur l'avortement dans le pays, ce qui a conduit à la rédaction d'un projet de loi accordant une certaine protection aux femmes ayant besoin d’un avortement lorsque leur vie est en danger.
Plus de 1 000 euros pour aller avorter aux Pays-Bas
- Délai légal : 24 semaines
- Exemptions : menace pour la vie
- Étapes à franchir : aucune
Les Pays-Bas a de loin l'une des législations les plus favorables d'Europe en matière d'avortement. Le délai pour une IVG est de 24 semaines. En 2022, le gouvernement a même voté en faveur de la suppression des périodes d'attente "dégradantes" requises pour débuter la procédure.
C'est pourquoi, au sein même de l’Europe, les Pays-Bas sont devenus une destination refuge pour les personnes cherchant à avorter, explique Megan Clement. "C'est un endroit où beaucoup de gens se retrouvent quand ils n'ont vraiment nulle part où aller et aucune autre option."
La situation n'a fait qu'empirer depuis le Brexit, car le Royaume-Uni, qui autorise l’avortement jusqu’à 24 semaines, exige désormais que les citoyens de l'UE présentent un passeport à l'entrée. Pour les personnes qui en sont dépourvues lorsqu'elles découvrent qu'elles sont enceintes, "il est coûteux d'en obtenir un et souvent trop tard pour en faire la demande", fait remarquer Megan Clement.
Aux Pays-Bas, l'avortement est gratuit pour les résidentes, mais les étrangers doivent payer. Or les coûts peuvent être prohibitifs. Selon le type d'avortement, la procédure peut dépasser 1 000 euros, auxquels s'ajoutent les frais de déplacement et d'hébergement.
Même en dernier recours, l'avortement aux Pays-Bas n'est pas une option accessible à tous. Les personnes qui y ont le moins accès sont probablement celles qui ont déjà un accès limité à l’IVG dans leur pays d'origine : les mineures, les sans-papiers, les personnes handicapées, les victimes de violence, les personnes vivant dans des régions isolées et les travailleurs qui ne peuvent pas se permettre de prendre des congés.
Cet article a été adapté de l'anglais. Retrouvez ici la version originale.