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Le cinéaste russe Kirill Serebrennikov, dissident controversé

Mercredi 15 février sort au cinéma "La Femme de Tchaïkovski", nouveau film du réalisateur russe Kirill Serebrennikov. Célébré en Europe pour son art et son engagement contre la guerre en Ukraine, le cinéaste exilé à Berlin fait également l’objet de critiques : ses détracteurs lui reprochent une position ambiguë vis-à-vis du Kremlin. Explications.  

Casquette vissée sur la tête, lunettes noires et boucles scintillantes à l'oreille, Kirill Serebrennikov a fait ces derniers jours le tour des médias français pour la promotion de son nouveau film, "La Femme de Tchaïkovski". Sorti mercredi 15 février dans les salles obscures, le long métrage, qui explore la relation trouble entre le grand compositeur du XIXe siècle et sa femme Antonina Miliukova, est également l’occasion, pour le réalisateur russe exilé à Berlin, d’évoquer la situation de son pays, en pleine guerre avec l’Ukraine.

Considéré comme un metteur en scène majeur, Kirill Serebrennikov est aussi perçu en Europe comme un opposant emblématique au régime de Vladimir Poutine. Mais l’artiste a également des détracteurs, en particulier au sein de la scène artistique ukrainienne, qui questionnent ses prises de position et l’accusent d’entretenir des accointances douteuses.  

Condamnation "politique"

Kirill Serebrennikov a quitté la Russie peu après le déclenchement de la guerre en février et vit depuis à Berlin. Avant cela, le réalisateur a passé plusieurs années assigné à résidence, accusé par la justice russe d’avoir détourné l’équivalent d’un million d’euros d’argent public par le biais de son théâtre. Inculpé en août 2017 puis condamné en juin 2020 à trois ans de prison avec sursis, le cinéaste n’a cessé de clamer son innocence, soutenu par de nombreux artistes russes ainsi qu’une flopée de stars internationales, qui fustigent une affaire "politique". Car s’il se garde de critiquer ouvertement le régime, le réalisateur aborde parfois des sujets sensibles tels que l’homosexualité ou l’emprise de l’église sur la société, susceptibles de déranger les autorités russes.

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— Berlinale (@berlinale) February 24, 2018

Durant cette période, Serebrennikov réalise les films "Leto" (2018) et "La Fièvre de Petrov" (2021) ainsi que plusieurs opéras dont des adaptations de Mozart et de Wagner, sans toutefois pouvoir quitter le territoire russe. En janvier 2021, soit deux ans avant la fin de sa peine, cette interdiction est soudainement levée. Le réalisateur est autorisé à effectuer un court voyage à Berlin, au cours duquel il évoque sa surprise. "Je me suis probablement bien comporté" ironise-t-il alors. 

Controverse à Cannes

En mai 2022, le réalisateur fait son grand retour au Festival de Cannes, cinq ans après sa première visite pour le film "Le disciple" (2016). Sélectionné pour "Leto" et "La Fièvre de Petrov", le réalisateur n’avait pu venir sur la Croisette du fait de ses ennuis judiciaires. Pourtant sa présence, à peine quatre mois après le déclenchement de l’invasion russe, passe mal.

Certains s’interrogent sur le message envoyé par le festival en accueillant un film sur la culture russe, dans un tel contexte. D’autres s’en prennent directement au réalisateur, parfois de manière virulente. "C'est un faux opposant, lorsqu'il était assigné à résidence, il a pu continuer à tourner ses films. Puis, lorsque la guerre a éclaté, il a été libéré. Depuis quand la Russie libère les dissidents en période de guerre ?" interroge Artem Koliubaiev, producteur et président du Conseil de l'industrie cinématographique ukrainienne, interviewé par France 24 lors du festival. "C'est de la manipulation. De plus, il ne dit rien sur Poutine. Il dit qu'il est contre la guerre… Mais tout le monde est contre la guerre, ce n'est pas un engagement !"   

Défenseur de la "vraie culture russe"

Kirill Serebrennikov, de son côté, se pose en défenseur de l’art russe dissident, affirmant que "la vraie culture russe n’est pas celle de la propagande". Durant sa conférence de presse au Festival de Cannes, il enflamme un peu plus la polémique en demandant la levée des sanctions contre l’oligarque russe Roman Abramovitch, dont il affirme qu’il a beaucoup aidé la culture contemporaine de son pays. Par le biais de son entreprise Kinoprime, l’homme d'affaires a co-financé les deux derniers films du réalisateur.

A Russian filmmaker Kirill Serebrennikov was allowed to participate in the Cannes Festival. And he used the opportunity to call for the lifting of the Western sanctions against a Russian businessman. It’s time to re-think our approach to inviting these people to our events.

— Anton Shekhovtsov ✚ (@A_SHEKH0VTS0V) May 19, 2022

Dans une tribune, Béatrice Picon-Vallin, ancienne directrice de recherche au CNRS et spécialiste du théâtre russe, attire, quant à elle, l’attention sur les liens entre le réalisateur et Vladislav Sourkov, conseiller historique de Vladimir Poutine, "désigné par les médias russes indépendants comme ‘son protecteur’".

Depuis, Kirill Serebrennikov a présenté, en juillet, son adaptation de la nouvelle de Tchekhov "Moine Noir" au Festival d’Avignon, ponctué par l’apparition du message "Stop the war", en lettres géantes. À Paris, lors de la promotion de 'La Femme de Tchaïkovski'", le cinéaste a de nouveau martelé son message, fustigeant un conflit "suicidaire pour la Russie".

 "Nous devons réaffirmer que la guerre est un crime et que nous y sommes tous opposés. C’est important pour montrer notre connexion à tous ceux qui subissent cette guerre inhumaine et criminelle".